Une bourse de gratification des États de Bretagne de 1786

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Bourse de gratification, 18e siècle – CC0 – collection musée de Bretagne

En 2016 l’AMEBB avait offert au musée de Bretagne une bourse brodée du XVIIIe siècle sur laquelle le présent article apporte un éclairage nouveau et particulièrement intéressant. L’auteure, Shantty Turck, est titulaire d’un master2 d’histoire intitulé « Les brodeurs et brodeuses en Bretagne du XIVe au XVIIIe siècle », soutenu à l’université Rennes 2 en 2017 sous la direction de J.P Lethuillier.

 

Dans les collections du musée de Bretagne, se trouve une bourse en velours brodée d’or et d’argent. Elle est doublée de cuir et l’intérieur est en taffetas. Le fond est entièrement brodé, et au  fil de soie noire, nous pouvons encore lire ceci : « Etats de Bretagne en 1786 » encerclant les armes des  états de Bretagne et de la couronne de France.

À chaque session des états de Bretagne, de nombreuses bourses de jetons sont ainsi données de façon ordinaire ou extraordinaire. Nous en connaissons les détails pour le XVIIIe siècle, grâce aux « comptes des jettons » conservés aux archives départementales d’Ille-et-Vilaine.

De façon ordinaire, lors de la tenue des Etats et la Chambre des Comptes, des bourses de jetons d’argent sont distribuées : « chacun aura receu la Bourse qui luy revient » et en signera une attestation. Ainsi celles, des conseillers des Etats sont toutes en velours uni et six d’entre elles, seulement, sont brodées. Pour le premier commissaire du Roi, le premier président du Parlement et l’Intendant, les bourses sont brodées à leurs armes. Pour chacun des présidents des trois ordres, les bourses sont brodées, mais sans armoiries. Le répertoire chromatique des bourses à jetons ordinaires  comprend le rouge, le vert, le violet et le jaune.

La bourse de la collection du musée de Bretagne est en velours à l’origine bleu. Son pourtour, aujourd’hui, n’est plus bleu mais presque gris-vert car le velu a disparu. Cependant aux abords du galon de fils d’or, demeurent quelques traces de velus bleus comme le confirme Angélique Durif (restauratrice textile). D’autre part, le fond brodé est bien conservé et la couleur bleue prédomine. La comparaison avec d’autres bourses conservées en France, montre que le fond  est toujours de même couleur que le pourtour. Par sa couleur bleue, la bourse conservée au Musée de Bretagne se distingue donc des bourses à jetons des conseillers et présidents des états de Bretagne.

2.jpg  3.jpgTraces de velu bleu sur le pourtour de la bourse (à gauche) et galon de fils d’or (à droite)   (Photographies Angélique Durif – Tous droits réservés)

De façon extraordinaire, les Etats de Bretagne accordent également des « bourses de jettons » à titre de gratification. Les bénéficiaires peuvent être des personnalités politiques, diplomatiques ou relevant du monde des Belles Lettres, ayant fait honneur à la Province. Lors de la session des états, ouverte à Rennes le 23 octobre 1786, une quarantaine de bourses de jetons sont ainsi offertes jusqu’à la fin de l’année. Notamment au sieur Ollive, caissier de Monsieur Beaugard trésorier des Etats de Bretagne à Paris, pour avoir fait venir des fourrages des foires de Hollande pendant la disette, ou autre exemple, au sieur Ethuivrin, Maître chirurgien, professeur et démonstrateur d’accouchement à Nantes en remerciements de ses instructions gratuites auprès des sages-femmes des campagnes. De toute évidence, la gratification la plus importante de 1786 est celle accordée à monsieur Roux, avocat des états au conseil du roi comme témoignage de satisfaction et avec des honoraires de 4 000 livres pour les années 1785-1786. Etant donné que les bourses brodées aux armes semblent être une valeur de gratification supérieure aux nombreuses bourses de velours unies, nous nous permettons d’en conclure que la bourse de la collection du Musée de Bretagne est peut-être celle offerte à Mr Roux le 23 novembre 1786 à titre de gratification.

 Les « comptes des jettons » révèlent de nombreuses informations sur les bourses des conseillers, mais aucune sur celles de gratification. Ainsi des détails sur les tarifs, et le nom des boursiers sont précisés. De la même manière, nous apprenons que les bourses de jetons des conseillers comme les jetons eux-mêmes sont fabriqués à Paris. Nous savons que les états de Bourgogne et du Languedoc s’y fournissent également, mais nous ignorons si c’est une pratique générale. Au niveau des tarifs : celles en velours unies valent autour de 6 livres. Les bourses en velours brodées valent entre 18  et 20 livres chacune qu’elles soient avec armes ou pas. Les frais d’emballage et la boîte en toile cirée qui sert à les transporter, ainsi que le port à la Messagerie sont facturés. Grâce à ces comptes, nous connaissons également les noms des boursiers et boursières parisiens qui les ont fabriquées : Madame Bouchet de 1722 à 1724, la Demoiselle Campenon de 1726 à 1732, le Sieur Davaux de 1731 à 1734 puis les marchands boursiers  Pontenier et Guesdon de 1736 à 1763. Cependant, après 1763 les noms des auteurs des bourses ne nous sont pas connus. Cette comptabilité nous laisse entrevoir un marché des bourses assez homogène sur l’ensemble du XVIIIe siècle. Des questions demeurent quant au monopole des boursiers parisiens sur ce marché. Si aucune trace d’archives ne permet de faire le lien entre le les boursiers parisiens et les bourses de gratification, peut-on supposer un marché local ? Ont-ils le droit de broder des armoiries royales et parlementaires ? Ce savoir-faire existe-t-il en Bretagne ?

Autour de ces objets, de leur fabrication et leur commerce, des règles se mettent en place progressivement à la fin du Moyen Âge, à travers notamment, la professionnalisation du métier de boursier à Paris. Les boursiers sont présents dès 1292 dans le « Livre des Métiers » d’Étienne Boisleau.

Les boursiers : la plus vieille organisation professionnelle de Bretagne

René de Lespinasse, dans son histoire des métiers et corporations de la ville de Paris, signale que le roi Charles VI, par lettres patentes du 25 février 1399, autorise les règlements d’une confrérie de « faiseurs de bourses », originaires de Bretagne, « où cet art s’est conservé longtemps ». En effet, les boursiers associés aux gantiers et blanconniers (blanchisseurs de peaux de moutons) de la ville de Rennes demandent la confirmation de leurs statuts professionnels au duc Pierre II dès 1395. Ce sont les plus anciens statuts de métiers conservés de toute la Bretagne. Leurs statuts sont confirmés et renouvelés en 1513-1562, en 1598 puis en 1655.

Avant l’octroi de ces statuts, les boursiers s’étaient organisés en « fraryes » (frairies) et participèrent en 1340 à la fondation de l’hôpital Sainte-Anne de Rennes, avec d’autres confréries de métiers. Témoignant de l’organisation pieuse et religieuse, en Bretagne, des métiers avant leur organisation en jurandes. Plusieurs cahiers de comptes, papiers de cueillettes de la confrérie des boursiers rennais sont conservées aux archives départementales d’Ille-et-Vilaine pour les XVIe et XVIIe siècles.

4.jpgLe Papier de cuillecte de la frarie des boursiers de ceste ville et faubours de Rennes, (1531) (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 G 245 191)

Armand Rébillon, décrit une affaire avec un « étranger » Jean Halloche qui témoigne de la vigilance  de cette communauté de métier rennaise à faire prévaloir ses statuts dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. En 1786, quelques boursiers payent leur capitation à Rennes, et font partie avec les blanconniers et gantiers de l’élite artisanale rennaise : Yves Coutard, Jean Nicolas, Nicolas Hiron etc. et surtout Toussaint Bichon qui paye, alors 24 livres de capitation. Le savoir-faire est donc présent depuis la fin du Moyen âge en Bretagne, et semble perdurer jusqu’au XVIIIe siècle.

Boursiers brodeurs

Savary des Bruslons précise dans son Dictionnaire universel que les bourses sont à usages multiples et de « façons si différentes qu’il est difficile de les dire toutes » boursicaud, boursette, aumônière, escarcelle, etc.  Toutefois, les « bourses en broderie & garnies d’or et d’argent fin » sont les plus précieuses. Sur une bourse brodée est-ce que le boursier réalise l’ensemble des travaux ? Le cuir est tanné par des confères, les fils sont préparés par des fileurs et teinturiers, les fils d’or et d’argent par des tireurs et fileurs d’or, etc. Pour le travail de la broderie fait-on appel aux brodeurs ?

Pour accéder à la maîtrise du métier de boursier, plusieurs chefs-d’œuvre doivent être fabriqués, dont une « bourse à jettons en velours brodée d’or et d’argent de taffetas, satin ou autres étoffes, & entre la doublure & le dessous de la dite bourse sera en cuir pour la maintenir, soit chamois, façon chamois tanné ou de meggie paré ou non paré, & les cordons de la dite bourse seront carrés ou ronds, or ou argent, avec boutons, crépine, frange ou autres garniture convenable à la qualité & richesse de la dite bourse » (statuts de Paris de 1641). Plus loin dans ces statuts, il est stipulé que pour la partie ouvragée de fils d’or et d’argent, la participation des maîtres brodeurs est recommandée, mais « sans que [ceux-ci] puissent faire monter, ni vendre aucuns desdits ouvrages. » Donc, la collaboration avec les brodeurs est recommandée mais est-elle systématique ? Les boursiers, sont-ils alors aussi des brodeurs ?

La bourse du musée de Bretagne, est bien une bourse de jetons à gratification, offerte lors de la tenue des états de Bretagne en 1786. Elle a sans doute été offerte à Mr Roux, avocat des états au conseil du roi avec 4 000 livres d’honoraires. Rien n’atteste que la commande fut faite auprès de boursiers parisiens en même temps que les bourses de jetons ordinaires. Ainsi, l’hypothèse d’une fabrication locale n’est pas écartée, alliant peut-être le savoir-faire du Maître boursier Toussaint Bichon et celui du seul brodeur travaillant alors avec le Parlement et la communauté de ville de Rennes, le maître brodeur Jean l’Epine ? Dans l’état actuel des recherches, nous esquissons les liens possibles qui unissent les artisans, les commanditaires et les bénéficiaires. L’étude de cet objet a permis de soulever de nombreuses questions et permet de révéler, au-delà de la problématique de l’attribution, une pratique éminemment politique, fréquente, ancienne et fortement symbolique, celle de la gratification.

Shantty Turck

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Mars 2019.

1 réflexion sur “Une bourse de gratification des États de Bretagne de 1786”

  1. Marie Jeanne Yvinec

    C’est très intéressant ! Je n’imaginais pas tout ce que peut « recouvrir » un tel objet, ni ce qu’il amène à découvrir.

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