Comment se fabrique une ville ? Qu’est-ce qui fait son identité, hier, aujourd’hui ? L’histoire urbaine de Rennes s’est vue récemment révélée par l’actualité archéologique, justifiant qu’un nouveau regard soit aujourd’hui porté sur la ville et son évolution, avec une acuité toute particulière. Tout au long d’un parcours chronologique allant de la protohistoire aux années 2000, l’exposition du musée de Bretagne invite les visiteurs à découvrir en objets, images et documents un récit urbain rythmé et singulier.

Un contexte inédit
Ces dernières années ont été offert aux archéologues de remarquables opportunités pour mener des opérations de sondages et de fouilles préventives sans précédent sur le territoire de Rennes Métropole. Liées à des projets d’aménagement urbain et de territoire de grande ampleur, ces recherches ont, depuis les années 2000, concerné au cœur de Rennes l’ancien hôpital militaire Ambroise Paré, l’ancien couvent de la Visitation (implantation d’une galerie commerciale), l’ancien couvent des Jacobins (construction du Centre des congrès), les places Sainte-Anne et Saint-Germain (chantier de la seconde ligne du métro), mais aussi l’ancien Hôtel-Dieu, ou la commune de Cesson-Sévigné. Ces fouilles, qui ont permis d’exhumer des éléments archéologiques nombreux, variés et parfois exceptionnels, renouvellent profondément la connaissance de l’histoire de Rennes et de son territoire, sur un temps long, de la période gallo-romaine à l’époque contemporaine, allant jusqu’à livrer des témoignages matériels sensibles sur la Seconde Guerre mondiale.

Le musée de Bretagne, en tant que musée de société et de territoire, s’est donc saisi de ces actualités pour proposer une exposition sur le sujet – la ville et ses mutations des origines à nos jours – en partenariat avec les acteurs incontournables de cette connaissance renouvelée, le Service régional de l’archéologie (Direction régionale des affaires culturelles de Bretagne) et l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), dans le cadre d’un commissariat partagé. Ainsi, parmi les quelque 430 objets présentés dans l’exposition, la moitié est de provenance archéologique, et pour une bonne partie, inédite.
Temps, espace et sociétés
Au sein de ce très vaste champ interdisciplinaire qu’est la ville, temps, espace et société sont les trois axes complémentaires qui ont servi de trame continue à l’élaboration de la réflexion. S’il a été nécessaire de s’appesantir sur la forme de la ville et son évolution, traduite par une importante démarche de réalisation cartographique, ou la manière de la construire et de de l’aménager, il n’en a pas été moins crucial de donner toute leur place aux populations et à leurs pratiques, qui ont façonné et explicité l’espace social et culturel urbain. Parmi les objets présentés, peu évoquent finalement directement la fabrique de la ville, si ce n’est sans doute certains matériaux de construction : les témoignages matériels ont été choisis pour ce qu’ils traduisent des sociétés ayant habité la ville, exercé des activités, s’étant adaptées à des contraintes ou ayant participé d’une certaine modernisation du cadre de vie urbain.

Si Rennes puise ses origines à la confluence de l’Ille et de la Vilaine (le toponyme d’origine gauloise, Condate, signifie confluence), sa compréhension actuelle, comme toute ville, appelle toujours les croisements. Son évolution sur plus de 2000 ans d’histoire est une construction progressive, résultant de la combinaison d’éléments naturels spécifiques tels que la topographie, la géologie ou l’hydrographie, mais aussi d’actions humaines et d’événements historiques, ayant façonné la ville selon des rythmes différents, créant tantôt des ruptures, au gré des destructions et des reconfigurations, ménageant tantôt des permanences, qui conditionnent encore largement sa forme et son aspect aujourd’hui.
Des avancées nouvelles
Raconter l’évolution urbaine de Condate à Rennes est un exercice ambitieux, tant l’épaisseur chronologique choisie, des origines à nos jours, la diversité des thématiques et la pluralité des disciplines mises à contribution ont généré une quantité considérable d’informations. Néanmoins les découvertes archéologiques permettent de mettre en relief à travers les siècles des étapes essentielles de sa structuration.
Ainsi, suite à la fondation de Condate, chef-lieu de la Cité des Riedones, à la fin du 1er siècle av. J.C., de nouveaux éléments sont venus corroborer la probable origine militaire des premiers travaux d’aménagement, sur une emprise d’environ 90 hectares : mise en place des composantes urbaines telle que la voirie et différents bâtiments à usage public, notamment religieux, et privés (habitat). A la fin de la période antique, c’est par ailleurs la dimension funéraire, illustrée par les fouilles récentes d’une nécropole sur le site de l’îlot urbain de la Cochardière (Hôtel-Dieu), qui offre l’opportunité d’étudier l’évolution d’un quartier de la ville antique dans un secteur jusqu’alors archéologiquement méconnu : la partie nord de Condate, intégrée à la ville romaine en expansion du Ier au IIIe siècle, est relativement abandonnée à partir du 4e siècle et occupée par une vaste nécropole, à l’extérieur du castrum édifié à la fin du siècle précédent.

Autre avancée notable, la connaissance de la ville médiévale intra muros a bénéficié des importantes découvertes de la place Saint-Germain, fouille réalisée dans le cadre du chantier de la seconde ligne de métro de Rennes Métropole. L’origine et l’évolution du quartier ont pu être reconstituées principalement du 11e au 18e siècle ; de nombreux vestiges ont été mis au jour, parmi lesquels des installations en bois (bâtiments, systèmes de circulations, palissades…), une portion d’un cimetière médiéval ainsi que les restes du rempart de la Ville neuve édifié au 15e siècle. L’étude du quartier Saint-Germain, où se sont installés à partir de l’édification de la nouvelle enceinte, nombreux bourgeois et commerçants, a ainsi apporté un éclairage nouveau sur l’histoire médiévale et moderne de Rennes, et notamment sur la relation de la ville à la Vilaine.

La mise en perspective du temps long
Il est à noter que plusieurs chantiers archéologiques contribuent à retracer un récit urbain sur le temps long. L’exemple de la place Sainte-Anne en fournit de précieux témoignages : potentiel site de l’implantation du forum antique, carrefour important et entrée nord de la ville, le quartier se révèle très actif et populaire dès la période gallo-romaine (artisanat). Il incarne un haut-lieu religieux, en raison de la présence d’une église (Saint-Aubin), d’un hôpital et son cimetière (Sainte-Anne) ou du couvent des Jacobins fondé au 14e siècle, lieu de pèlerinage dédié au culte de Notre-Dame de Bonne Nouvelle, qui occasionnera encore de nombreuses processions jusqu’au début du 20e siècle. Sa vitalité et son identité historiquement populaire, comme peut en attester l’étude récente par l’Inrap d’un ancien jeu de paume du 17e siècle situé rue Saint-Louis à proximité immédiate de la place, ont sans doute naturellement conduit à en faire aujourd’hui un quartier festif, touristique, que l’ouverture récente du Centre des Congrès dans l’ancien couvent des Jacobins et un projet d’aménagement urbain continuent de transformer.

Si le parcours chronologique et linéaire choisi est jalonné d’étapes, de transitions ou de ruptures constituant le rythme particulier de l’évolution de Rennes, l’exposition offre également en parallèle, des promenades singulières dans l’histoire de quatre quartiers identifiés pour la spécificité de leur évolution à travers le temps et abordés de manière diachronique. Les allers-retours entre passé et présent souhaités dans l’exposition trouvent ainsi leur écho dans les projets d’aménagement contemporains de certains d’entre eux, rendant palpable la manière dont une ville se reconstruit sur elle-même, intégrant consciemment ou non de nombreux héritages.

Qu’il s’agisse de vestiges matériels illustrant la relation de la ville à son territoire (mobilier provenant de la villa gallo-romaine de Noyal-Châtillon-sur-Seiche, commune de l’actuelle métropole rennaise), la vie quotidienne urbaine (fragments de verres à pied du XVIIe siècle, découverts place Sainte-Anne), de l’évolution de l’histoire de certains bâtiments historiques (transformation du couvent des Jacobins en magasin d’équipement militaire au XIXe siècle), ou d’événements ayant eu un impact déterminant sur la structuration urbaine (destructions des bombardements de 1944 dans le quartier Saint-Germain), l’archéologie fait ressurgir ici et là les témoignages concrets de cette longue transformation. Leur croisement systématique avec les sources historiques et les données cartographiques existantes ont infirmé ou confirmé nombre d’informations, en ont révélé d’autres, nourrissant de fait une véritable réflexion sur la construction de l’urbanité.

Une ville toujours en devenir
L’exposition « Rennes, les vies d’une ville » rappelle grâce à son titre que la ville est une entité vivante, en perpétuelle mutation, dont la construction progressive, comme autant de couches archéologiques superposées, bénéficie aujourd’hui d’une connaissance actualisée de premier ordre. Si ses nécessaires transformations actuelles et futures impliquent de nombreux projets et travaux, l’accompagnement régulier des opérations archéologiques préventives continue fort heureusement de documenter le passé de ce territoire, tout en contribuant de fait à en orienter les aménagements contemporains, donnant un sens toujours plus pertinent à ce long phénomène qu’est la fabrique de la ville.
Manon Six, responsable du pôle conservation du musée de Bretagne,
co-commissaire de l’exposition
Juillet 2019.
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