« De tout temps il y eut des enfants au travail, mais pas de « travail des enfants » : jusqu’au 19e siècle, l’expression ne pouvait faire sens, tant il était évident que les enfants participaient, comme tout un chacun, à la vie économique[1] ».

Le travail salarié
Le travail salarié des enfants est en effet une réalité depuis toujours. Mais c’est seulement au 19e siècle que le pouvoir public commence à prendre conscience de cette notion et de la nécessité de le contrôler et de le limiter. C’est ce qui explique que de nombreuses lois sont mises en place dans ce sens. La loi du 22 mars 1841 est la première grande loi visant à réglementer le travail des enfants. Elle définit l’âge d’admission des enfants au travail à 8 ans, et limite le temps de travail à 8h par jour entre 8 et 12 ans, et à 12h par jour entre 12 et 16 ans. Ces limitations seront peu à peu élargies et étendues avec d’autres lois, tout au long des 19e et 20e siècles.

Des inspecteurs sont désignés pour surveiller le travail des enfants. Ils peuvent dresser des procès-verbaux de contravention en cas de non-respect de la législation. Cependant, les inspecteurs ne sont pas toujours bien accueillis dans les usines. Par exemple, en 1912, dans la verrerie de Laignelet près de Fougères, les ouvriers s’opposent à l’inspecteur. Les fraudes semblent également courantes car il n’est pas rare d’employer des enfants en dessous de l’âge légal, et que ceux-ci soient renvoyés chez eux ou se cachent au moment de l’inspection.

Mais alors dans quels types d’établissements pouvait-on trouver des enfants ? Il serait difficile d’énumérer de façon exhaustive tous les différents « métiers » ou lieux d’exercice du travail des enfants tant ils sont nombreux car quasiment les mêmes que les adultes pendant longtemps, mais prenons quelques exemples.
La Bretagne n’est pas une région très industrialisée. Pourtant, c’est bien les manufactures, usines ou ateliers qui sont les établissements qui ressortent le plus car ils sont explicitement mentionnés dans les différentes lois mises en place, ou sur les documents de surveillance du travail des enfants. Il peut alors s’agir d’atelier de fabrication de verres, de chaussures, d’une briqueterie, d’une conserverie ou d’un atelier de ferblantier…

Cette main d’œuvre enfantine est souvent directement issue d’une famille ouvrière et vient « aider » les parents à l’atelier pour ajouter un salaire. Parfois, les enfants viennent des hôpitaux ou des orphelinats et sont victimes d’un « placement industriel ».

On peut évoquer un autre type de travail des enfants avec le cas des mousses. Ces enfants, âgés de 10 à 13 ans, partaient plusieurs mois sur les bateaux de pêche et vivaient alors dans de très difficiles conditions. Leur rôle était de préparer la nourriture et de servir tout l’équipage, de réparer les voiles, de laver le pont et le poisson… Tous les témoignages évoquent les insultes et les punitions physiques si le travail était mal fait ou si un mousse refusait ou oubliait de faire quelque chose. Ils étaient également servis les derniers pendant les repas, et ne mangeaient bien souvent pas à leur faim.

Les enfants pouvaient également être embauchés dans les théâtres, en tant que comédien ou généralement en tant que figurant. Aussi, les filles étaient souvent employées dans les débits de boissons, à faire le service en salle. Cependant, à partir de 1917, il est interdit d’employer des filles de moins de dix-huit ans. Cette loi pose problème aux aubergistes et restaurateurs qui en emploient et qui doivent alors se passer de ces aides. Nombre d’entre eux envoient des lettres de demandes de dérogations au préfet, qui répond toujours négativement.
Qui dit travail des enfants, dit également déviances et dérives. En effet, la prostitution des enfants, et plus particulièrement des filles, est aussi une réalité. Il n’est pas rare de trouver des jeunes filles de moins de 18 ans qui exercent ce « métier ». Elles se situent principalement entre 14 et 18 ans, mais sont parfois plus jeunes. Les maisons de redressement sont également souvent des lieux d’abus, voire d’exploitation du travail des enfants. Pourtant, à partir de 1892, les établissements de bienfaisance sont, eux-aussi, soumis à l’inspection du travail.
Le travail familial
Participer à la vie familiale aux 18e, 19e et même 20e siècles, c’est aussi participer au travail domestique quotidien, c’est faire sa part des « corvées » à la maison pour aider ses parents. Il est donc parfois difficile de considérer ce « travail familial » comme du travail en tant que tel. En effet, vu comme une norme et même comme une évidence, le travail familial n’a que peu intéressé l’État et n’a pas fait l’objet des mêmes sollicitudes en ce qui concerne la protection de l’enfance que le travail salarié. Pourtant, les enfants étaient mis à contribution au quotidien, et bien souvent au même titre que les adultes.

Le travail familial des enfants est quasiment invisible dans les fonds d’archives. De plus, il n’était jamais rémunéré ou déclaré. C’est donc souvent de façon indirecte que l’on peut en trouver des traces. Au-delà des archives écrites et pour pallier leur manque, l’alternative pour aborder ce travail familial peut être de privilégier les témoignages oraux et l’iconographie, généralement très riches en informations concrètes.

Les travaux agricoles sont de parfaits exemples et les plus courants de travail familial des enfants. Ils sont d’autant plus présents en Bretagne que la région est, jusqu’au milieu du 20e siècle, une région rurale peu urbanisée, dont l’économie est tournée vers l’agriculture. L’une des activités des enfants qui apparaît le plus souvent, c’est leur rôle de pâtre ou, comme ils sont systématiquement appelés, de « pâtous ». Ce rôle, on peut presque le considérer comme un « métier d’enfant ». En effet, ces gardiens de vaches, moutons et autres animaux étaient systématiquement des enfants. Ils étaient chargés d’aller faire paître les animaux et de les surveiller, dans une Bretagne où les clôtures des champs n’existaient pas encore.

Dans les régions maritimes, les enfant vont aider leurs parents sur les bateaux familiaux à la saison de la pêche à la sardine, ou vont à la pêche à pied pour ramasser le repas du soir par exemple. Dans les régions de marais salants, comme à Guérande, en Loire-Atlantique, il était courant que les enfants soient également présents dans les marais à aider leur famille. La récolte du goémon était également une activité à laquelle les enfants participaient, le plus souvent en famille.

Le travail domestique n’est pas sans conséquences sur le quotidien des enfants. Si certains enfants travaillent tôt le matin avant l’école et tard le soir en rentrant, sans que cela n’impacte de façon directe leur scolarité, d’autres sont retenus la journée par leurs parents pour aider à la maison. S’intéresser à l’absentéisme à l’école peut nous permettre de percevoir des traces de ces pratiques de travail familial. Bien souvent dû au désintérêt pour l’école de la part des parents qui n’y sont généralement eux-mêmes pas allés, l’absentéisme scolaire est une réelle conséquence du travail familial.
Des registres d’absences étaient tenus – plus ou moins précisément – par les instituteurs, ce qui peut nous donner des indications un peu plus détaillées sur les différentes raisons de ces absences. Quelques exemples :
« Les enfants ne s’absentent que pour la garde des bestiaux, ou pour faire la récolte des pommes et des châtaignes ; et leurs parents demandent la permission de les retenir chez eux, dans ces circonstances. »
« Un grand nombre des habitants de cette commune gardent leurs enfants à la maison pour les aider dans les travaux des champs. D’autres enfants sont occupés à la pêche de la sardine quand vient la saison. De là un si grand nombre d’absences. »
« Les principales causes qui empêchent les enfants de fréquenter assidument l’école sont d’abord la pêche qui enlève plusieurs pour s’embarquer mousses et aussi les travaux des champs. Les parents gardant leurs enfants afin de les aider. »
C’est cette fréquentation irrégulière des écoles que les lois sur l’instruction obligatoire tentent de pallier au cours des 19e et 20e siècles. Ces lois vont alors faire s’opposer deux logiques. D’une part, celle du chef de famille qui voit dans ses enfants une main d’œuvre gratuite voire même un moyen d’obtenir de l’argent supplémentaire ; d’autre part celle de « l’État-enseignant » qui, peu à peu, tente de défendre les droits de l’enfant, notion nouvelle qui apparaît à la fin du 19e siècle. Les lois Jules Ferry rendent l’enseignement primaire public et gratuit, et l’école obligatoire de 6 à 13 ans, en 1881-1882. Peu à peu, l’âge de scolarité obligatoire est repoussé. Tout d’abord, il passe de 13 à 14 ans en 1936, puis de 14 ans à 16 ans en 1959. Malgré tout cela, il serait illusoire d’affirmer sans aucun doute que le travail familial disparaît totalement à ce moment-là, ou même qu’il n’existe plus de nos jours.
Concilier travail et éducation : de l’école au métier
Les enseignements professionnels et techniques, sont des moyens de concilier instruction et travail, éducation et métier. C’est également une façon de concilier plusieurs logiques différentes, à savoir celle de la famille et celle de l’État. Différents types d’enseignement professionnels existent.
Tout d’abord, les écoles ménagères et agricoles sont principalement destinées aux filles d’agriculteurs, qui vont sans doute elles-mêmes devenir agricultrices. Malgré le mot « ménager », il nous faut bien préciser que ces écoles n’avaient pas uniquement pour but de former des « bonnes ménagères ». En effet, elles formaient également de futures agricultrices, capables de prendre part à la vie économique de la ferme familiale. Lorsque l’on parle d’écoles ménagères et agricoles bretonnes, on peut par exemple citer l’École de jeunes filles de Coëtlogon, à Rennes.

Précisons cependant que l’enseignement agricole n’est pas destiné uniquement aux jeunes filles. Certaines écoles sont créées pour les garçons, et plus précisément pour les « fils d’agriculteurs » comme par exemple l’École Pratique d’Agriculture de Plouguernével, dans les Côtes-d’Armor, où les garçons sont admis entre 14 et 19 ans afin d’être formés en vue d’une « carrière agricole ».

D’autres écoles, destinées aux jeunes filles cette fois, s’orientent sur des secteurs différents comme le commerce et l’industrie. Elles ont alors pour objectif de former à des métiers comme la comptabilité, le secrétariat… C’est le cas par exemple de l’École Vial, à Nantes.

On peut également citer les écoles maritimes, qui ont pour but de donner une instruction maritime et de former les mousses et les novices. Les élèves apprenaient à entretenir un bateau (briquage du pont, propreté des canots, manœuvre et matelotage…) et leur travail était inspecté par le capitaine. Pour accéder à ces écoles, il fallait être âgé de 14 ans et demi à 15 ans et demi, et respecter certaines mesures précises de taille, de périmètre thoracique, de périmètre brachial, de poids…

Une autre voie permettant de concilier travail et instruction, et qui va se développer peu à peu : c’est l’apprentissage. Tout comme le travail salarié des enfants, l’apprentissage va être peu à peu limité et encadré, afin d’éviter les abus. La première loi quant à l’apprentissage date du 22 février 1851, soit 10 ans après la première loi encadrant le travail des enfants. Elle instaure, entre autres, que « le contrat d’apprentissage est celui par lequel un fabricant, un chef d’atelier ou un ouvrier s’oblige à enseigner la pratique de sa profession à une autre personne, qui s’oblige, en retour, à travailler pour lui, le tout à des conditions et pendant un temps convenus ». Précisons bien sûr que la loi de 1851 ne marque pas les « débuts » de l’apprentissage et qu’il existait des apprentis bien avant.

Cette première loi est alors vue comme archaïque et paternaliste. En effet, elle comporte des manques, des lacunes. Par exemple, le contrat d’apprentissage ne doit pas obligatoirement être écrit, il peut simplement être passé à l’oral. Dès 1853, des « avis » sont ajoutés à la loi par les préfets qui conseillent de plus en plus les contrats écrits. En effet, un contrat passé verbalement ne garantit pas la sécurité de l’apprenti qui ne dispose alors d’aucune garantie écrite sur laquelle se reposer en cas de problème. De plus, aucun âge d’accès à l’atelier n’est fixé, simplement des limitations d’heures de travail. D’autre part, contrairement au travail des enfants, aucun service de surveillance ou d’inspection de l’apprentissage n’est mis en place, et aucune obligation d’instruction n’est imposée non plus. La loi précise cependant qu’aucun patron veuf ou célibataire ne pourra prendre de jeunes filles mineures comme apprenties, et que le rôle du patron est de « se conduire envers l’apprenti « en bon père de famille ».
Le 25 juillet 1919, la loi Astier rend obligatoires et gratuits les cours professionnels pour les apprentis, à hauteur de 150 heures par an. Il faudra attendre 1971 pour que les contrats d’apprentissage écrits deviennent obligatoires.
Conclusion
Le sujet du travail des enfants en Bretagne (18e-20e siècle) invite à se poser des questions, et notamment, dans un premier temps, à se demander ce que l’on considère ou non comme du travail. On comprend alors que les logiques des 18e, 19e et même 20e siècles ne sont pas du tout les mêmes que celles d’aujourd’hui. Tout en essayant de ne pas « juger » avec nos yeux de 2019, on se rend vite compte que le travail des enfants était quotidien et acquis pour tous : en bref, une norme. En effet, le travail des enfants est depuis toujours une réalité, qu’il s’agisse de travail familial – encore présent à l’état résiduel de nos jours – ou même de travail salarié. Les différentes lois relatives à ce travail nous montrent bien la logique qui opère, et l’évolution progressive des âges minimum et des durées de travail par exemple. Dans la même idée, on voit que les lois relatives à l’instruction ont un réel intérêt dans le cadre de cette limitation du travail des enfants.
Le travail des enfants en Bretagne est un sujet riche qui mêle diverses problématiques et qui entraînent des questionnements. Histoire, sociologie, ethnologie, anthropologie : cette question se trouve en fait à la croisée de plusieurs disciplines.
Emma Cesbron.
Septembre 2019.
[1] BONNET M. et SCHLEMMER B., « Aperçus sur le travail des enfants » dans Mondes en développement, n°146, 2009, p. 12