Par convention avec l’État (Direction régionale des affaires culturelles de Bretagne, Service régional d’archéologie) depuis 2004, le musée de Bretagne, dépendant de Rennes Métropole, est régulièrement dépositaire de mobiliers archéologiques découverts lors de fouilles réalisées sur le territoire breton. Spécifiquement concernée par les opérations se déroulant dans la métropole rennaise, dont celles du couvent des Jacobins, l’équipe de conservation du musée a donc été associée peu après la découverte de la sépulture de Louise de Quengo aux enjeux de conservation et de restauration des éléments composant un exceptionnel vêtement religieux. Le musée de Bretagne a confié la stabilisation et la restauration des vêtements au laboratoire Materia Viva de Toulouse, ainsi que celle des chaussures au laboratoire 2CRC à Grenoble, en vue de leur conservation et d’une présentation ultérieure au public.
Le musée conserve donc depuis 2015, dans ses réserves, ces pièces textiles, rejointes plus récemment par les quelques objets associés à la sépulture (notamment le crucifix et le cardiotaphe ayant contenu le cœur de son époux, Toussaint de Perrien). Mais cette responsabilité n’est pas sans poser des questions importantes en termes de conservation préventive et de possibilités de valorisation à l’avenir, en raison de leur caractère inédit. Bien que restaurés selon un protocole optimal, les vêtements, seuls éléments textiles archéologiques au sein des collections du musée, sont toujours susceptibles d’évolution et leur stabilisation aujourd’hui ne s’avère pas totale, requérant un contrôle minutieux et régulier, ainsi qu’un espace de conservation et des conditionnements adaptés.
Si la réserve dédiée aux mobiliers archéologiques stabilisés (Centre de conservation Auguste André) a initialement été identifiée comme la plus adaptée, le climat de celle-ci a néanmoins davantage vocation à répondre aux besoins de matériaux inorganiques qu’aux spécificités de pièces textiles. Le vêtement de Louise de Quengo est en effet principalement composé d’éléments en fibres animales (laine) et végétales (lin). Les 29 pièces composant le vêtement ont été entreposées, dès la fin de la stabilisation et selon les préconisations des restauratrices de Materia Viva, dans des conditionnements en polypropylène riveté favorisant la conservation à plat, non hermétiques pour favoriser la ventilation et éviter les confinements propices au développement de micro organismes.

Des caisses en plastique aménagées de type Allibert© ont été utilisées pour les chausses à boutons et certaines coiffes en fonction de leur format. Ont été en outre choisis différents matériaux de conservation synthétiques et neutres pour assurer calage et contact direct avec les textiles : mousse de polyéthylène de type Plastazote©, textile synthétique intissé de type Tyvek© (polyéthylène), papier de soie non acide, ouate. Les pièces de petites dimensions ont notamment bénéficié de conditionnements spécifiques dans des plaques de mousses creusées selon les formes des fragments textiles et recouvertes de Tyvek©.

Les chausses à bouton sont munies de rembourrage en vue de leur mise en forme, ce qui permet tant la conservation en réserve que la présentation.

Les coiffes sont positionnées sur des têtes de présentation en polystyrène associées à un support de mousse.

Enfin une boîte cartonnée a été précisément réalisée pour les mules, afin d’assurer le calage le plus complet pour ces objets particulièrement fragiles.
Le peu de connaissances et d’expérience concernant l’évolution des vêtements issus d’un tel contexte archéologique, ainsi que les fluctuations relatives du climat au sein des réserves, ont amené à l’élaboration immédiate d’un protocole de surveillance sanitaire régulier, assuré par l’équipe du musée, environ tous les deux mois dans les premiers temps, respectant des normes de sécurité et d’hygiène.

Ces vérifications sont l’occasion de constats d’état comparatifs et de nouvelles prises de vues, le risque le plus important étant une nouvelle reprise des infestations (micro-organismes ou insectes kératophages, notamment mites). Lors de ces contrôles, les manipulations demeurent extrêmement délicates, en raison de la fragilité des pièces et la nature de certains conditionnements initiaux, pouvant notamment contenir plusieurs pièces de grande taille superposées, et ne facilitant pas la sortie précautionneuse des objets pour examen.
Il est à préciser que l’état de conservation des pièces dès 2015 à leur arrivée dans les réserves était jugé relatif. Les interventions des restauratrices de Materia Viva ont eu avant tout pour but à partir de fin 2014 de mettre en conditions stables les éléments du costume prélevés dès l’autopsie huit mois auparavant : un délai qui s’est avéré préjudiciable à la parfaite conservation des chausses et des éléments textiles. L’ensemble des pièces étaient concernées par l’imprégnation d’humeurs de décomposition du corps, de sels de plomb et de sédiments, particulièrement les pièces qui étaient les plus proches du corps, ainsi que les parties arrières du vêtement).

Après les lavages réalisés par les restauratrices, s’est opérée une dégradation naturelle des fibres, jusqu’ici maintenus par ces imprégnations : cette désolidarisation des fibres, constatée à chaque vérification du vêtement, met progressivement en péril la conservation des pièces et restreint les manipulations.

Par ailleurs, d’autres éléments textiles continuent depuis leur arrivée en réserve en 2015 de perdre des liquides corporels, imbibant le papier de soie placé au contact du textile.

L’ensemble de ces phénomènes témoigne de la difficulté de la stabilisation définitive voire d’une procédure de restauration complète de ces objets.
Outre la nécessité de procéder à de nouveaux examens par des professionnels de la conservation-restauration, le musée a entrepris de limiter au maximum les manipulations complexes, occasionnant des tensions mécaniques, en travaillant sur des conditionnements améliorés. En 2017 a ainsi été réalisé un nouveau support par la cellule régie-conservation préventive du musée pour une des pièces du vêtement de grandes dimensions, la robe, afin qu’elle soit conservée individuellement et soit aisément manipulable pour les vérifications : un plateau avec cadre en plexiglas recouvert d’une grille fine en polyester (type moustiquaire) permettant une libre circulation de l’air, est conçu pour la conservation comme pour l’exposition, notamment lors de la présentation-écrin « Louise de Quengo, la dame des Jacobins » au musée de Bretagne (décembre 2017-janvier 2018).

Cinq autres éléments pourraient être concernés à terme, en raison de leurs dimensions, par ce changement de conditionnement (chemise et manche, cape pliée , fragment du dos de la cape, linceul, scapulaire).
En raison de leur nature et de leur état de conservation, les vêtements de Louise de Quengo ne sauraient être présentés au public de manière permanente. Si leur exposition a pu s’effectuer partiellement et ponctuellement depuis leur mise en dépôt au musée, des modalités de valorisation plus pérennes restent encore à imaginer afin de donner accès au public à toute la richesse des informations livrées par ces témoignages exceptionnels. Un nécessaire travail de médiation auprès des publics demeure à mettre en œuvre par le musée de Bretagne grâce aux études menées sur le vêtement depuis sa découverte, notamment par Véronique Gendrot (Service régional d’archéologie de Bretagne). Cet ensemble patrimonial inédit et très attendu du public pourrait ainsi faire l’objet :
-d’une restitution numérique pour comprendre la composition du vêtement et la superposition des pièces,
-d’une restitution matérielle par le biais d’un retissage du vêtement dans un but pédagogique, sur la base des patrons qui ont pu être réalisés assez précisément au cours de l’étude.
Enfin la valorisation du vêtement s’accompagne nécessairement de recontextualisation pour cette découverte archéologique spécifique : place de la découverte au sein de la fouille plus globale du couvent des Jacobins, réalités des pratiques funéraires des élites au 17e siècle… C’est le choix qui a notamment été fait en 2017 dans le cadre de la présentation-écrin, en partenariat avec l’Inrap, « Louise de Quengo, la dame des Jacobins » et qui a permis, outre certaines pièces du vêtement, de présenter au public des objets restaurés pour l’occasion par le laboratoire Arc’Antique (Grand Patrimoine de Loire-Atlantique, Nantes) (fig. 10).

Les cardiotaphes découverts aux Jacobins ainsi que l’un des cinq cercueils en plomb trouvés sur le site ont ainsi pu être exposés pour la première fois.
La conservation pérenne d’objets archéologiques peut s’avérer être un travail incertain et de longue haleine, dès lors que ceux-ci, de par leur caractère inédit (matériau, état sanitaire, protocoles) nécessitent une vigilance accrue et une adaptation des pratiques courantes de l’institution. Si la préservation exceptionnelle de ces témoignages rares constitue une chance réelle, le musée s’en trouve renforcé dans ses responsabilités, à l’égard des publics actuels et des générations futures. Outre la conservation matérielle qui lui incombe, heureusement accompagné par les professionnels de la conservation-restauration, ce sont bien les propositions de médiation et de restitution élaborées par le musée qui permettront de prolonger et de transmettre les connaissances scientifiques acquises, en vue d’une meilleure diffusion et compréhension par les publics.
Manon Six.
Novembre 2019.
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