
Le 10 octobre 2019, les équipes de la régie du musée de Bretagne et de l’Écomusée du Pays de Rennes ont suivi une formation autour de l’identification des dépôts sur le cuir. La collection concernée était le fonds de bourrellerie – pièces d’attelage dédiées au travail des chevaux – conservé dans un rayonnage entier des réserves externes, et acquis en plusieurs fois auprès de bourreliers et d’agriculteurs au cours du 20e siècle.
Pour connaître la raison de cette formation, il nous faut remonter à septembre 2018, où de mystérieux dépôts blanchâtres ont été retrouvés sur des selles et colliers de ce fonds. En passant légèrement le doigt, ces plaques à l’aspect farineux et pulvérulent se retiraient assez facilement. Première pensée alors : il s’agissait de moisissures. Dans cette situation, il fallait pour l’équipe de conservation garder la tête froide, et établir un premier bilan sur divers objets du fonds. Item par item, un constat d’état précis de chaque selle et collier a été réalisé, après quoi l’équipe a contacté une restauratrice spécialisée dans les matériaux organiques, Gwenaël Lemoine, du laboratoire Arc’Antique (Nantes). Une journée de bilan sanitaire a ensuite été programmée, afin d’examiner à la loupe chaque objet et de faire des prélèvements. Des tests ont été réalisés pour tenter de déterminer la nature de ces dépôts, puis chaque objet suspecté d’être infesté par des moisissures a été isolé des autres non contaminés.
Les prélèvements effectués ont été analysés au microscope électronique à balayage, ou MEB, et au spectromètre à dispersion d’énergie (EDS). Cette étude a permis d’identifier chimiquement les prélèvements, et de remarquer des éléments principalement carbonés dans les courbes générées. Ceux-ci, dans un premier temps, pouvaient aussi bien correspondre à des corps gras qu’à des moisissures – ou champignons microscopiques, constitués entre autres de spores très volatiles. Mais, couplés à une identification à la binoculaire, les résultats ne faisaient plus de doute : il s’agissait sur les divers objets de sels et de repousses grasses. Il n’y avait donc pas besoin d’ajouter à ces analyses une étude plus poussée qui aurait consisté à mettre en culture les éléments prélevés afin de voir s’ils proliféraient ou non, c’est à dire de les mettre dans un contexte propice à l’éventuelle multiplication des spores. Quand rien ne se passe dans ce cas, il ne s’agit pas de moisissures.
Les repousses grasses correspondent à la remontée sous forme de corps gras et farineux de graisses incorporées au cuir par le biais des soins huilés, type huile de pied de bœuf. Les sels, particulièrement visibles à la binoculaire par leur aspect cristallin, sont probablement le résultat de la sueur des hommes et des chevaux reçue par les objets pendant leur utilisation.


L’équipe aurait pu s’arrêter là, rassurée par ces résultats encourageants : il n’y avait pas de moisissures et donc pas de risque d’infestation des collections voisines. Mais dans le cadre d’une réserve muséale, il s’agit d’être très précautionneux : c’est en effet dangereux de laisser ce genre de dépôt s’agrandir. Les repousses grasses, en tant qu’éléments huileux, constituent une barrière pour l’eau. Si celle-ci n’est plus en mesure d’hydrater le cuir, l’objet, se dessèche et se craquèle peu à peu. Donc, en pensant à long terme, il est bon de s’en débarrasser, et surtout de ne plus huiler/cirer les objets pour en prendre soin. Les sels, eux, sont hygroscopiques : ils attirent l’eau. A l’inverse des repousses grasses, ils peuvent, dans un univers trop humide, concentrer trop d’eau à la surface du cuir. Les deux dépôts enfin peuvent attirer la poussière, elle-même hygroscopique, et qui constitue une nourriture pour… les moisissures. Si l’environnement se charge en eau et que le cuir est couvert de dépôts poussiéreux, il y a de fortes chances pour qu’une infestation se développe si des spores se faufilent dans les rayonnages. Les maîtres mots donc : inspection et nettoyage réguliers.

Aussi, pour aider les équipes à avoir les bons gestes, Gwenaël Lemoine s’est déplacée dans les réserves pour tester les méthodes de reconnaissance et de nettoyage des dépôts. Au programme : identification à la binoculaire, micro-aspiration à l’aide d’aspirateurs à filtres HEPA (High Efficiency Particulate Air), et tests à l’aide de produits sur une petite partie du dépôt : les repousses grasses réagissent au White Spirit, et les sels se dissolvent à l’alcool. Des opérations très minutieuses qui demandent temps et concentration.


S’il est difficile de stabiliser ces dépôts, traces de l’utilisation passée des objets, les équipes peuvent influer sur leur environnement afin que les moisissures, fléaux des musées, ne prolifèrent pas. Il s’agit donc de maintenir une hygrométrie ambiante stable autour de 50%, une température entre 18 et 20°C, et de ventiler la réserve. Ce sont là des opérations de conservation préventive qui maintiennent les objets dans un contexte adapté afin que les dégradations biologiques opèrent le moins possible.

Pourquoi un tel soin ? Même s’il s’agit d’outils apparemment usuels, ces colliers et selles de cheval n’en sont plus : par leur entrée au musée de Bretagne, ils font maintenant partie de collections inventoriées aux Musées de France. Ces objets sont à présent conservés pour leur aspect mémoriel, exemplaires qu’ils sont d’une pratique parfois disparue. Ils attendent donc le moment d’être valorisés lors d’une exposition au musée, d’une visite, d’un prêt extérieur ou d’une recherche. Ils n’ont plus vocation à servir. En cela, il n’est plus besoin de leur apporter un soin qui les abime plus qu’il ne les protège sur le long terme. L’objet muséal inventorié change de statut dès son entrée dans les collections : il est alors sous la protection de la conservation préventive, qui se chargera de le faire durer le plus longtemps possible, pour la mémoire des générations futures. Selles, colliers, rênes, longes, prennent maintenant une retraite confortable sur les rayonnages des réserves du musée de Bretagne et de l’Écomusée du Pays de Rennes, sous l’œil prudent, et maintenant averti, des équipes.
Charlotte Labbe
Décembre 2019