Régie, réserves et collections : le travail au cœur du musée

Le visiteur d’un musée croit tout voir dans les collections exposées. Il n’imagine pas l’étendue de la réserve, peut-être pas son existence même. S’il apprend cette existence, elle lui apparaît comme l’endroit caché des musées, un peu immobile, poussiéreux, enfoui dans les tréfonds de ces bâtiments aux méandres incertains. On ne la voit pas, donc elle n’existe pas. Pourtant, elle contient bien souvent plus de 80 % des collections conservées dans un musée. Partie cachée de l’iceberg, elle surprend souvent les personnes qui la visitent, ignorantes qu’elles étaient de cette richesse enfermée.

Les collections constituent le cœur du musée, ce pourquoi il existe. La réserve en est l’écrin. Par le passé, ses pièces étaient plus encombrées, moins organisées. Mais les temps ont changé… les musées se dotent peu à peu de réserves et de matériel de conservation hautement pensés pour la bonne préservation des objets. La devise : préservation, fonctionnalité, accessibilité, consultation, sécurité.

Dépoussiérage lors du récolement – CC BY SA – Cliché A. Amet, photothèque musée de Bretagne

Le Musée de Bretagne présente dans son parcours permanent Bretagne est Univers 2300 objets, représentatifs de la mémoire individuelle et de l’histoire collective de la Bretagne. Mais ses réserves en conservent… près de 700 000 ! Sur plus de 2600 m2, c’est autant de témoins de l’histoire culturelle bretonne qui, par sa diversité, s’oppose aux clichés que l’on s’en fait.

Ces réserves, riches tant par la signification des objets que par la typologie des matériaux conservés, ont besoin d’une attention constante. De plus en plus étendues, elles nécessitent d’être quotidiennement contrôlées par les agents de la régie des collections. La notion de régie des œuvres émerge dans les années 70. Plusieurs personnes dans les plus grands musées sont affiliées à la surveillance des collections et à leur bonne préservation.

Il y a au musée de Bretagne une cellule dédiée à ces activités. Trois personnes – et une personne à l’Ecomusée – œuvrent chaque jour à la préservation des collections dans un environnement stable, aidées par tout le pôle conservation et le personnel de l’atelier technique. Pour les membres de la régie des collections, tout tourne autour de la notion de conservation préventive. Son importance est établie à tous les niveaux de la pratique muséale ; ainsi on apprend sur le site du Centre de recherche et de restauration des musées de France qu’elle « intervient sur l’ensemble des domaines qui peuvent avoir des incidences et des effets sur l’intégrité d’une collection, d’un objet ou d’une œuvre d’art, et menacer à terme son existence ».

Un exemple parmi les altérations diverses causées, les infestations fongiques peuvent se révéler problématiques : au détour d’une visite de routine dans les réserves externes du musée de Bretagne, ont été notés de petits amas farineux sur la surface de matériels de harnachement. Ces collections, acquises via des agriculteurs notamment, occupent une travée entière. La question de la nature de ces dépôts blanchâtres qui reviennent apparemment fréquemment, s’est vite posée. Moisissures ? Remontées graisseuses liées à la cire régulièrement passée ? Cristaux de sels ? Une restauratrice spécialisée dans les matériaux organiques au laboratoire Arc’antique à Nantes s’est donc déplacée pour examiner chaque selle et collier. Ceux-ci étant très lourds, 3 personnes de la régie l’ont aidée. Les objets ont été examinés et triés. Pour séparer les items, qui étaient à la base rangés les uns sur les autres, de nouvelles tablettes ont été ajoutées dans les rayonnages, chacune nettoyée à l’alcool. Enfin, les objets douteux ont été isolés des autres par une bâche en plastique de conservation. Ainsi, les spores éventuelles, très volatiles, ont été enfermées.

Nettoyage à l’alcool des étagères avant de reposer les collections de harnachement – avril 2019

C’est un exemple parmi d’autres de ce que peut être un chantier d’examen à but curatif. Mais les moisissures, ou même les insectes, ne sont pas les premiers facteurs de dégradation, puisqu’il s’agit tout simplement… de l’être humain. Si personne n’est à l’abri de faire tomber un objet, tout est fait au musée de Bretagne pour aider les agents à préserver les collections au mieux : rayonnages mobiles adaptés, chariots, ouvertures sécurisées.

Chaque agent porte une attention particulière à son comportement : lumière éteinte en partant, pas de point chaud, pas de nourriture ni d’obstacle dans les allées des magasins, pièges à insectes régulièrement changés. Les réserves sont aussi fréquemment inspectées et les objets récolés, c’est-à-dire vérifiés sur place, pour évaluer s’ils sont toujours conformes à l’inventaire original. Enfin, elles sont contrôlées climatiquement grâce à une centrale d’air, des déshumidificateurs, et des capteurs connectés qui permettent de signaler aux agents presque en temps réel les variations climatiques qui pourraient poser problème.

Si la réserve est la garante de la bonne santé des objets, ceux-ci se dégradent néanmoins. Le travail des restaurateurs intervient lorsque des dommages ont été constatés, ou bien pour prévenir de futures altérations. Il s’agit d’opérations complexes et minutieuses qui sont le fait de ces professionnels agréés, aux spécialités aussi diverses qu’il y a de typologies d’objets. En lien direct avec la régie, ils émettent des préconisations ou réalisent par exemple des supports et conditionnements adaptés à la demande du musée, en tenant compte de l’environnement de l’objet et de sa place dans la réserve : c’est le cas pour la bourse de jetons donnée par l’AMEBB au musée de Bretagne en 2016 et restaurée en 2018. Son conditionnement a été étudié pour ne pas dépasser la hauteur du tiroir. Par ailleurs, la mise en place des préconisations des restaurateurs en réserve fait partie intégrante du travail de la régie.

En tant que gardienne des collections muséales, la régie est garante de leur bonne santé : elle met en place les préconisations des restaurateurs, effectue des tours réguliers d’inspection dans les locaux. Ces espaces de conservation n’en sont pas moins des lieux de travail et de vie. Ainsi selon les sénateurs  Ph. Richert et Ph. Nachbar «La question de l’organisation et du fonctionnement des réserves, loin d’être un enjeu mineur, prend une importance croissante: de greniers poussiéreux, elles doivent devenir le pivot sur lequel tourne la vie du musée.»(2012).

Régulièrement, les agents de la régie s’affairent dans les rayonnages, sortent des collections en vue des prêts extérieurs pour d’autres institutions, ou pour les expositions temporaires du musée de Bretagne. La vitrine « S’habiller en Bretagne » par exemple, ouverte lors de la Nuit des musées le 18 mai, a occasionné un travail soutenu de mouvements d’objets dans la réserve des textiles, pendant plusieurs mois.

Réserve textile pendant la préparation des costumes pour la nouvelle vitrine – housses des vêtements restées en réserve – mai 2019

Les nombreuses demandes de visite occasionnent aussi des sorties de collections pour des consultations de chercheurs, d’étudiants, mais aussi de particuliers qui ont un projet spécifique. Demande de photogrammétrie d’un élément de mégalithe, de scan de poids en pierre de l’âge du bronze, d’examen d’ossements du néolithique ou de tirages photos donnés au musée, toutes les demandes effectuées débouchent sur des articles ou des discussions qui peuvent agrémenter la documentation des objets, et enrichir le savoir que l’on en a, tout en satisfaisant la curiosité ou les projets de chacun.

Étude chimique de haches polies dans les réserves externes – mai 2019

Les prestataires travaillent parfois même directement au sein de la réserve : dans le magasin d’arts graphiques particulièrement, des agents extérieurs ont dépoussiéré, récolé (vérifié la conformité à l’inventaire) et reconditionné les documents pendant plus de 3 ans, de 2016 à 2019. N’oublions pas enfin tout le travail de maintenance effectué par les nombreux agents spécialisés dans la climatisation, les petites réparations de plomberie, d’électricité, et tant d’autres.

Ainsi, les réserves du musée de Bretagne sont un élément central : elles permettent la bonne conservation des objets, tout en étant le théâtre du travail quotidien de la régie et de différents prestataires. Et si c’est le but d’un musée de conserver les collections en bonne santé, il a aussi pour mission de les valoriser, puisqu’elles sont le bien de tous. Si elles sont protégées par l’écrin que constitue la réserve, elles sont aussi montrées en exposition, consultées,  sorties, rangées, prêtées, restaurées. Il y a donc un équilibre fragile entre ces besoins : comment en effet valoriser un objet qui, pour durer, doit être conservé dans le noir et sans manipulation ? Riches de leurs collections, terrain de travail de la régie, les réserves du musée de Bretagne et de l’Écomusée, comme tant d’autres, témoignent de ces problématiques diverses.

Charlotte Labbe, régisseuse.

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