Jusqu’aux années 1930, la canne est un accessoire indispensable du costume masculin. Ornées de pommeau en ivoire, en os, en bronze ou encore en bois précieux, les cannes se distinguent par des ornements très variés, fruits du travail de tabletiers. Parmi les nombreuses catégories de cannes décorées, dont les thématiques sont très diverses, on trouve les cannes dites d’opinion. Elles représentent le plus souvent des figures d’hommes politiques ou de philosophes, de façon très réaliste ou caricaturale.
La représentation du « juif » tient une place particulière parmi ces cannes d’opinion. Dès le 18e siècle, sont réalisées des pipes, des cannes, des figurines sur lesquelles étaient sculptés ou dessinés des personnages caricaturés censés évoquer le « juif ». On trouve sur ces objets les mêmes traits antisémites que l’on rencontre sur les affiches ou les images populaires, les personnages ayant toujours un nez proéminent, attribut raciste le plus fréquemment utilisé.
La canne conservée au musée de Bretagne, dans le fonds Dreyfus, s’inscrit dans cette veine. Elle nous montre un personnage au nez très long, surmonté de petites lunettes supposées évoquer l’usurier, chevaux frisés, papillotes qui insistent lourdement sur l’appartenance religieuse. Ce type d’objet de facture très soignée est destiné à une classe aisée et témoigne de la très large diffusion de la caricature antisémite, non seulement à travers la presse et l’illustration, mais aussi par le biais d’objets décoratifs ou usuels. Ces objets symbolisent à eux seuls le climat antisémite dans lequel baigne la France quelques années avant l’Affaire Dreyfus. La tête de mort coiffée de la kippa qui prolonge le visage du « juif » parle d’elle-même, elle transmet un message féroce et sans équivoque possible. Toute le violence de l’atmosphère générale dans laquelle se tiendront les procès du capitaine Dreyfus est concentrée et résumée dans cet objet.


Dans la même veine, d’autres cannes antidreyfusardes représentent tour à tour un officier alsacien, nez proéminent et corde au cou, le profil de Jaurès au nez aquilin et portant une barbichette taillée en pointe, ou encore le portrait caricatural d’un officier juif dont le costume est orné de l’étoile de David en lieu et place des insignes militaires. Si ces cannes d’opinion antidreyfusardes ne sont pas très fréquentes, il n’en demeure pas moins que des modèles différents se trouvent assez fréquemment en vite publique, ce qui indique l’existence d’une fabrication, sinon importante, du moins régulière.
Laurence Prod’homme
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