« L’habit ne fait pas le moine » dit le proverbe, sauf peut-être lorsqu’il s’agit de vêtements de travail… D’un seul regard porté à la tenue, on reconnaît souvent la profession d’un individu. C’est un signe distinctif qui dit beaucoup. Il permet d’identifier un métier, comme de véhiculer des notions plus abstraites de pouvoir, de hiérarchie, de distinction sociale ou d’identité collective. Vêtements de travail et uniformes ont donc parfois des fonctions, parfois des rôles symboliques, mais toujours des significations. Les photographes des années 1850 à nos jours se sont emparés de cette thématique dans laquelle le lien social transparaît à chaque image. Une sélection de clichés extraits des collections photographiques du musée de Bretagne vous propose de décrypter cet univers codifié.
Les habits du pouvoir
Habit militaire, robe des gens d’église et des gens de justice ont un rôle symbolique commun : imposer l’ordre et l’autorité. Ces vêtements, que l’on qualifie alors d’apparat plutôt que de travail, assoient le pouvoir de ceux qui les portent. Ils les distinguent du commun des mortels, et ainsi codifient les rapports humains. Au-delà de l’aspect des tenues qui, d’emblée, impose une certaine solennité, les coupes, les couleurs et les accessoires indiquent précisément le niveau hiérarchique. Pour peu que l’on sache encore les décrypter…
Habit et ordre moral
La robe des gens d’église possède un pouvoir symbolique fort : elle affirme l’autorité morale de celui qui la porte. Codifiée, elle indique aussi sa place dans la communauté religieuse. Ainsi, la soutane est noire pour les prêtres, violette pour l’évêque, rouge pour le cardinal. De même, la robe est noire chez les moines Bénédictins, brune chez les Franciscains, blanche chez les Dominicains. Avec le concile Vatican II, après 1965, la tenue change et son influence diminue : pour se rapprocher des paroissiens, les prêtres revêtent sobrement veste et pantalon noirs en dehors des offices liturgiques.

Uniforme et hiérarchie
L’uniforme militaire est imposé à partir de 1670, sous Louis XIV, afin d’instaurer hiérarchie et discipline dans l’institution. Depuis cette date, il sert à identifier les armées et les corps, donc à différencier les hommes, tout en donnant une apparence commune à un groupe. En conséquence, il est à la fois facteur de distinction et de conformité. Enrichi d’insignes de grades et de décorations militaires, il dit la force dans laquelle son détenteur sert, son parcours et son niveau des responsabilités. En ce sens, il est aussi symbole de pouvoir, d’autorité, et longtemps d’ascension sociale.

Habit et autorité
Composée à l’origine d’une soutane noire, proche de l’habit du clerc, et du manteau royal rouge, la robe des gens de justice naît au 13e siècle. Sous l’ancien régime, elle est fournie aux magistrats des parlements par le roi, qui la porte lui-même au moment de son sacre et de son enterrement. Cette tradition symbolise la délégation de la justice par le souverain aux magistrats. Disparue sous la révolution française, la robe réapparaît sous l’Empire : Napoléon crée des séries de costumes judiciaires. De nos jours, ils représentent la permanence, l’universalité et l’autorité de l’institution.

Porter les couleurs
Certaines tenues de travail sont porteuses d’une identité professionnelle collective : l’individu s’inscrit alors dans une communauté et se fait reconnaître des autres comme tel. Imposé par l’employeur, le vêtement de travail affirme l’image de l’entreprise. Il indique aussi un statut ou une fonction. C’est le cas des uniformes civils qui se généralisent au début du 19e siècle, comme ceux des lycéens et des postiers. Les couleurs des tuniques en milieu hospitalier jouent également ce rôle : vert, bleu, blanc rayé de rose, le vêtement renseigne immédiatement sur le métier de chacun.
Au feu !
La tenue d’intervention des pompiers est reconnaissable par tous. Elle véhicule une image très positive de la fonction, celle de sauveteurs toujours prêts à porter assistance. Le costume de sortie, c’est-à-dire de représentation, est moins connu. Proche de l’uniforme militaire, cette tenue, ses insignes et ses attributs indiquent corps et position hiérarchique. Ils sont strictement réglementés par arrêté ministériel. Les tenues des pompiers renvoient à une identité collective forte, celle d’une profession unanimement reconnue et plébiscitée.

Uniforme à l’école
Porter un uniforme en situation d’apprentissage est une pratique qui émerge au début du 19e siècle : dans une volonté de hiérarchiser la population civile, Napoléon créé des uniformes pour les professeurs et leurs élèves, très proches de ceux des militaires. Ces tenues réunissent dans une même identité écoliers ou étudiants, abolissant les différences de statut social, au moins en apparence. À quelques rares exceptions près, ils ne sont plus imposés depuis 1968, mais son retour est régulièrement discuté.

Poste, télégraphe et téléphone
Dès la création des premiers relais de poste à la fin du 15e siècle, les postiers, alors appelés postillons, portent un uniforme les distinguant du reste de la population. Au milieu du 18e siècle, apparaît le premier uniforme de facteur. Non fourni par l’administration, il est à la charge de chacun. Il fait de l’individu un agent d’État reconnaissable de tous au premier regard. Aujourd’hui, on parle plutôt de tenues de travail que d’uniformes. Désormais fournies par La Poste à ses agents, elles sont fabriquées par l’entreprise bretonne Armor Lux depuis 2004.

Blouses blanches
À l’hôpital, les tenues de travail, souvent blanches et parfois rayées de couleur, signalent la fonction. Le vêtement devient alors langage. Il marque l’identité de son porteur et agit comme un signe de reconnaissance pour les patients, leurs proches, mais avant tout pour les personnels soignants eux-mêmes. Enfiler sa blouse revient en outre à faire une transition entre la sphère privée et la sphère publique. Aujourd’hui composée d’une tunique et d’un pantalon, mais longtemps d’une féminine blouse blanche, la tenue de l’infirmière a fait naître de nombreux clichés…

Mode dans les airs
La profession d’hôtesse de l’air apparaît en France en 1946. Très rapidement, on dote ce personnel d’un uniforme qui l’identifie auprès des passagers. Il doit véhiculer l’image de la compagnie aérienne, apporter confort, mais aussi – et surtout – mettre en valeur la femme qui le porte. Afin d’instaurer calme et confiance, un rapport de séduction doit s’établir entre l’hôtesse et ses voyageurs. Une tenue seyante y contribuant, on fait souvent appel à de grands couturiers pour créer ces uniformes. C’est sans doute pourquoi l’image glamour de l’hôtesse de l’air est si ancrée dans les mentalités.

Béret, pompon et marinière
Jusqu’au 19e siècle, le matelot embarque avec ses propres effets. En 1858, un décret lui définit un uniforme, désormais fourni par la Marine. Par souci d’identité visuelle commune et de fonctionnalité de la tenue, on lui attribue : pantalon à pont, tricot rayé, manteau court en drap de laine (ancêtre du caban) et bonnet à pompon. Ces éléments deviennent les signes identitaires du marin. Demeurant propriété de celui-ci, ils sont portés dans la vie civile. Ils perdent alors leur caractère militaire mais conservent leur connotation marine. Les couturiers s’en emparent, Jean-Paul Gaultier en tête.

Protéger son corps, protéger sa vie
Pour de nombreuses professions, le vêtement de travail joue un rôle pragmatique de protection ou d’apport de confort. De manière choisie ou imposée, on protège ses vêtements des taches et salissures, son corps des intempéries ou des outils coupants, et, dans certains cas, on protège sa vie tout simplement… À la différence des habits du pouvoir et des vêtements d’image, ces tenues vivent avec ceux qui les portent : tachées, trouées, elles sont souvent reprisées, ravaudées pour durer plus longtemps. Les travailleurs ont toujours cherché à se protéger de blessures potentielles, ils sont désormais relayés par les employeurs. La législation leur impose la mise en place de mesures de sécurité strictes.
Des vêtements qui travaillent
À la différence des tenues d’apparat ou d’image que l’on porte pour représenter une fonction, le vêtement de travail n’a d’autre but que de protéger celui qui le porte. Quand les unes doivent rester impeccables pour assurer leur mission, l’autre travaille et souffre avec son détenteur. Dans bien des métiers, on le tache, on le lacère, mais on le recoud, afin de prolonger sa durée de vie. Pantalons, vestes et tabliers prennent parfois l’aspect de véritables patchworks.

Se protéger
En fonction des risques du métier, le travailleur cherche à se protéger. Protéger certaines parties de son corps, comme le font les cercliers et les ardoisiers, ou protéger sa vie directement, comme le font les marins et les sauveteurs en mer. De nos jours, le code du travail impose aux employeurs de prévenir et limiter les risques, ainsi que de fournir aux salariés les moyens de protection adaptés à chaque poste. C’est le rôle des EPI – Équipements de Protection Individuelle (gants, casque, lunettes, etc.) – que les employés sont dans l’obligation de porter en retour, sous peine de sanction.

Du blanc et du bleu
Au sein des tenues protectrices, deux couleurs dominent et s’opposent : le blanc des métiers de bouche et le bleu des métiers manuels. Bouchers, boulangers et cuisiniers portent traditionnellement des vêtements immaculés, symboles d’hygiène. Ces effets les protègent et permettent d’instaurer une relation de confiance entre ces artisans-commerçants et leurs clients. Le bleu, qu’il désigne la couleur ou la tenue, incarne le monde ouvrier, mais son usage s’étant au milieu agricole. Il renvoie à une identité de classe toute entière. L’usage et la symbolique de ces deux teintes perdurent encore aujourd’hui.

Rester soi : personnaliser sa tenue
On ajoute parfois des signes distinctifs personnels à son uniforme ou à sa tenue de travail. Il s’agit de conserver et d’affirmer sa propre identité aux yeux de tous. De nombreuses Bretonnes ont sovent gardé leur coiffe, signe de reconnaissance géographique et culturel, aux champs comme à l’usine. À l’aube de la Première Guerre mondiale, un zouave fait exceptionnellement broder son uniforme militaire de motifs supplémentaires non réglementaires… Certains étudiants se coiffent de la faluche, béret dont rubans et insignes, codifiés, disent tout de leur propriétaire. Dans un ordre social bien établi, le besoin d’exprimer sa personnalité se fait parfois sentir.
La liberté d’un zouave
En 1909, Amand Quélain (1886-1976) est incorporé au troisième régiment de zouaves, unité d’infanterie de l’armée d’Afrique dépendant de l’armée de terre française. Il sert en Algérie pendant deux ans. L’armée lui fournit l’uniforme régulier mais, étonnement, le soldat s’autorise des broderies personnalisées, non réglementaires : veste à l’ornementation plus fournie et gilet mentionnant les différentes villes de garnison du régiment. Dans un monde d’uniformité, Amand Quélain affirme ainsi ses goûts et relate son parcours militaire.





Revendiquer ses origines
En Bretagne comme ailleurs, dans la première moitié du 20e siècle, il n’est pas question pour une femme de sortir tête-nue et d’exhiber sa chevelure. C’est une question de morale. Aux champs comme à l’usine, très peu d’entre elles font le choix de se couvrir d’un simple fichu, purement utilitaire. La très grande majorité des travailleuses gardent leur coiffe, signe d’appartenance culturel et géographique.

Sortir de la masse
Porter la faluche, ce béret d’étudiant en velours orné d’insignes et rubans, c’est dire qui l’on est. Depuis 1888, les initiés peuvent y lire quantité d’informations : type de baccalauréat passé, disciplines universitaires choisies, nombre d’années validées, mais aussi villes visitées, clubs et établissements fréquentés, etc. De nos jours, s’y liraient aussi vie sentimentale et goûts divers et variés… L’arborer lors de soirées étudiantes et l’enrichir d’insignes, c’est à la fois s’inscrire dans une communauté et s’individualiser.

S’habiller, pour exercer ses fonctions, peut revenir à symboliser une institution, représenter une entreprise ou simplement à protéger son corps. C’est souvent aussi annoncer son rang social, de manière volontaire ou non. Aujourd’hui, la différenciation des métiers est cependant moins marquée. Dans de nombreux domaines, l’image de l’institution ou de la profession recule au profit de celle de l’individu. La tertiarisation accompagne et accentue ce mouvement : plus besoin de blouse ni de col blanc pour accomplir sa tâche. Et vous, que portez-vous pour travailler ?
Fabienne Martin-Adam
Textes extraits de l’exposition Quand l’habit fait le moine, tenues de travail en photographies, 2014.
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