Charles et Paul Géniaux, deux frères en photographie

Une fois n’est pas coutume, c’est Paul Géniaux et non son célèbre frère écrivain, qui figure le premier dans les collections du musée de Bretagne : au cours des années 1990, une petite quarantaine de tirages signés Paul Géniaux font leur entrée dans les collections. En 2012 une exposition consacrée aux fonds photographiques favorise de nouvelles acquisitions. C’est à La Fuye, à Rochefort-en-Terre, dans l’ancienne maison de Charles Géniaux que se trouve toujours un siècle plus tard un magnifique ensemble de négatifs sur verre attribué à l’écrivain. « Fin novembre [1912], écrit Claire Géniaux, nous sommes devenus pro-pri-é-taires ! [….] de l’ancienne Fuye des seigneurs de Rieux : modeste petit clos de treize ares planté de pommiers moussus [1]. » En 2013, Brigitte et Jacques Delaigue, les actuels propriétaires du modeste petit clos, vont très généreusement offrir au musée les négatifs à thématique bretonne qui constituent la majorité des images présentées dans cet article.

Portrait de Charles et Paul Géniaux, anonyme, vers 1894 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Une histoire de famille

Les enfants Géniaux, deux garçons Charles (1870-1931) et Paul (1873-1929), deux filles Emma (1872-1938) et Marguerite (1875-1961) naissent dans une famille aisée, d’origine rennaise et morbihannaise. Leur père également prénommé Charles (1841-1918) est en 1868 médecin aide-major de 1re classe à l’hôpital militaire de Rennes. Progressant dans ses fonctions, il occupe en 1879 le grade de médecin-major à Paris et demeure rue de la Tour à Passy, où ses deux fils se font d’ailleurs photographier vers 1880. Après un séjour d’une année à Bastia, et au gré de la carrière paternelle, la famille se trouve en 1884 à Alger et y demeure près de deux ans.

En 1892, Charles Géniaux père est interné à l’hôpital psychiatrique de Rennes, où il restera jusqu’à sa mort. Pourtant, les annuaires d’Ille-et-Vilaine des années 1893-1895 indiquent toujours « Géniaux, médecin-major en retraite au 1 ruelle Saint-Martin ».En 1897, l’annuaire situe la demeure familiale au 9 rue de la Cochardière ; c’est dans cette grande maison, sous l’égide chaleureuse et bienveillante d’Emma Géniaux leur mère (1846-1930), née Bourdonnay, que vivent encore plus ou moins régulièrement les quatre jeunes adultes.

Emma (au centre), Paul et Charles Géniaux devant la maison familiale, anonyme, Rennes, 1893 – Marque du domaine public – Collection musee de Bretagne, Rennes

L’enfance des Géniaux[2] est fortement marquée par les troubles de caractère de Charles Géniaux père, qui s’expriment parfois avec violence et font régner une vraie terreur sur la famille ;  face à cette situation, mère et enfants demeurent très soudés et jouiront toute leur vie de cette complicité. Hélas pour l’historien, cette connivence familiale n’aide pas à démêler l’écheveau qui lie les frères Géniaux à la photographie.

La pratique de la photographie leur est connue depuis leur petite enfance : ils ont grandi dans un milieu où le portrait photographique est acquis, et tous sont passés dans le studio du photographe ; à Rennes chez Mévius et Le Michel, plus tard dans différents ateliers parisiens.

Studio de Charles Mévius, Charles Mévius, Rennes, vers 1860 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

C’est en Algérie, vers l’âge de 15 ans que Charles Géniaux découvre la pratique photographique. Claire Géniaux (1879-1971), son épouse, évoque cette découverte dans un récit qu’elle rédige après la mort de son mari : « [il] éprouva une passion violente pour la photographie et la lecture des catalogues d’appareils et de fournitures photographiques excitait au plus haut point son imagination[3]. » Réussissant tant bien que mal à se procurer un premier appareil, ses sœurs et son frère lui servent de modèles. Un portrait de Paul porte en légende manuscrite « Première photographie à peu près réussie 1886 ». Une autre image figure sa sœur Marguerite avec sa poupée. Charles a pris soin à l’aide d’un composteur d’apposer sa première signature associée à la ville d’Alger. Ces deux photographies ne sont pas d’une grande netteté mais marquent les débuts de l’apprenti photographe.

De retour à Rennes, dans le jardin de la maison familiale rue de la Cochardière, les deux frères, à l’initiative de Charles, aménagent dans la serre adjacente un double atelier de menuiserie et d’imprimerie. « C’est là que Charles Géniaux avait installé son établi de menuisier et une presse à bras lorsque la passion des impressions photomécaniques eut remplacé l’amour du riflard et de la varlope [4]. »

Il est bien délicat de faire la part des choses en matière d’attribution photographique entre les deux frères jusqu’aux années 1900. Le roman familial attribue beaucoup à Charles, les documents factuels, les archives, les photographies signées obligent à plus de modération et incitent à rééquilibrer la donne. Les deux hommes affichent des caractères assez différents : Charles est exubérant, fourmille d’idées et de projets, et semble très satisfait de lui-même ; Paul est assurément plus modeste, volontaire, investi dans des desseins à long terme, ce qui manque souvent à son aîné qui, enchaînant projet après projet demeure un éternel insatisfait. L’affection qu’ils portent à la Bretagne, leur curiosité pour la photographie en tant que pratique artistique mais aussi technique, une bonne dose d’humour et un véritable attachement fraternel, voilà a contrario ce qui les unit et scelle leur destin commun de photographe.

Les frères Géniaux, photographie, édition d’art

En 1893, Charles Géniaux lance une publication intitulée Bretagne revue, dont le premier numéro sort en mars, le dernier sera publié un an plus tard ; après quoi la revue devient en mars 1894 Revue pittoresque, ce titre figure dans les annuaires jusqu’en 1899. Toutes les activités professionnelles des deux frères sont domiciliées chez leur mère rue de la Cochardière. Charles Géniaux occupe les fonctions de directeur-éditeur, ces deux revues se consacrent de façon très large à la littérature et aux beaux-arts, « tout nous sera bon, écrit-il, qui ne sera pas en dehors du beau et du bien ». Mais la grande nouveauté, la vraie caractéristique de Bretagne revue est l’illustration photographique : « L’administration suivra les progrès de cet art sous toutes ses formes, elle se propose d’égaler et de dépasser à l’occasion ce qui a été fait de mieux en Allemagne et en Angleterre pour orner le roman, la nouvelle, voire le poème[5]. » Les illustrations sont des planches séparées et glissées entre les pages imprimées, reproductions photographiques selon le procédé Charles Géniaux. Non sans modestie, celui-ci affirme que la collographie, impression aux encres grasses, est le procédé de gravure le plus beau et le plus artistique. Il se flatte d’en être l’inventeur, bien que dès le n° 3 de la revue le prénom de son frère soit associé au sien.

Moulins à Pont-Aven, Charles Géniaux, collographie issue de Bretagne Revue – Marque du domaine public – Collections musée de Bretagne, Rennes

Si l’on en croit Charles Géniaux, les imprimeurs rennais ont refusé d’imprimer ces planches de photographies, dont il a dû assurer lui-même la reproduction. Dans la serre du jardin familial, il se plaint d’avoir perpétuellement les mains noires d’encre et de travailler sans compter ; il confie à ses lecteurs les difficultés matérielles liées à l’impression et promet à l’avenir des collogravures irréprochables ! Cette revue organise également deux concours, l’un littéraire, l’autre photographique ; elle comporte de nombreuses publicités pour du matériel ou des produits photographiques, les Géniaux proposent aussi des cours pratiques pour s’initier à la collographie. Les thèmes de ces reproductions photographiques tournent essentiellement autour du paysage d’une part, et de scénettes à personnages d’autre part. En plus de la mention de l’auteur du phototype, la légende spécifie également « collographie Géniaux frères ou planogravure Charles Géniaux », Paul n’est donc exclu ni du procédé, ni de son attribution, il est décrit comme « le collaborateur pour les illustrations[6] ». Charles met ses talents d’auteur au service de la photographie qu’il soutient avec ardeur. Bien qu’il défende les spécificités de cette nouvelle  technique, les images qu’il publie offrent inversement une qualité et un aspect plus proches de l’estampe que de la photographie.

Bretagne revue, puis son héritière Revue pittoresque ne remporteront pas le succès escompté, Charles Géniaux cherche donc de nouveaux débouchés, quand Paul part à Paris où il travaille comme photographe. En 1898, les deux frères s’associent pour reprendre l’atelier du photographe Tissier aîné. Initialement très enthousiaste, Charles écrit : « J’augure bon espoir de mon association avec mon frère. À nous deux nous formerons un homme complet : le pratique et l’art. Seul, je serai destiné à la culbute[7]. » Cette opposition entre Charles l’artiste et Paul le technicien, ne plaçait pas cette alliance sous les meilleurs auspices, sans compter qu’elle s’avérait reposer sur un a priori erroné, comme le montrera par la suite la carrière de Paul. Claire Géniaux précise que Charles « se déchargeait sur son frère des besognes matérielles pour s’enfermer dans sa chambre afin de se rappeler qu’il n’était pas seulement un photographe[8]. » Pourtant plein d’enthousiasme au moment de reprendre cet atelier, ils firent imprimer d’élégantes cartes de visite qui ignoraient avec superbe leurs prénoms respectifs, pour préférer la mention « Les frères Géniaux, photographie, édition d’art ». C’est d’ailleurs aussi cette mention qui figure en légende des photographies publiées dans diverses revues, soit en toutes lettres, soit en abrégé « GXF-Paris ». On connaît également une série de grands tirages photographiques (18 x 24 cm) numérotés de 1 à 14 ayant pour thème des sujets déjà classiques pour eux : les enfants, les travaux des champs, les attelages… sujets annonçant les futures éditions de cartes postales. D’après le récit de Claire Géniaux, l’un comme l’autre réalisent assez vite que cette collaboration n’est pas viable. Pourtant bien des années plus tard, on trouve encore des photographies portant cette signature commune. Et pour semer davantage le trouble, au cours des années 1905 et 1906 les deux frères travaillent sur des sujets proches, publient dans les mêmes revues et les signatures alternent : « Phot.Géniaux, Charles Géniaux, Paul Géniaux » ! Même s’ils n’exercent plus dans un studio commun, ils continuent à travailler sans doute plus ponctuellement ensemble, comme l’indique un reportage effectué pour L’Illustration (1905) sur une cité modèle pour familles ouvrières : non sans condescendance Charles précise « aussitôt dans la cour, la présence de notre photographe attire autour de nous la volée d’une centaine de gamins…[9] » Notre photographe est assurément son frère.

Jusqu’à la Première Guerre mondiale, les deux frères travaillent sur des thèmes proches et assurent ensemble ou séparément des reportages destinés à l’édition.

Charles Géniaux, photographe malgré lui (Rennes, 12 octobre 1870 – Nice, 19 mars 1931)

Assez réfractaire à l’enseignement scolaire et changeant sans cesse d’établissement suivant les affectations paternelles, Charles ne fait pas de longues études. En 1889-1890, il effectue un bref passage à l’école des Beaux-Arts de Rennes où il suit le cours supérieur Antique et Nature. « L’enseignement du dessin comme il était compris et l’académisme le découragèrent […] son maître Félix Lafond […] ne lui conseilla pas de persévérer, sa voie n’était pas aux beaux-arts[10]. »

Jeune adolescent, il regorge d’idées et d’initiatives, créant au sein de la famille une gazette dont il est l’auteur-éditeur, montant un théâtre de marionnettes. Sa fratrie compose son lectorat et son public. Jeune adulte, il conserve cette verve et cette énergie qui le caractériseront durant toute son existence.

Portrait de Charles Géniaux, anonyme, vers 1905-1910 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Au cours des années 1893-1898, Charles explore diverses possibilités entre écriture et photographie. Son rêve est de devenir un écrivain reconnu et de pouvoir vivre de sa plume. Durant ses séjours à Billiers dans le Morbihan, il accumule autant de matière littéraire que photographique. Il vit une existence un peu bohême, entouré de son frère, de ses sœurs et de beaucoup d’amis, souvent tête de file de projets plus ou moins farfelus. Il initie une troupe de théâtre, s’occupe de ses revues, s’exerce au journalisme, se lance dans la photographie et la reproduction. Les albums de famille témoignent d’une ambiance festive, Charles prend la pose, ses sœurs se déguisent en paysannes.

En 1890, il est l’un des membres fondateurs de la Société rennaise de photographie ; cet engagement s’accorde parfaitement avec les activités qu’il développe à travers Bretagne revue, fer de lance de la diffusion de cette pratique encore récente. Charles Géniaux l’aborde à la fois comme praticien, expérimentateur, mais aussi comme artiste, soignant cadrage, composition et sujets figurés.

Mais les années passent et il doit se préoccuper de gagner sa vie : images et notes accumulées sur la vie rurale ou maritime vont lui permettre de se lancer dans l’écriture tout en fournissant des illustrations photographiques à la presse.

Chantier naval, Charles Géniaux, vers 1900-1915 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne

Charles est un écrivain prolixe, il publiera un à deux livres par an dont une dizaine d’ouvrages ayant pour thème la Bretagne, sans compter de très nombreux articles. Sa connaissance de la campagne morbihannaise autour de Billiers, Muzillac, Rochefort-en-Terre s’exprime de façon assez similaire par l’écrit et par l’image : d’une part il éprouve de l’empathie, une affection véritable, même une certaine admiration pour les paysans ou les pêcheurs, et par ailleurs il témoigne à leur égard d’une arrogance assez terrible et d’un dédain certain. En photographie, il choisit des modèles aux visages marqués, les fait poser de manière très théâtrale accentuant par leur attitude ou leur mimique le caractère tragique qu’il attribue aux Bretons. Les sujets qu’il choisit de photographier sont ceux qu’il pressent en voie de disparaître dans un avenir proche : rebouteux, artisans, paysans aux pratiques archaïques… Les scènes les plus artificielles, totalement composées, sont celles qui auront une seconde vie sous forme de cartes postales. Pourtant parmi ses photographies beaucoup témoignent d’un quotidien moins factice, et détaillent de manière assez systématique des pratiques professionnelles, un mode de vie et offrent très souvent de beaux portraits.

Charles multiplie les articles, vend ses photographies, publie dans L’Illustration, La revue Mame, La revue bleue, Le Figaro… Pour Fermes & châteaux, il donne des conseils sur l’achat et la restauration d’une gentilhommière et fournit des photographies sur le thème des pommes à cidre ou de la pêche au thon. Bien que ses romans aient un certain écho, ils ne lui permettent pas de vivre ; ce sont la photographie et ses écrits de journaliste qui lui assurent des revenus réguliers. Peu à peu, il en conçoit de l’amertume, d’autant que les photographies documentaires qu’on lui commande ne correspondent pas à l’idée qu’il se fait de son art ; dès 1899, il écrit à Claire un an avant leur mariage : « Je fais un métier idiot et subalterne. Avec mon diable d’amour propre, je souffre de voir des crétins me traiter en vulgaire employé photographe, des imbéciles qui ne sentent ni ne comprennent ce qu’ils me demandent de photographier[11]. » À cette époque, Charles se rend chaque jour sur le site de l’Exposition universelle pour y faire des clichés commandés par un éditeur. Lorsque la matière bretonne ne sera plus sa source d’inspiration, que la Méditerranée, l’Algérie et la Tunisie l’auront remplacée, photographie et écriture journalistiques demeureront à son grand regret ses principaux moyens de subsistance. En 1900, il épouse Claire Mazères, elle-même journaliste et écrivaine, qui lui apportera aide et soutien durant leur vie commune.

Portrait de Claire Géniaux, Charles Géniaux, vers 1905-1910 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Le prix national de littérature en 1905, puis en 1917 le grand prix du roman de l’Académie française pour La passion d’Armelle Louannay, lui assurent une certaine notoriété. Sa mère lui écrit le 22 juin 1917 : « Mon cher grand fils, combien je suis fière et heureuse pour toi de ton nouveau succès […] Paul avait été très émotionné au cinéma à Rennes en entendant applaudir l’auteur de L’Océan (1913) il paraît que c’est un vrai succès. » Les photographies bretonnes qui nous sont parvenues ne vont guère au-delà des années 1905-1906. Les séjours des époux Géniaux en Provence deviennent réguliers à partir de 1913, la maison de Rochefort est mise en vente en 1919, ils s’éloignent peu à peu de leur région natale et de la photographie, se consacrant essentiellement à l’écriture de leurs romans. Il est décoré de la Légion d’honneur en 1927 pour l’ensemble de son œuvre. Charles Géniaux s’éteint à Nice en mars 1931, son acte de décès, comme un clin d’œil à son souhait le plus cher, porte la mention « homme de lettres ». Claire Géniaux effectue en 1941 un don de nombreux tirages des frères Géniaux au musée des Arts et Traditions populaires à Paris.

Paul Géniaux, dans l’ombre d’un aîné (Rennes 28 octobre 1873 – Paris 21 décembre 1929)

Les registres de conscription nous apprennent qu’en 1893, l’année de ses vingt ans, Paul Géniaux déclare exercer la profession de photo-collographe. C’est un jeune homme rieur, qui comme son frère, aime les déguisements et ne manque ni d’humour, ni d’autodérision ; il est également sportif puisqu’il obtient en 1895 le brevet de vélocipédiste. On ignore tout de sa formation scolaire. Lors de son mariage en 1918, la profession mentionnée sur son livret de famille est photographe éditeur, il le demeurera jusqu’à ce que sa santé ne le contraigne à cesser toute activité.

Paul Géniaux en cycliste, anonyme, fin 19e siècle – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

En 1896, Paul vit déjà à Paris, rue de l’abbé de l’Épée, un an plus tard il a déménagé rue de Vaugirard. En 1899, il exerce le métier de photographe au 32 rue Louis Le Grand, pavillon de Hanovre, où il a repris un studio photographique avec Charles un an plus tôt. Au dos de ses photo-cartes, il fait porter la mention « illustration photographique pour revue », poursuivant ainsi l’activité initiée avec son frère. Il semble qu’il ait ensuite séparé son adresse professionnelle de son domicile puisqu’en 1900 il déclare habiter 74 rue du Cherche-Midi.

Les Géniaux voyagent beaucoup et Paul ne fait pas exception. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, il effectue de nombreux allers-retours entre Paris et la Bretagne, dans la maison familiale à Billiers, chez son frère à Rochefort-en-Terre, chez sa sœur à l’Île aux Moines. Mais à cette période, il effectue au moins un séjour en Afrique du Nord, au Maroc et en Algérie, dont il ramène une série de photographies. Les photographies bretonnes de Paul Géniaux, celles qui lui sont attribuées avec certitude, sont en partie concomitantes de son activité parisienne.

Cimetière de Billiers, Paul Géniaux, vers 1900-1902 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Sur des enveloppes de correspondance, il fait imprimer la mention « projections photographiques fixes et animées pour annonces artistiques, illustrations photographiques pour revues, cartes postales, catalogues de luxe… », résumant ainsi une bonne part de son activité professionnelle. De nombreuses photographies bretonnes sont éditées au format cartes postales et présentées dans de petits étuis en papier. Les éditions Raphaël Tuck et fils éditent ainsi deux séries intitulées Au catéchisme, En classe, qui mettent en scène avec humour et de façon très théâtrale des groupes de jeunes Bretons. Les archives familiales conservent de nombreux portraits d’enfants, souvent pris dans le Morbihan, d’autres dans le Finistère, dont certains ont été édités en cartes postales. Tous témoignent d’une réelle empathie pour ces enfants, souvent photographiés en groupe et dans un contexte familier. D’autres images, plus conventionnelles, évoquent à l’inverse l’âge mûr et ont été diffusées sous forme de cartes postales ; la série Nos bretons est composée d’une suite de portraits de vieux Bretons auxquels ont été associées des légendes qui reprennent les plus banals lieux communs sur la région (le matelot, le chouan, la tricoteuse…).

Vieux ménage, Paul Géniaux, fin 19e-début 20e siècle – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Paul Géniaux publie également ses photographies dans la presse, notamment dans l’Illustration, ou dans d’autres revues illustrées. En novembre 1902 est publié dans la Revue illustrée unarticle consacré à la Manufacture nationale de Sèvres accompagné de ses instantanés. En 1906, la revue Fermes et châteaux publie deux articles présentant des photographies de Paul Géniaux : l’un est consacré à la pêche de la sardine, l’autre à l’égrenage des céréales. Assurément, il existe d’autres publications contenant des photographies de Paul Géniaux qui ne nous sont pas connues à ce jour. Il était d’ailleurs vigilant sur le respect de ses droits d’auteur puisque nombre de ses photographies portent au verso son timbre humide ; si celui-ci comporte naturellement son nom, une ligne fait référence à la loi du 10 janvier 1876 sur la propriété intellectuelle des photographes.

Alors que son travail parisien est aujourd’hui clairement associé à son nom, que ses photographies passent régulièrement en vente publique, son activité de photographe en Bretagne semble avoir été complétement éclipsée.

Jeunes filles de Questembert, Paul Géniaux, début 20e siècle – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Collection Rennes

Pourtant, les thématiques reprises dans ses photographies de Paris découlent directement de sa pratique initiale en Bretagne. Il reprend des thèmes déjà bien explorés sur sa terre natale : les foules, celles des fêtes, des cérémonies, des marchés, les scènes de travail, les gens de peu, les mendiants, les enfants dont il sait si bien saisir la fraîcheur et la fragilité, mais aussi les animaux, le spectacle de la rue… L’éditeur parisien HG Wolf publiera d’ailleurs sous forme de cartes postales certaines photographies de Paul Géniaux, rassemblées sous le titre général de Scènes parisiennes : plusieurs petites séries sont ainsi constituées ayant pour titre Le carnaval, La foire à la ferraille, Les communiantes, Nos forains, La foire aux jambons, etc. En 1910, il réalise un reportage sur les inondations de Paris. Au cours des années 1920 Paul semble s’être spécialisé dans les reportages autour du thème de la mode, il photographie notamment les modèles de Sonia Delaunay. On connaît de nombreuses images ayant pour sujet la mode aux courses ou dans des lieux mondains, qui mettent en valeur les silhouettes allongées des mannequins en chapeaux cloche.

Photographe humaniste, reporter avant que le terme n’existe, Paul Géniaux occupe une place singulière en ce début de 20e siècle : son travail dresse une sorte d’inventaire des pratiques ou des métiers qui peu à peu vont disparaître. Il met en image et en mémoire un monde en plein bouleversement et s’applique à détailler les gestes précis des métiers. Même si la mise en scène est bien visible sur ses photographies, il n’est pas pour autant indifférent à la réalité sociale de ses modèles. Paul Géniaux allie au choix de ses sujets, un sens de la composition très abouti : cadrage et lumière dénotent un véritable talent artistique. La lourdeur des chambres photographiques exige une grande rigueur au moment de la prise de vue : cadrage, mise au point, réglage de l’obturateur, tout doit être anticipé par le photographe. Les qualités esthétiques de ses photographies indiquent qu’il maîtrisait parfaitement toutes ces règles.

Sardinières de Concarneau, Paul Géniaux, 1905 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Durant la Première Guerre mondiale, Paul est mobilisé le 2 août 1914 ; en 1916, il contracte la fièvre typhoïde et est hospitalisé durant huit mois jusqu’en juillet 1917. Emma Géniaux mère écrit à son fils aîné à ce sujet en juin 1917 : « Nos projets pour cet été sont d’aller bien sagement à Billiers où je veux croire que ton frère se remettra de sa longue maladie ». Ce séjour morbihannais dut effectivement lui être salutaire puisqu’il réintègre l’armée en octobre 1917, dans la 22e section d’infirmiers militaires. Il est nommé caporal en juillet 1918 et épouse ce même mois Marguerite Langlais (1888-1977), institutrice, dont il aura un fils Guy (1919-1937).

Paul Géniaux et son épouse Marguerite, anonyme, Nice, 1922 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Paul Géniaux meurt d’un cancer foudroyant en décembre 1929, son travail restera en partie dans la famille. Parmi ses images parisiennes, beaucoup sont conservées à Paris au musée Carnavalet, au musée d’Orsay et à la Société française de photographie. Une trentaine de négatifs originaux sur la Bretagne sont aussi conservés aux archives départementales du Morbihan. Le musée de Bretagne abrite quant à lui plus de 600 négatifs, tirages photographiques, collographies et cartes postales.

Laurence Prod’homme.

Texte extrait de Charles et Paul Géniaux, deux frères en photographie, éditions Fage, Lyon, 2014.

Pour en savoir plus, l’exposition Charles et Paul Géniaux, la photographie, un destin.


[1] Claire Géniaux, La vie d’un homme de lettres Charles Géniaux, [Tapuscrit], [s.l.], [s.n.], [s.d.], p. 211.

[2] Charles Géniaux, La famille Messal, Flammarion, 1919.

[3]Claire Géniaux, La vie d’un homme de lettres Charles Géniaux, op. cit., p. 22.

[4]Claire Géniaux, La vie d’un homme de lettres Charles Géniaux, op. cit., p. 27.

[5] Bretagne revue, mars 1893, n° 1 .

[6] Claire Géniaux, La vie d’un homme de lettres Charles Géniaux, op. cit., p. 47.

[7] Claire Géniaux, La vie d’un homme de lettres Charles Géniaux, op. cit., p. 47-48.

[8] Claire Géniaux, La vie d’un homme de lettres Charles Géniaux, op. cit., p. 48.

[9] L’Illustration, n° 3246, 13 mai 1905.

[10] Claire Géniaux, La vie d’un homme de lettres Charles Géniaux, op. cit., p. 26-27.

[11]Claire Géniaux, La vie d’un homme de lettres Charles Géniaux, op. cit., p. 89.

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  6. Je cherchais des informations sur les photographie des crimes de la commune de 1871 n’ont ils pas eue un impacte majeurs dans celle ci avec leurs photomontages ?

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