Georges Nitsch, architecte et photographe

C’est dans le vieux Rennes qu’est découvert l’album de photographies de Georges Nitsch à la fin des années 1970. Son propriétaire en fait don au musée de Bretagne. Ce vieil et gros album relié, de photographies en noir et blanc, à la couverture bleue, possède 98 pages, à l’intérieur de chacune desquelles sont insérées en moyenne cinq photographies. Ce sont ainsi 490 images sorties d’un grenier, comme des oubliées de l’histoire photographique bretonne du 20e siècle. Dans cet album de Georges Nitsch, beaucoup de photographies ont un titre et sont entourées d’un liseré rouge ; les images ne sont pas classées par ordre chronologique de prise de vue et ne sont que très rarement datées. Elles sont collées sur des pages et le tout donne un aspect général très soigné, bien loin d’un classique album de photographies de famille.

Le repos du vagabond, Georges Nitsch, Rennes, fin 19e-début 20e siècle – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Mais la récolte du trésor ne s’arrête pas là. Un don au musée de Bretagne en 1976 de 2 377 négatifs noir et blanc sur plaques de verre au gélatino-bromure d’argent dont l’auteur est Georges Nitsch, a permis de constituer un fonds à son nom. Il est composé de scènes, sites et monuments photographiés entre 1890 et 1939. Il comprend beaucoup de photographies de Rennes et d’Ille-et-Vilaine, ainsi que de nombreuses images des voyages effectués en Bretagne ou dans d’autres régions françaises ainsi qu’à l’étranger. 

Marché, Georges Nitsch, Auray, vers 1900 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

La proportion de clichés pris en ville est à peu près identique à ceux pris à la campagne, avec une légère prééminence dans l’album pour les photographies urbaines. On trouve également beaucoup de photographies architecturales, d’édifices publics ou religieux prises avec un cadrage aéré, à la mode à l’époque. Il ne faut pas s’en étonner, Georges Nitsch est architecte de métier, et on lui pardonne cette petite déformation professionnelle, qui n’enlève d’ailleurs rien à la qualité générale de son travail iconographique.

Des origines modestes

C’est par le biais de la photographie que Georges Nitsch, architecte et photographe amateur passionné, personnage public reconnu et apprécié de tous à Rennes jusqu’à sa mort en 1941, mais oublié depuis, peut réapparaître de nos jours sur la scène culturelle bretonne.

Autoportrait de Georges Nitsch, début 20e siècle – Marque du domaine public – Collecion musée de Bretagne, Rennes

Georges Auguste Joseph Nitsch naît le 23 juin 1866 à Rennes. Il vient d’un milieu modeste d’artisans. Son père, Jean-Maximilien-Joseph Nitsch, était typographe et venait de Paris. Sa mère, Anne-Victoire Jouault était fleuriste, née en 1832 à Rennes. Georges Nitsch se marie le 27 août 1887 avec Marie-Julie Bretagne qui est Rennaise et sans profession ; lui exerce le métier de comptable. Ils n’auront jamais d’enfant et s’installent au 2, galeries Méret, au 2ème étage d’un magnifique immeuble qui surplombe la place de la mairie de Rennes et leur offre une vue imprenable sur le cœur de la ville. Ils achètent également une villa bourgeoise de quatre pièces, avec jardin et dépendances au 168 rue de Fougères à Rennes. Georges a eu un frère, Albert, et une sœur, Maria-Victoire, née en 1873 à Rennes, qui aura un fils et une fille.

Les registres de matricule du recrutement militaire conservés aux archives départementales d’Ille-et-Vilaine indiquent que Georges Nitsch, âgé de vingt ans en 1886, exerce la profession de commis d’entrepreneur, avant de se déclarer comme comptable l’année suivante. Il est dispensé d’effectuer son service militaire, en vertu de la loi du 27 juillet 1877, comme fils ainé de veuve. Georges Nitsch, devenu architecte en 1900 ne participe pas à la mobilisation pendant la Première Guerre mondiale.

Son signalement indique qu’il a les cheveux, les sourcils et les yeux noirs, ce que nous confirment les portraits et autoportraits que le musée de Bretagne possède de lui.

Un architecte rennais à succès

D’abord commis d’entreprise en 1886, puis comptable en 1887, il est métreur-vérificateur en 1890, puis métreur en 1891. Il fait ses études d’architecte à Rennes et passe probablement par l’école des beaux-arts avant d’être formé à ce métier par le célèbre cabinet d’architectes Martenot. Selon les archives municipales de Rennes, Nitsch ne signe ses premiers plans qu’à partir de 1900, à l’âge de 34 ans. Il n’apparaît comme architecte dans l’annuaire officiel de la ville de Rennes et d’Ille-et-Vilaine qu’en 1902 et installe son cabinet d’architecte à son domicile au 2, galeries Méret (ou galeries du théâtre). Il exercera son métier jusqu’en 1927.

Portrait de femme, Georges Nitsch, Rennes – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes
Cette photographie est sans doute prise depuis le domicile de Georges Nitsch, donnant sur la place de la Mairie, à Rennes.

Les bâtiments que Nitsch construit sont laïcs et privés. Il n’a jamais bâti d’églises et n’est pas non plus architecte de la ville de Rennes comme le furent Emmanuel Le Ray ou Jean-Marie Laloy. À la fin du 19e siècle, Rennes se modernise et voit l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie en quête d’une reconnaissance sociale qui s’affirme par une adresse, un foyer et un jardin.

Nitsch connaît très bien le répertoire de la Renaissance française et va profiter de cette nouvelle demande pour proposer des hôtels particuliers à cette clientèle bourgeoise. Il s’impose très vite comme le spécialiste de l’hôtel bon marché et réalise une multitude de petits hôtels à prix compétitifs qui connaîtront un très grand succès. Il construit aussi des villas-pavillonnaires pour les classes moyennes et des immeubles de rapport en pierre de taille, sans jamais oublier une population plus modeste, composée d’ouvriers et de petits commerçants, en demande de logements salubres. De 1900 à 1927, Georges Nitsch concrétise 133 réalisations comme des maisons, des villas, des hôtels particuliers, des immeubles et des magasins à Rennes. En 1936, il est président du syndicat des architectes d’Ille-et-Vilaine. Nitsch reçoit également la médaille de Jurisprudence des Architectes, prix qui était alors très convoité. Quand s’achève sa carrière d’architecte en 1927, il apparaît qu’il a su s’imposer dans l’architecture privée de Rennes, de l’hôtel particulier à l’habitation bon marché.

Un historien de la ville de Rennes

Depuis 1994, un carrefour au bout du boulevard de la Tour d’Auvergne, perpendiculaire au boulevard du Colombier à Rennes et qui rejoint sous le pont de la voie ferrée, la rue de Nantes, porte le nom de Georges Nitsch avec la mention : « Georges Nitsch, 1866-1941, architecte et érudit rennais ».

En effet, sa carrière d’architecte, si brillante et réussie soit-elle, ne saurait être l’unique reflet d’une si riche personnalité. Georges Nitsch écrit également à partir de 1928, trois livres sur les grands monuments de la ville de Rennes.

Le premier s’intitule L’Hôtel de Ville, La Tour de l’horloge, le Présidial de Rennes. Sobrement sous-titré Notes historiques, l’ouvrage est publié en 1928 par la librairie Larcher. Il détaille chronologiquement la construction des trois bâtiments par Gabriel après le grand incendie de 1720, qui détruisit le célèbre beffroi qu’abrite désormais la tour de l’horloge. Nitsch associe ses propres photographies de l’intérieur et de l’extérieur du bâtiment à son texte.

Hôtel de Ville, Georges Nitsch, Rennes, vers 1925 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

La Cathédrale, l’Abbaye Saint-Mélaine, l’Église Saint-Germain de Rennes paraît un an plus tard en 1929. L’auteur illustre une nouvelle fois ses notes historiques par ses propres photographies, vues intérieures de la cathédrale Saint-Pierre, prises sur pied et à la chambre, avec différents croquis de sa main. Il nous montre aussi l’église Saint-Mélaine avec son cloître et ses jardins qui mènent jusqu’au Thabor. Enfin la construction de l’église Saint-Germain, ainsi que sa description sont abordées.

Sorti en 1932, Le Palais de Justice de Rennes, et La Cour de Parlement de Bretagne, est coécrit avec Xavier d’Haucourt. D’excellentes illustrations dues à son talent de photographe couvrent les hors-textes de l’ouvrage. Cet ouvrage est couronné par l’Académie française en 1932. Nitsch est considéré comme l’historien du Palais de Justice et comme le chroniqueur de Rennes. Le Parlement de Bretagne est « ce splendide édifice qui fait la gloire et l’orgueil de notre cité » selon ses propres mots.

Un conférencier cultivé

Toujours très actif et passionné par sa ville, il donne également plusieurs conférences sur l’histoire de Rennes à la Société d’instruction populaire pendant les années 1920. Celles du 24 février et du 2 mars 1924 ont beaucoup de succès selon le quotidien L’Ouest-Éclair. Nitsch, dans sa causerie intitulée Le vieux Rennes, Rennes à travers les siècles, parcourt l’histoire de sa ville du point de vue archéologique, en évoquant ses transformations à travers les âges, avec ses rues anciennes et nouvelles, et les différents monuments et maisons qui constituent son histoire. Il illustre son propos à l’aide de documents : gravures, dessins, mais aussi photographies anciennes qu’il a patiemment collectionnées depuis quinze ans. Nitsch ajoute à ce spectacle ses propres photographies du vieux Rennes. Ainsi, les négatifs et les positifs défilent sur l’écran de projection sous l’œil émerveillé des curieux.

Cloître Saint-Melaine, Georges Nitsch, Rennes – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

D’autres conférences historiques sont organisées par Georges Nitsch à la société d’Instruction Populaire, comme celle sur l’église Toussaints, « ancienne et actuelle », ou celle sur l’église Saint-Germain en février 1928, avec un vocabulaire architectural technique et riche. Celle de juin 1929 a pour titre L’abbaye Saint-Georges. En décembre 1929, Nitsch évoque avec verve « l’Historique du Palais de Justice, Ancien Parlement de Bretagne ».

Un photographe passionné

La réussite professionnelle de Nitsch va très vite lui permettre de disposer de temps libre, et de gagner suffisamment d’argent pour développer ses talents d’amateur éclairé en photographie. Avant 1900, le terme d’amateur a un sens noble. L’amateur est un esthète, un connaisseur, alors que le photographe professionnel est  considéré comme un petit commerçant. L’amateur est celui qui aime la photographie. Le médium est encore en 1900 le privilège d’une classe sociale favorisée. Nitsch appartient lui-même à la classe bourgeoise, son milieu lui impose quelques critères esthétiques et moraux. À la Belle Époque, l’exigence esthétique est avant tout un luxe social, une distinction de classe. C’est alors un privilège de poser devant le photographe dans ses plus beaux atours. La pose sophistiquée, les gestes codifiés, les vêtements à la dernière mode et l’autorité familiale doivent refléter le statut des sujets. Les personnages portent en eux, comme le disait Baudelaire, « la vérité emphatique du geste dans les grandes circonstances de la vie ».

Véritable violon d’Ingres, la photographie est à la mode parmi les classes bourgeoises : scientifiques, hauts-fonctionnaires, banquiers et magistrats aisés s’emparent de cette technique. Les amateurs fortunés comme Nitsch vont se regrouper en sociétés photographiques pour mettre en commun leur talent, partager leurs émotions et fédérer leurs efforts, afin de favoriser l’essor de ce mode d’expression artistique et scientifique.

Excursion de la société photographique de Rennes, Georges Nitsch – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

La Société photographique de Rennes voit le jour le 13 juin 1890, son siège occupe le 4, rue de La Chalotais, elle a pour vocation de promouvoir la pratique de la photographie amateur dans un esprit humaniste. Nitsch occupe les fonctions de secrétaire général de 1913 à 1923 ; il devient président en 1923 et le reste jusqu’en 1938, mais conserve le titre de président d’honneur jusqu’à sa mort en 1941. Il redonne à la Société photographique de Rennes, une impulsion perdue depuis la fin de la Grande Guerre, à tel point que ce club compte 150 membres en 1925. Il met au service de ses adhérents un atelier de prise de vues, un laboratoire, ainsi qu’une bibliothèque de documentation photographique. Un cours de photographie est même ouvert en 1926. Un concours annuel est organisé et durant l’entre-deux-guerres, la Société photographique de Rennes expose régulièrement dans les galeries de l’école des beaux-arts de Rennes, rue Hoche.

C’est avec ses amis photographes, comme le pharmacien Ambroise Poirier, adepte de la photographie stéréoscopique ainsi qu’avec sa propre famille, que Nitsch découvre la Bretagne lors d’excursions photographiques minutieusement organisées. Il profite des séances de projection pour faire découvrir les images des régions de France et de l’étranger qu’il a traversées, sous le regard critique mais constructif des autres sociétaires. Nitsch voyage beaucoup, ce qui constitue un véritable privilège de classe pour l’époque ; il enregistre sur ses plaques de verre des paysages et des vues de Normandie, des châteaux de la Loire, des Pyrénées et des Alpes, de Nice et Monaco, mais aussi de Paris et Londres, Anvers, Bruxelles, Liège et Ostende, et cette liste n’est pas exhaustive… Ce « tourisme photographique » permet à l’auteur de rapporter une trace de l’expérience vécue, à travers ses clichés, et de rendre à ses yeux la précision qui manque à sa mémoire.

Place de l’Opéra, Georges Nitsch, Paris, vers 1912 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Les grandes avancées technologiques comme l’arrivée des plaques en verre au gélatino-bromure d’argent, dès le début des années 1880, procédé à la fois sec et très rapide, permettent à la photographie de devenir instantanée et de saisir le mouvement sur le vif jusqu’au centième de seconde. La sensibilité des nouvelles plaques négatives donne à Nitsch la liberté de se passer du trépied encombrant et de tenir son appareil à la main. L’arrivée d’objectifs plus lumineux et des obturateurs vers 1890 autorise les amateurs à diminuer leur temps de pose lors de la prise de vue. Le nouveau  procédé argentique leur garantit des images reproductibles, très nettes et stables dans le temps, avec de plus une bonne qualité technique. La Société photographique de Rennes conserve quelques 200 négatifs sur plaques de verre en noir et blanc de Georges Nitsch, mais également quelques autochromes en couleur figurant les vitraux de la cathédrale de Chartres.

Fort de son expérience de photographe polyvalent, issue du vivier amateur, Nitsch succombera, le temps de quelques tirages d’exposition, au charme des techniques pictorialistes. Ce mouvement artistique, né à contretemps et en réaction aux évolutions modernes de la photographie, tente un retour vers le passé orienté vers la peinture et le dessin, afin de revendiquer la photographie comme un art majeur. Il réalise avec ses amis dans les années 1910, des photographies du moulin du Boël à Pont-Réan, à la texture subtilement floue et au rendu impressionniste qu’il signe de sa main avec ses initiales « NG ».

Moulin du Boël, Georges Nitsch, Bruz, vers 1912 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Un défenseur du patrimoine

Grand acteur culturel local, Georges Nitsch est également membre, puis vice-président de la Société archéologique d’Ille-et-Vilaine, membre du syndicat d’initiative de Rennes et président de Radio Rennes. Il est aussi secrétaire-trésorier du comité régional des Arts-appliqués pour la section d’Ille-et-Vilaine, sous la présidence d’Emmanuel Le Ray. Il participe à la fondation de l’École de préapprentissage dont il prend la présidence en 1930, succédant ainsi à Emmanuel Le Ray. Il occupe également le rôle de délégué de plusieurs sociétés artistiques, littéraires et scientifiques bretonnes.

Des problèmes de santé l’obligent depuis plusieurs années à se mettre en retrait de toutes activités. Il meurt le 12 juin 1941, dans sa 76e année, à son domicile du 2, galeries Méret à Rennes. Georges Nitsch croyait en Dieu. Il était un fidèle de la paroisse Saint-Laurent, au nord de Rennes. Ses obsèques ont lieu le samedi 14 juin à l’église Saint-Germain. On note la présence de plusieurs personnalités rennaises à son enterrement, comme le mosaïste Odorico, l’archiviste honoraire d’Ille-et-Vilaine Bourde de la Rogerie, ou le président de la société archéologique Le Bourhis. De son côté, le quotidien L’Ouest-Éclair évoque le décès de «  l’un de nos compatriotes les plus estimés et des plus connus », comme « une éminente et sympathique personnalité rennaise ». Sa femme est donataire de l’universalité des biens mobiliers et immobiliers composant sa succession. Elle hérite de l’ensemble de son patrimoine à titre exclusif et demeurera jusqu’à sa mort en juin 1949 dans sa résidence du 2, galeries du théâtre à Rennes.

À la fin de sa conférence à la Société d’instruction populaire de mars 1924 sur Le vieux Rennes, Georges Nitsch confiait à l’auditoire, sous la forme d’un aveu : « Je suis un amoureux passionné de ma ville natale, sous son aspect froid, sévère et mélancolique, elle est charmante, mais elle est fière et ne se laisse comprendre que par ceux qui la recherchent et font tous leurs efforts pour lui plaire et l’admirer ».

Quais sous la neige, Georges Nitsch, Rennes – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Philippe Durieux.

Texte extrait de Georges Nitsch, architecte et photographe, éditions Fage, Lyon, 2015.

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