En 1893, John Grand-Carteret publie dans la revue Le livre & l’image l’un des premiers articles consacrés aux affiches de chemins de fer. « Ce n’est plus le classique voyage à tarifs réduits, se contentant d’une bande de couleur sur fond blanc […] c’est bien réellement l’avant-goût du paradis vers lequel les trains éclairs des grandes compagnies se chargent de vous transporter. De tous ces papiers illustrés se dégage comme un parfum de grand air […]. »

Paradis ? Grand air ? Ce sont là les arguments principaux utilisés par les compagnies ferroviaires, et l’analyse de Carteret s’applique avec justesse aux affiches illustrées. « Elles sont là sur les murs, nous dit-il, les affiches aux couleurs étincelantes et multiples […] toutes tirant l’œil du citadin. » Si l’affiche illustrée constitue le premier vecteur utilisé par les compagnies, elle est souvent accompagnée d’objets publicitaires, de guides, de prospectus invitant également au voyage. Les plus anciennes datent de la fin des années 1880, mais le procédé explose véritablement une dizaine d’années plus tard, lorsque l’image envahit de manière générale le monde de la « réclame », aidé en cela par l’usage grandissant de la chromolithographie.

L’affiche de chemin de fer a des proportions modestes qui durant un siècle ne varient guère : 75 x 100 cm environ, dimensions adaptées à la majorité des panneaux disponibles dans les gares. Composition, style, sujet, typographie sont par contre sensibles aux mouvements artistiques et aux pratiques touristiques dont elles sont le reflet.
Entre 1890 et 1900, sauf exception, et quelle que soit la compagnie, les premières affiches répondent à deux schémas assez récurrents : le premier se compose d’un motif principal au premier plan, souvent un personnage, accompagné de vignettes figurant des paysages ou des bâtiments. Le second est constitué de plusieurs encarts, de tailles variables, représentant essentiellement des paysages. Ces premières affiches illustrées sont très bavardes, aux motifs s’ajoutant de nombreuses informations écrites : horaires, tarifs, description des circuits accompagnent avec plus ou moins de bonheur les images. Le style de ces affiches emprunte encore beaucoup au trait des graveurs de la première moitié du 19e siècle, dessin soigné et réaliste. Quant aux thèmes, les costumes bretons y occupent une bonne place, mais ceux des élégantes et des baigneuses leur font une rude concurrence.

L’Ouest, rachetée en 1909 par les chemins de fer de l’État, n’aura pas l’opportunité de laisser à des illustrateurs plus novateurs la chance de créer des affiches moins conventionnelles.
Les chemins de fer d’Orléans et de l’État font appel au cours des années 1920-1930 à quelques grands illustrateurs qui offrent à l’affiche touristique un nouvel épanouissement : Charles Hallo, Pierre Commarmond, Henry de Renaucourt figurent parmi les plus connus. Avec eux, le motif occupe désormais toute la surface de l’affiche. Disparue l’abondance de textes, la typographie est réduite à l’essentiel. Bien que les illustrations produites par ces auteurs demeurent narratives, leurs traits s’affranchissent d’un réalisme trop prenant. Influencés par le japonisme, ils osent des perspectives improbables, des formes simplifiées, s’amusent avec les silhouettes rachitiques des pins maritimes et des reflets sur l’eau. Leurs palettes colorées s’ouvrent aussi aux couleurs chaudes et chatoyantes, ou inversement à des teintes pastel qui soulignent la douceur du climat breton. Rares sont les affichistes qui se risquent à des compositions plus hardies, abandonnant ports, pêcheurs et coiffes pour des images moins figuratives intégrant la lettre comme élément graphique.

Au cours des années 1950, la SNCF édite une série d’affiches reproduisant des tableaux, oubliant ainsi la spécificité de l’affiche. Dans les décennies suivantes, la photographie fait son introduction sans apporter aucune nouveauté. Heureusement, la SNCF fait aussi appel à de grands illustrateurs : Savignac, Morvan, Villemot réalisent des affiches percutantes et pleine d’humour. La dimension régionale est totalement absente de ces images, l’invitation à découvrir la Bretagne remplacée par les notions générales de confort et de vitesse. Grande innovation des années 1970, la représentation du train fait une apparition régulière sur les affiches de la SNCF, près de 100 ans après les premières affiches des chemins de fer !

Laurence Prod’homme.
Texte extrait de Bretagne Express, Les chemins de fer en Bretagne 1851-1989, éditions Fage, Lyon, 2016.
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