1851 : le chemin de fer arrive à Nantes, six ans plus tard il est à Rennes. Dans les deux villes existent des ateliers de daguerréotypeurs ; aucun portrait pourtant des personnalités présentes lors des inaugurations, aucune vue de la gare ou des locomotives ! En Bretagne, ce sont des gravures, un peu désuètes, qui marqueront l’arrivée de ce nouveau moyen de transport.
Les plus anciennes photographies connues à ce jour témoignant du chemin de fer en Bretagne datent de 1860. Cinq ans plus tôt, le photographe Pierre-Ambroise Richebourg (1810-1875) immortalise la construction du viaduc de Laval qui va assurer le passage de la ligne reliant Paris à la Bretagne et inversement.

Les deux compagnies de chemins de fer qui desservent la Bretagne utilisent la photographie comme moyen de propagande : la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans comme la Compagnie de l’Ouest commandent très régulièrement des reportages à des photographes locaux ou parisiens. Ces photographies, de grand format, sont rassemblées sous forme d’albums ou montées et légendées sur carton à la manière des estampes. Elles valorisent ainsi le savoir-faire des ingénieurs et les prouesses techniques accomplies lors de la construction des ouvrages d’art, qui en sont d’ailleurs l’unique sujet.
Jules Duclos (1824-1899) pour le Paris-Orléans, fait partie des quelques photographes les plus actifs dans ce domaine : il bénéficie d’importantes commandes et atteste par ses reportages de l’avancement des travaux et de leur qualité. Ses photographies paraissent en 1883 sous le titre Les travaux publics de la France. Entre avril 1860 et septembre 1862, Duclos accompagne la construction de la ligne Nantes-Châteaulin, ainsi que celle de l’embranchement vers Pontivy (Napoléonville). Il effectue ses prises de vue au printemps et en été, et couvre les chantiers des viaducs d’Auray, Hennebont, Port-Launay et Quimperlé. Certains de ses clichés sont exposés à l’Exposition universelle de Vienne en 1873, dans la section française du Palais de l’industrie, où sont valorisés les grands chantiers des vingt dernières années.

Pour la Compagnie de l’Ouest, au cours des années 1860-1870 les photographes sont également à pied d’œuvre : près de Saint-Brieuc, le viaduc en construction qui surplombe le Gouët attire particulièrement Charles Paturel (1815-1887) et Pierre-Ambroise Richebourg (1810-1875) qui suivent ce chantier de novembre 1861 à mai 1863. L’année suivante Édouard Baldus (1813-1889) photographie lui aussi cet imposant ouvrage.
Neuf ans plus tard, Louis Lafon, précurseur de la photographie d’ingénierie, accompagne la mise en place du tablier métallique du viaduc de Lessart surplombant La Rance. Durant le mois d’octobre 1879, il enregistre pas à pas la pose de cette impressionnante structure de 96 mètres de long qui va permettre de relier les gares de Dol et Lamballe.

Les photographies effectuées entre 1850 et 1890 constituent la mémoire des compagnies, elles témoignent de la dextérité des ingénieurs et de l’habileté des ouvriers. Mais elles se distinguent aussi par leurs qualités esthétiques : la justesse des cadrages, la beauté des paysages transformés par l’intrusion de ces géants de pierre ou d’acier, magnifiés par l’œil des photographes, ont conduit à la naissance d’une nouvelle catégorie de photographie paysagère.
Les photographes de la génération suivante conservent naturellement cette thématique. Raphaël Binet (1880-1961), notamment, ne se lasse pas de photographier le viaduc de Toupin construit par Harel de la Noë. Le nombre croissant de photographes en Bretagne a pour conséquence une représentativité grandissante des thèmes liés aux chemins de fer, vus essentiellement sous l’angle matériel et technique : ouvrages d’art, gares, locomotives, catastrophes ferroviaires… sont devenus des sujets à photographier. Le monde des cheminots par contre reste un sujet à part : bien que le temps de pose autorise désormais des postures moins statiques, la photographie des années 1910 nous transmet des portraits de groupe, corps de métier par corps de métier, images très codifiées et figées. Même les reportages de Raphaël Binet (années 1930) au cœur des ateliers, parmi les machines et l’outillage, produisent des photographies aux gestes arrêtés et aux regards immobiles.

C’est à travers la photographie amateur que l’on découvre la vie quotidienne des cheminots : ces clichés témoignent des employés, de leur vie de famille, de l’habitat ou de la gare servant de toile de fond. Le moment fort d’une carrière, comme le départ à la retraite d’un conducteur, offre l’opportunité de photographier le futur retraité devant sa locomotive fleurie et décorée pour l’occasion. Petits moments festifs ou évènement plus exceptionnel, la photographie atteste d’une appartenance sociale souvent revendiquée. Dans les périodes plus récentes, Daniel Le Danvic, photographe et cheminot, réalise des portraits de ses collègues en situation professionnelle : approche sensible qu’autorise la connaissance des métiers et de l’entreprise.

Si en Bretagne la photographie n’a pas été associée aux tous premiers pas du chemin de fer, elle est vite devenue, par le biais des ouvrages d’art notamment, une thématique à part entière.
Texte extrait de Bretagne Express, Les chemins de fer en Bretagne 1851-1989, éditions Fage, Lyon, 2016.