La seconde génération Odorico (1912-1945) : les clés du succès

Le fondateur de l’entreprise, Isidore père, meurt en 1912. Après la Grande guerre lui succèdent ses deux fils, âgés respectivement de 39 et 25 ans : Vincent (1879- 1934) assure la gestion ainsi que les relations avec la clientèle ; Isidore (1893-1945), la direction des équipes et la conception des projets.

Portrait d’Isidore Odorico, anonyme, vers 1940 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

C’est une nouvelle étape particulièrement fructueuse qui s’ouvre, grâce à leur compétence technique maîtrisée, leur sens artistique et leur fibre commerciale hors pair. Devenue Odorico Frères, l’entreprise perdure sous le seul nom d’Isidore à la mort de Vincent en 1934.

Cette période faste correspond au plein épanouissement de l’Art déco des années 1920-1935. Le goût d’Isidore Odorico pour la couleur et l’ornement est parfaitement en phase avec l’époque et ces mosaïques s’adaptent avec bonheur à toutes sortes d’édifices.

Décor sur un immeuble nantais créé par l’entreprise Odorico – CC BY SA – cliché A. Amet, photothèque musée de Bretagne

Formation et parcours d’Isidore Odorico

Né à Rennes en 1893, Isidore Odorico est élève du lycée puis de l’école des Beaux-Arts de la ville – la première des écoles régionales – entre 1908 et 1913. A l’époque, cette formation, tant théorique que technique, est tout à fait inhabituelle pour un mosaïste. Non seulement, il acquiert un large bagage culturel, mais surtout il rencontre tout un milieu d’artistes : architectes, peintres, sculpteurs, ferronniers, maîtres verriers…

École des Beaux-arts de Rennes vers 1910 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

La Grande Guerre éclate peu après. Isidore part pour le front, où il est fait prisonnier en 1915. Sa captivité le mène dans le sud de l’Allemagne, à Darmstadt. La ville abrite des partisans d’un Art nouveau bien particulier, au sein de la Colonie d’artistes de la Mathildendohe. Sur le plan stylistique, ces années de jeunesse auront une influence majeure.

Dans l’après-guerre, les nécessités de la reconstruction favorisent l’usage des matériaux produits par l’industrie – notamment la pâte de verre ou le grès cérame. A l’école de la mode, Isidore Odorico sait concilier esthétique et fonctionnalité, ornement et mise en œuvre rationnelle. La rencontre des architectes rennais aussi éminents qu’Emmanuel Le Ray, Pierre Laloy ou Yves Hémar et la découverte d’oeuvres d’artistes comme Mathurin Méheut ou Edouard Benedictus seront également décisives. Le contexte est donc porteur. Une forte demande, des créateurs de grand talent, il n’en faut pas plus pour engendrer un milieu artistique.

Un boom artistique et économique

L’engouement pour le décor, pour la couleur inaltérable et chatoyante de la mosaïque est considérable. La « griffe » Odorico est partout et reconnue. Dès la fin des années 1920, pour faire face à la demande, l’entreprise ouvre des succursales à Nantes, Dinard puis Angers.

L’équipe de la succursale d’Angers sur un chantier, 1934 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Dans les années 1930, la maison Odorico devient la plus grande entreprise de l’Ouest. Son fonctionnement est profondément lié à un large réseau familial. En se mariant en 1922 avec Marcelle Favret, fille d’un mosaïste réputé de Nevers, Isidore ne fait que perpétuer une tradition qui soude, depuis toujours, ces familles d’artisans entre elles, en France et à l’étranger. Les Pellarin, les Pasquali, les Mongiat, les Carnera, les Favret, les Fabris, les Mander sont parents. Isidore croule sous les commandes, multiplie les déplacements et les rencontres : quand ce n’est pas pour la mosaïque, ce sera pour son autre passion, le football.

Le foot et l’intégration sociale

La passion d’Isidore pour le football remonte à son enfance ; dès son retour en France après la guerre, il met tout en œuvre pour créer une équipe. Il va même recruter des joueurs à l’étranger, notamment en Europe centrale. Ses déplacements à Prague et Vienne sont l’occasion de se « faire l’œil » dans ces villes où l’on privilégie le décor et la mosaïque.

Ses efforts sont récompensés puisque l’équipe rennaise sera finaliste de la coupe de France en 1922. Isidore rêve de joueurs de métier et milite pour la création d’un championnat de France professionnel, qui est finalement créé en 1932. Le Stade Rennais constitue dès cette date une équipe professionnelle. « Dodor » devient alors président du Stade et le restera jusqu’en 1938.

Finale de la coupe de France de football en 1922. A droite, portant un chapeau melon, Isidore Odorico – Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Son implication dans le club, la réussite de son entreprise et son charisme personnel expliquent sa place au milieu des figures majeures du milieu rennais de l’entre-deux-guerres.

Des équipes solidaires

Les ouvriers de l’entreprise Odorico sont en grande majorité Italiens, originaires du Frioul. Ils s’installent durablement en France, comme ce groupe de dix hommes, tout juste sorti de l’école de Spilimbergo, qui intègre l’entreprise en 1930. Le recrutement local ne se fera vraiment qu’après la seconde guerre pour se développer dans les années 1960.

Trois membres de l’entreprise Odorico sur un chantier, anonyme, Angers, vers 1934-1935 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Aux débuts de l’entreprise, les ouvriers sont polyvalents ; à mesure que celle-ci grandit, le travail se différencie : on peut être spécialiste de la coupe des tesselles, dessinateur de maquette ou colleuse préparant les surfaces sans décors – un métier souvent réservé aux femmes. Enfin, on peut être maçon posant chez le client les plaques préparées en atelier.

Les conditions de travail ne sont pas faciles. Il arrive que l’on travaille jusqu’à 70 heures dans la même semaine, et l’on besogne souvent dans l’urgence, de nuit et même le dimanche.

Mais patron et ouvriers ont ce lien affectif des gens qui partagent la même histoire : ils sont Italiens et immigrés. Personnalité attachante, Isidore est un bon vivant, au caractère entier et passionné. Il se révèle exigeant avec ses ouvriers, paternaliste comme on l’était à l’époque, fier de son métier et de ses équipes.

Un travail en différentes étapes

Dans l’entreprise Odorico fils, les tâches sont ainsi réparties :

La « maquette » constitue la première étape : Isidore ou bien de jeunes élèves de l’école des Beaux-Arts, comme Michel Delahaye et Jacques Briand, dessinent des projets en couleur montrant l’aspect des futures réalisations. Ces dessins sont proposés aux clients, qui choisissent.

Sur ce projet de devanture de 1935, le dessinateur propose deux couleurs au client – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

La préparation des plaques vient ensuite : le projet accepté, il est dessiné grandeur nature sur papier kraft. On y colle les tesselles à l’envers. Pour les formes compliquées, les mosaïstes spécialisés de l’atelier de coupe – Sarcinelli, Galliano Serafini, Morolin – choisissent et taillent les matériaux pour les adapter au dessin. Pour les fonds, on utilise des grilles, sorte de cadres en bois munis d’un quadrillage de lames métalliques de l’épaisseur d’un joint. Ce dernier travail est souvent réalisé par des femmes, les « colleuses » : « on mettait les pierres puis on secouait la grille et la moitié des pierres rentraient droites. Après on complétait, ça allait vite ». Une fois la grille remplie, on laisse le tout sécher. Les plaques ainsi obtenues sont numérotées, pliées et rangées.

La préparation des plaques en atelier, en 1953. A droite, le chef d’atelier Galliano Serafini – Collection privée, tous droits réservés

La pose de la mosaïque est la dernière étape : les plaques préparées et numérotées en atelier d’après un calepinage rigoureux, sont amenées sur le lieu de pose. Une chape de ciment est tirée, couverte d’une fine couche de « mastic » ou de « barbotine ». Les plaques sont immédiatement posées, une à une, côté tesselles sur le ciment frais, jusqu’à couverture totale de la surface. On passe ensuite un rouleau qui permet l’adhérence et le nivelage. Le papier kraft est alors humidifié. On le retire très soigneusement, pour ne pas emmener de tesselles du même geste. La mosaïque apparaît alors telle qu’elle sera définitivement après l’avoir nettoyée des résidus de colle ou de mortier. Ne restent plus que les joints qui peuvent être réalisés dès le lendemain.

Pose des plaques de mosaïque préparées en atelier dans l’église de Tréhorenteuc, 1953 – Collection privée, tous droits réservés

Formation artistique, goût pour l’ornement, intégration sociale et équipes solidaires au savoir-faire d’excellence sont les clés du succès de la seconde génération Odorico dans le grand ouest.

Texte extrait de Odorico, 100 ans de mosaïques, éditions Apogée, Rennes, 2009.

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