Art décoratif qui se prête à tous les raffinements, la mosaïque de la seconde génération Odorico trouve aussi sa place dans des applications plus ordinaires. La diversité des matériaux désormais disponibles sur le marché permet à des commanditaires moins fortunés d’avoir accès au monde du décor et de la mode. Les commerces bénéficient de cet engouement. Il va de la façade des usines au sol des magasins en déclinant les formules en vogue, de l’Art déco au modernisme, sans négliger la référence aux styles du passé.

Les commerces : la mosaïque pour enseigne
L’utilisation de la mosaïque sur les devantures de boutiques est chose commune dans l’ouest de la France – mais nulle part ailleurs en aussi grande quantité. Odorico est parvenu à imposer sa mode. Il est imité. Il reste cependant bien difficile d’atteindre la qualité du modèle.

Le goût pour les dégradés colorés domine, associé à la valorisation des formes architecturales : corniche, bandeau, bahut, trumeaux. En fin plasticien, Odorico joue de procédés comme les cannelures, pour animer la façade, et dose les ornements, dans un contraste étudié pour que l’effet visuel se remarque de loin, à la manière d’une affiche.

Sans que cela soit systématique, il est de tradition que la couleur de la devanture indique la nature des commerces : rouge pour les boucheries-charcuteries, bleu pour les poissonneries, jaune pour les boulangeries… Les décors proposés par Odorico jouent ce rôle d’impact « publicitaire » de façon colorée et joyeuse.

Les usines
L’usine Morel & Gaté à Fougères est l’une des premières grandes réalisations confiées à Odorico, après l’Exposition de 1925. Les frises aux motifs Art déco soulignent les lignes de construction des étages, tandis qu’un décor ponctuel marque l’entrée principale. La mosaïque est sagement subordonnée à l’architecture, une manière de faire radicalement à l’opposé de l’usage qu’en fait Odorico à la Maison bleue à Angers.
Presque dix ans séparent l’usine Morel & Gaté (1926-1927) de l’usine Barbier (1935) à Fougères. Rien n’est plus significatif du retour d’un rationalisme moderne, un moment éclipsé par le triomphe du décor. L’architecture, puissamment dessinée, reprend sa suprématie tandis que l’ornement, réduit à un simple rôle d’animation, est accroché au dessus de la ligne d’imposte comme un simple tableau de chevalet.
Les poissonneries
Ce motif en « hublot » a été exécuté pour les salles de bains du navire Félix Roussel, au chantier de Saint-Nazaire en 1931-1932. Il est également réalisé à Rennes, place Sainte-Anne, sur l’étal d’un poissonnier. La poissonnerie était également ornée d’un lambris évoquant un motif de vague.
Les cafés
L’entreprise Odorico réalise de nombreux projets pour des cafés. Particulièrement réussie, la devanture du Café des Caves à Angers exploite un dégradé subtil dans des tons chauds, avec des ornements d’imposte très élaborés et un bahut aux couleurs contrastées… Le motif de bouquet prévu sur le dessin sera remplacé à l’exécution par une variante en jet d’eau, les deux ornements étant typiques de l’Art déco. L’harmonie vivement colorée et le décor jouent un rôle attractif, argument d’importance pour un commerce.
Les boutiques de fleuristes
Parmi les projets de boutiques de fleuristes, ceux créés en 1936 pour la maison Gaufreteau à Flers (Pierre Meurice, architecte) illustrent bien l’évolution du goût moderniste de l’époque.
La première composition est encore dans l’esprit d’Odorico, avec une évidence formelle liant le bandeau, le trumeau et le bahut. L’effet se porte sur les ferronneries de la porte et l’ornement d’imposte sur le bandeau.

Le second projet, hybride, mi-moderne mi-nostalgique, insiste sur l’enseigne compliquée et un petit toit d’ardoise « régionaliste » au dessus de l’entrée (il ne plaira pas). La encore, l’accès au magasin est valorisé par une ferronnerie au bouquet Art déco, un peu nostalgique à cette date.

La dernière proposition renonce à tout ornement et aux effets de matière. Le résultat est épuré, froid, quasiment uni, résolument moderne.

Le magasin Perrier-Baron
L’entrepôt du marchand de primeur Perrier-Baron, à la Guerche-de-Bretagne, se signale par un tympan en hémicycle. Tout l’arrangement repose sur une parfaite symétrie par rapport à l’axe de composition, une manière de faire très classique.
Sur un fond de carreaux cassés, une coupe de fruits et de feuillages, aux formes simples et lisibles, occupe le cintre. Aux angles du bandeau, un motif à la mode, très original, est fait de cercles dressés sur des tiges.
Entre la corbeille de fruit stylisée mais réaliste et les crosses sur tige aux formes abstraites, deux langages plastiques s’affrontent. Le projet, bien différent de ceux créés à la même époque, indique un changement de « mains ».
Autant d’exemples qui montrent à quel point la seconde génération Odorico a su mettre son art au service des commerçants.
Texte extrait de Odorico, 100 ans de mosaïques, éditions Apogée, Rennes, 2009.
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