La mosaïque, art décoratif par excellence, trouve une place privilégiée sur les façades comme dans les entrées d’immeubles. Mais c’est surtout à l’intérieur des logements qu’elle est omniprésente. En transformant la salle de bains ou le couloir, en ajoutant des motifs ponctuels en façade, chacun peut personnaliser son cadre de vie. La mode aidant, il est possible de jouer à l’infini avec les formes et les couleurs. En dehors des réalisations de prestige qui font date, Odorico est intervenu sur de multiples chantiers de taille modeste. L’adaptation aux souhaits de la clientèle a permis à l’entreprise de réaliser un nombre considérable de mosaïques, d’où sa prééminence sur le marché.
La Maison Bleue, œuvre totale d’Art Déco
Entièrement recouverte, sur huit niveaux, de grès cérame et d’émaux, la Maison Bleue (1927) impose sa façade monumentale sur l’un des principaux boulevards d’Angers. Elle est le fruit de la collaboration entre l’architecte Roger Jusserand et Isidore Odorico (comme pour l’Hôtel d’Anjou, un an plus tôt).
Du rez-de-chaussée aux étages de couronnement, la couleur change, par un dégradé savant passant de l’ocre-beige uni au bleu outremer. L’ornementation suit une même progression : les faisceaux et les volutes dorés, les frises, les fonds délicatement craquelés apparaissent dans les étages supérieurs, soulignés par les « rondins » dorés des balcons continus.
L’entrepreneur fait aménager, au premier étage, une sorte d’appartement témoin. Véritable manifeste de l’ornement, la mosaïque en couvre les sols et les murs, notamment dans le somptueux revêtement de la salle de bains où dominent les bleus, les verts et les ors.
L’immeuble Poirier : le jeu entre l’architecture et l’ornement
Au 7 de l’avenue Janvier à Rennes, l’architecte Poirier construit en 1931 cet immeuble valorisé par de larges bandes de mosaïque et un décor en rondins dorés. Le motif est issu de la Galerie des Marbres de l’Exposition de 1925, mais interprété de manière plus sèche et plus géométrique.
Contrairement à la Maison Bleue d’Angers, l’architecture l’emporte ici sur le décor : plus ponctuel, il sert de faire-valoir au bâti. Le changement de style se fait sentir dans ces formes qui appartiennent déjà au répertoire des années 1930.
Sol et lambris : la mosaïque à vos pieds, géométrie et mouvement
C’est à travers la production des « tapis » en mosaïque qu’Odorico trouve un langage personnel. Outre la diversité des formes, la grande échelle des motifs étonne par rapport à la surface qu’ils recouvrent : le décor compte autant par sa taille que par sa répétition. Cette conception est très différente de l’agencement géométrique traditionnel des carrelages ou des parquets. Odorico exprime un engouement typique de l’entre-deux-guerres. En France comme ailleurs, la tendance est à la géométrisation des formes.
Les salles de bains, théâtre intime
La maison « moderne » se doit d’avoir une salle de bains. Au 19e siècle, avoir l’eau courante était peu répandu. Dans les années 1910, la salle de bains appartient encore aux habitations de luxe, mais elle se démocratise grâce à la standardisation de l’équipement.
Dans les années 1920, elle devient, pour quelques uns, un objet de fantaisie que l’on ose montrer. Cette mode se répand rapidement. Odorico, dans des réalisations de prestiges, couvre de mosaïque, lambris, tapis et équipements. La baignoire en est l’élément majeur. Rehaussée par une estrade, elle devient une sorte de trône.
La maison d’Isidore Odorico
Réalisée par Yves Lemoine en 1939-1940, la maison d’Isidore Odorico, rue Joseph-Sauveur à Rennes est la synthèse réussie du changement esthétique : voile beige de carreaux cassés tendu sur un volume cubique au toit plat, grandes baies soulignées de céramique noire. A l’extérieur, l’ornement disparaît. A l’intérieur, seule la salle de bain en garde le témoignage. Mais Isidore ne renonce ni à la matière ni à la couleur : granito vert, tesselles de marbre brun et smaltes d’or dans l’escalier, smaltes bleus, verts et or dans la salle de bain.
Odorico sait s’adapter et ne cesse de se renouveler. Mais, malade, moralement touché par la Seconde Guerre, il s’éteint précocement en 1945.
S’il avait survécu, il aurait été une personnalité de premier plan dans la Bretagne de la reconstruction.
Texte extrait de Odorico, 100 ans de mosaïques, éditions Apogée, Rennes, 2009.