La goutte de lait, une œuvre sociale

Après la défaite de 1870, la nécessité de repeuplement devient une priorité pour les autorités publiques. Or, la mortalité infantile est très importante à la fin du 19e siècle pour plusieurs causes. Tout d’abord une baisse de l’allaitement naturel, qui progresse avec le développement du travail ouvrier, et une baisse du nombre de nourrices « au sein » favorisent l’utilisation du biberon. Or, les biberons les plus utilisés de 1870 à 1914 sont des biberons à tube, dont le plus célèbre est le « biberon Robert », qu’on a qualifié, non sans raison, de « biberon tueur ». Dans le biberon se trouve un tube en verre qui est prolongé à l’extérieur par un long tuyau en caoutchouc.  Il est aisé de deviner à quel point le nettoyage devait être difficile, favorisant la prolifération des microbes et entraînant la mort de nombreux nourrissons par infection gastrique.

Affiche pour le biberon Robert – Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

De plus, le lait utilisé est très souvent de mauvaise qualité : hygiène douteuse, « mouillage » du lait avec de l’eau impure, ajout de farine et blanc d’œuf pour masquer les altérations…

Un mouvement social en faveur de la maternité et de l’enfance  se développe donc afin d’endiguer cette mortalité. Il va notamment se traduire par la création de la « Goutte de lait », œuvre sociale fondée à Fécamp en 1894 par le docteur Léon Dufour, qui s’y installe après des études de chirurgie et d’accouchement à la faculté de Nancy, ville où l’on s’intéresse de façon précoce aux questions de pédiatrie.

Estampe pour La Goutte de lait de Vannes, Jean Frélaut, 1910 – ADAGP, Paris, 2017 – Collection musée de Bretagne, Rennes

Cette œuvre s’adresse aux femmes qui sont « dans l’impossibilité physique ou sociale de nourrir [leurs enfants] ». La devise « Faute de mieux » souligne bien que l’allaitement maternel reste néanmoins le moyen privilégié et encouragé d’alimenter les nourrissons. Dès l’origine, un grand soin est abordé à la stérilisation des biberons et du lait. Chaque femme reçoit un panier de neuf à dix biberons avec la dose concordante à l’âge de l’enfant, un biberon correspondant à un repas. Plus qu’un simple centre de distribution de lait, l’œuvre de la « Goutte de lait » est avant tout un centre de soin et d’éducation à l’hygiène (consultation obligatoire des nourrissons, conseils prodigués aux parents…).

Devant des résultats encourageants, le modèle  de la « Goutte de lait » de Fécamp et le nom qui lui est attaché vont se diffuser dans toute la France. Ainsi à Rennes, la  « Goutte de lait » ouvre en 1901 rue du Griffon fondée par la Commission administrative du bureau de Bienfaisance. À Vannes, elle ouvre en 1908 sous l’impulsion du Docteur Letoux. Face à l’évolution de la société et aux progrès hygiéniques, les « Gouttes de lait » vont peu à peu fermer leurs portes. Celle de Rennes en 1954 et la dernière, à Fécamp, en 1974. Mais l’œuvre du docteur Dufour aura sans aucun doute contribué à la baisse de la mortalité infantile et aux développements d’une médecine pédiatrique.

Hélène Audrain.

Texte extrait de Boire, de la soif à l’ivresse, éditions Fage, Lyon, 2015.

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