Alain Le Quernec, affichiste de renommée internationale, vit et exerce en Bretagne, à Quimper. Tout au long de sa carrière, il a beaucoup œuvré pour un graphisme d’utilité publique.
En 2020, le musée de Bretagne fait entrer dans ses collections 24 affiches, témoignant de son intense production des années 1970 aux années 1990, au service d’engagements multiples et diversifiés : commandes politiques, communication pour des lieux culturels, causes sociétales bretonnes ou internationales… Alain Le Quernec manie le crayon – et aujourd’hui la souris – avec deux mots d’ordre, l’exigence et la rigueur. Sa recherche de l’efficacité du message se traduit par une forme d’intransigeance dans son travail de conception. Son œuvre est aussi fortement marquée par sa relation à l’identité bretonne et une bonne dose d’humour.
L’inventaire des collections recensait déjà 115 numéros dont Alain Le Quernec est l’auteur. Parmi celles-ci, le musée conserve 93 affiches, cinq cartes postales publicitaires, cinq cartes d’invitation, quatre cartes postales et un album, deux documents publicitaires, une carte de vœu, une carte publicitaire, un dépliant, un menu, une assiette. Ces œuvres ont été acquises entre 1974 et 2018, sous forme de dons, achats ou collectes.

Avec cette nouvelle acquisition, préparée en étroite complicité avec l’affichiste, le musée entend retenir des éléments marquants d’une production importante. Deux critères principaux ont présidé à la sélection : le travail de commande et le lien aux grandes causes, engagements du territoire breton des années 1970-80. Des sujets de société comme le chômage, le nucléaire, les marées noires, mais aussi les mutations politiques ont été privilégiés ; la créativité graphique et le choix d’affiches reprenant des motifs, codes graphiques, images faisant particulièrement sens dans la manière de représenter la Bretagne.
De la Bretagne à la Pologne, Aller-retours
Après des études pour devenir professeur d’arts plastiques et avoir enseigné pendant six ans, il reçoit une bourse d’études d’une année lui permettant d’aller suivre les cours d‘Henryk Tomaszewski à l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie, expérience fondatrice. À son retour en 1972, il s’installe en Bretagne. Il travaille alors pour des partis politiques, des associations ou des institutions culturelles. Il a notamment beaucoup collaboré dans un contexte de commandes avec le parti socialiste du Finistère, notamment avec Louis Le Pensec et le député-maire de Quimper, Bernard Poignant. Si l’inscription sur le territoire breton marque son œuvre, il traite également de sujets politiques, nationaux et internationaux : dans ses « best-of » figurent des affiches qui ont beaucoup circulé comme la Bécassine du PSU avec le slogan « Décidons chez nous » (1981) ou celles pour Amnesty international.
Signes et symboles
Ses affiches sont une mine pour les sémiologues grâce à ses jeux sur les signes et les symboles. Elles sont aussi pleines d’humour, parfois potache, et laissent deviner en creux la personnalité d’un homme de conviction et intransigeant. Membre depuis 1990 de l’Alliance graphique internationale (AGI), il participe à de nombreuses manifestations graphiques internationales, en tant que conférencier, animateur d’ateliers ou membre de jury. En 2019, une importante exposition monographique lui est consacrée au centre du graphisme d’Echirolles alors que parait le livre ALQ aux éditions Locus solus. En Bretagne, il a récemment signé la nouvelle identité visuelle de l’association Bretagne musées, revisitant les codes supposés attachés au patrimoine, comme l’hermine ou le gwenn ha du. Son histoire est aussi intimement liée à celle du musée de Bretagne, avec plusieurs affiches importantes commandée par Jean-Yves Veillard : « Un musée pour quoi faire ? » ; « l’Affaire Dreyfus ».
Focus sur quelques affiches iconiques
L’affiche reprend, en le détournant, le personnage de Bécassine, très mal perçu en Bretagne dans les années 1970. En le dotant d’une bouche ouverte et d’un poing levé, le graphiste retourne le stigmate d’une figure vécue comme méprisante, et en fait à la fois une féministe et le porte-parole d’une Bretagne capable de distanciation.

Tirée à 5 000 exemplaires, l’affiche vise à mobiliser les touristes contre le projet de centrale nucléaire de Plogoff à proximité de la pointe du Raz. 1980 est aussi « année du patrimoine » : en jouant sur les codes de l’affiche touristique, la dénonciation joue de ce paradoxe pour miser sur la défense d’un patrimoine naturel menacé.

Après le naufrage de l’Amoco Cadiz et en pleine lutte contre le projet nucléaire à Plogoff, scientifiques et militants ont rédigé le plan Alter breton, pour une Bretagne indépendante en énergies, sans nucléaire ni pétrole. L’affiche commandée par le PSU s’inscrit dans ce contexte, à quelques mois des élections présidentielles, alors que Valérie Giscard d’Estaing a lancé un vaste programme de centrales nucléaires sur le territoire national.

Dans les années 1970, les fermetures d’usines de conserves de poissons et de légumes se poursuivent partout en Bretagne. Le Parti socialiste plaide pour le maintien de l’emploi de cette industrie en Bretagne. À une image forte – la boîte de sardines à l’huile, emblème régional, crucifiée – répond un slogan à double sens, jouant sur la réalité de la délocalisation.

Il s’agit d’une affiche créée pour une occasion unique, une soirée –débat à la MJC de Douarnenez en 1982. L’affiche connait un succès important, au point d’être encore rééditée. L’image des Bretonnes en costume en procession derrière des bannières religieuses est un cliché récurrent : Alain le Quernec le détourne pour mettre ces femmes mettre derrière un drapeau rouge, rappelant là aussi une autre réalité historique, celle des grèves des conserveries en 1926, qui employaient une main d’œuvre essentiellement féminine.

Pour cette affiche de festival de jazz, Alain Le Quernec joue la carte de la diversité : fruit du métissage entre la culture du peuple noir américain issu de l’esclavage et de la culture européenne importée par les colons, le jazz est ici incarné un homme noir portant le costume traditionnel breton. Avec ce clin d’oeil, il fait ainsi référence aux vieilles cartes postales, où l’on fait poser des célébrités de passage en costume, tout en questionnant le « costume déguisement ».

La France connaît aussi dans les années 1980 des mouvements antiracistes de grande ampleur. Les graphistes bretons Alain Le Quernec et Fañch Le Henaff s’engagent pour ces causes antiracistes et dénoncent les violences policières. En soutien à Malik Oussekine, mort le 6 décembre 1986, après une manifestation étudiante contre le projet Devaquet de réforme universitaire, ils posent la question de la responsabilité de l’État, et notamment celle du ministre de l’intérieur, Charles Pasqua.

Série spéciale produite à 10 exemplaires sur velin d’arches pour une exposition au Centre des arts de Douarnenez. Cette série de 6 images est produite 20 ans après le naufrage de l’Amoco Cadiz. Elle puise sa force dans l’association de motifs iconiques de la Bretagne (pêche, tourisme, oiseaux, Saint-Jacques, Bécassine) avec ceux liés à la marée noire et ses acteurs, qu’ils soient responsables ou acteurs du sauvetage.

En 1991, Alain Le Quernec crée l’affiche du 13e festival rennais des Transmusicales, édition restée dans les mémoires avec le concert de Nirvana. La péninsule bretonne, terre de rock est transformée en «Armoric Park» : un petit clin d’oeil, alors que les dinosaures étaient à la mode et Spielberg sortait Jurassic Park…

Céline Chanas.
Novembre 2020.
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