La tapisserie du Jeu de l’Oie

Le week-end du 3 octobre 2020, le musée de Bretagne a accueilli entre ses murs la Tapisserie du Jeu de l’Oie, un ouvrage collectif coordonné par sentimentale foule. Brodée entre 2016 et 2019, elle est liée à la légende d’Elaine d’Astolat. Elle représente un jeu de l’oie, une carte d’Amour en pleine apocalypse, qu’Elaine brode pour raconter son chagrin d’amour pour Lancelot du Lac.

La tapisserie du Jeu de l’Oie souhaite constituer un « matrimoine » imaginaire. Elle compte 3 300 heures de confection, une centaine de volontaires, autant de mètres de laine brodée et une masse de seulement 4kg !

Tapisserie du Jeu de l’Oie – © sentimentale foule

Une œuvre légendaire

Elaine d’Astolat est un personnage secondaire du cycle arthurien, une vierge brodeuse qui meurt d’amour pour Lancelot du Lac. Son histoire a connu depuis la fin du Moyen-Age de nombreuses variations, les plus connues étant celles de Thomas Malory (15ème siècle) et de Lord Tennyson (19ème siècle). Elaine a également inspiré de nombreux peintres, en particulier le courant anglais des préraphaélites. A l’instar d’Ophélie, Elaine incarne alors l’archétype de la « belle endormie » : une jeune fille dont le sommeil ou la mort (passivité ou disparition) devient un modèle de beauté et d’érotisme.

The Lady of Shalott, 1888, John William Waterhouse (1849-1917), 1888 – CC BY NC ND -Tate gallery

A partir de cet héritage pictural et littéraire, Inès Cassigneul a souhaité écrire à son tour une nouvelle version de l’histoire d’Elaine. Il était question de subvertir cet archétype façonné par des récits patriarcaux, pour permettre au personnage féminin de se regénérer. Dans cette fiction critique, inspirée des récits allégoriques médiévaux, Elaine, adoubée chevaleresse par le Dieu Amour, part à la conquête de Lancelot du Lac. Piégée en Enfer, elle brode un immense jeu de l’Oie. L’ouvrage ensorcelé lui permet de revenir sur terre et de libérer avec elle un millier de vierges mortes.

Suite à la rencontre fortuite avec une brodeuse, Muriel Fry, le projet de confectionner l’ouvrage imaginaire d’Elaine a pris forme. Le désir de revaloriser l’artisanat «féminisé» qu’est la broderie s’est fondu à celui de regénérer l’héroïne. La confection de la tapisserie du Jeu de l’Oie est ainsi devenue une aventure collective pour donner corps à un récit pseudo-légendaire et ainsi constituer une œuvre de matrimoine fabulée. La re-transmission de l’histoire se prolonge dans la création de l’ouvrage textile.

Une confection inédite

Automne 2017 : à partir du texte, Sophie Guerrive, illlustrarice, réalise le dessin du jeu de l’oie d’Elaine. L’enjeu est de reprendre des motifs picturaux anciens, pour inventer un dessin moderne. Le dessin, de format A3, a ensuite été retravaillé par Muriel Fry et Inès Cassigneul afin de créer des modèles à broder.

Janvier 2018 – mars 2019 : des ateliers de broderie, à destination de novices et de brodeurs et de brodeuses confirmés, et de tout âges, se déploient en Ille-et-Vilaine : à Rennes, à la Salle Ropartz et au Centre social du Gros-Chêne, ainsi qu’au Théâtre de Poche de Hédé-Bazouges. Puis, à l’initiative d’une participante, Delphine Guglielmini, à la médiathèque de Saint-Pierre de Plesguen. Ces ateliers sont dédiés à la réalisation des cases du jeu de l’oie : chaque personne brode une case. La technique utilisée est le point compté, sur du canevas pénélope appliqué de tulle, et la laine, artisanale, vient de la Ferme de l’Âne gouttière.

Confection de la tapisserie – © sentimentale foule

Avril 2019 – août 2019 : Afin de broder la case centrale du jeu de l’oie, un Marathon de broderie est organisé. La performance de lenteur se déroule dans l’espace public. A la Maison du Livre de Bécherel, à la Médiathèque de Saint-Pierre de Plesguen, avec les Tombées de la Nuit à Rennes et au Festival Bonus, à Hédé-Bazouges. Le canevas est alors fixé à un châssis et posé sur des tréteaux : six personnes peuvent broder ensemble. L’ouvrage circule ainsi sur le territoire, fait voyager les brodeurs et les brodeuses, autant que l’histoire d’Elaine.

Confection de la tapisserie – © sentimentale foule

Août 2019 – octobre 2019 : Muriel Fry, aidée par Anne-Marie Frin et Inès Cassigneul, réalise les finitions, et assemble les cases du jeu entre elles. Un travail technique rigoureux inspiré du patchwork qui permet d’unifier le travail collectif. L’ouvrage est achevé à Melesse, dans l’atelier du charpentier Edouard Raffray, qui fabrique en chêne la structure portante de l’ouvrage.

Assemblage de la tapisserie – © sentimentale foule

Novembre 2019 : La tapisserie est révélée pour la première fois au public en novembre dans le spectacle musical La carte d’Elaine, au Théâtre de Lorient.

Une œuvre vivante et itinérante

Autour de l’exposition de la Tapisserie du Jeu de l’oie s’adossent différentes créations et outils de transmission.

– La carte d’Elaine est un spectacle onirique inspiré d’entresorts et dont l’objectif est de regénérer Elaine.

– Dans Vierges Maudites !, Inès Cassigneul retrace l’histoire de la tapisserie du Jeu de l’Oie : la légende d’Elaine qu’elle a réécrite, ainsi que la confection de l’ouvrage collectif. Le récit s’appuie sur la tapisserie, mais aussi sur la carte géographique du parcours d’Elaine, dessiné par l’artiste Pierre Macé.

– Créé par Delphine Gugliemini, une participante et actrice de l’aventure textile, un kit « do it yourself » permet de réaliser la tapisserie du Jeu de l’Oie en broderie miniature.

– sentimentale foule : nos ateliers d’apprentissage et de partage commun autour du savoir-faire artisanal.

Spectacle La Carte d’Elaine– © Laurent Guizard

Inès Cassigneul.

Novembre 2020.

2 réflexions sur “La tapisserie du Jeu de l’Oie”

  1. Une très belle oeuvre collective! Il faut voir la tapisserie. Elle est exceptionnelle. J’espère qu’elle pourra être présentée de nombreuses fois!

  2. Quelle expérience !!
    Artistique, intergénérationnelle, du savoir-faire transmis avec sagesse (et patience) de la part de Muriel, patrimoniale aussi, ou plutôt matrimoniale ! C’est + qu’un spectacle, c’est + qu’un atelier de broderie, c’est vraiment complet, systémique, holistique.
    Le spectacle (vu à Lorient) raconte de manière dynamique et parfois décalée, une histoire mise de côté, dépoussiérée. Emouvant.
    Vraiment Belle Rencontre. BelleS RencontreS.
    Et Merci au Musée de Bretagne pour ce bref WE d’exposition commentée. Il y a tellement de liens à faire avec les expôts.

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