Une histoire de la Bretagne industrielle à travers les collections du musée

Si la Bretagne conserve encore aujourd’hui la réputation tenace d’une région où prédomine jusqu’à une période récente l’agriculture, l’ancienneté, la diversité et la permanence des activités industrielles sont néanmoins des faits indéniables, qui gagnent à être davantage valorisés. Car toutes les composantes sont finalement présentes : gisements de matières premières  (mines de plomb argentifère de Pont-Péan), activités de transformation ou de production, infrastructures de communication (du viaduc maçonné de Morlaix de 1863 au pont métallique de Saint-Nazaire en 1975), aménagement du territoire (des routoirs à lin du Trégor ou  des blanchisseries du Léon de l’époque moderne, aux canaux d’Ille-et-Rance et de Nantes à Brest), la Bretagne possède une histoire industrielle des plus diversifiées, qui a lentement façonné son paysage.

Environs de Bruz la mine de Pont-Péan – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Utilisant l’eau (moulins à farine de la Vilaine ou du Blavet), ou le feu (fours à chaux de Lormandière à Chartres de Bretagne), l’industrie bretonne a constamment évolué, s’adaptant aux réalités du territoire et aux progrès technologiques, se déplaçant du centre et des campagnes vers les villes et les côtes au 19e siècle, et s’installant durablement auprès des grands centres urbains à la période contemporaine.

Les collections du musée de Bretagne comptent actuellement plus de 9 000 notices inventoriées d’objets et de documents relatifs aux activités industrielles, et ceci en amont du futur chantier des collections photographiques qui génèrera ces prochaines années la numérisation de milliers de négatifs pouvant révéler de nouvelles découvertes. Parmi ces items, une forte proportion est représentée sans surprise par l’iconographie (photographies, cartes postales, affiches…) à partir de la fin du 19e siècle. Les documents écrits, manuscrits ou imprimés (correspondance, documents administratifs et comptables, documents de communication et de publicité, tracts syndicaux…) composent une bonne part des fonds également. S’ajoutent quelques collections audiovisuelles (films sur les mouvements sociaux de la seconde moitié du 20e siècle) en cours de découverte grâce à la numérisation. Enfin, les objets (outils, machines, exemplaires de productions industrielles…) traduisent en quantité moindre la réalité des activités, l’évolution technologique ou la commercialisation des produits issus de l’industrie. D’un point de vue général, la datation des pièces conservées démarre véritablement à partir de la seconde moitié du 19e siècle pour les plus anciennes, peu de témoignages ayant malheureusement été collectés pour les périodes précédentes, et s’arrête globalement dans les années 1980. La période très contemporaine mériterait d’être étoffée et mieux documentée.

A quand faire remonter le début des techniques industrielles en Bretagne ?

Si les connaissances apportées par l’archéologie attestent déjà de la présence d’activités depuis la protohistoire (bas-fourneaux gaulois de Plélan-le-Grand), on appréhende traditionnellement le développement des pratiques industrielles plus tardivement. En Bretagne, la proto-industrie des 16e-18e siècles est un héritage à ne pas négliger, tant il est un phénomène économiquement important, irriguant une grande partie du territoire. Les mines de fer bretonnes, principalement rurales, alimentent par exemple les grandes forges (Paimpont, Perret…), utilisant le charbon de bois notamment, tandis que l’eau des rivières est abondamment exploitée pour les moulins. Surtout,intimement liée à l’agriculture et au commerce extérieur, la fabrication des toiles à partir du chanvre,  pour l’emballage et les voiles de bateaux, ou à partir du lin, pour de fins textiles de grande qualité, constitue alors une production de masse particulièrement renommée. Les villes toilières conservent à ce titre un riche patrimoine bâti (maisons de tisserands et hôtels de négociants du 18e siècle à Quintin ou Moncontour ; Locronan, enrichie aux 16e-17e siècles par les toiles à voile « olonnes »).

Peigne à lin, région de Combourg, 19e siècle – CC0 – Cliché A. Amet, collection musée de Bretagne, Rennes

La diversification des activités est également un marqueur de cette première période. Le pays de Rennes par exemple fonde sa richesse, au 18e siècle, sur plusieurs manufactures de toiles et d’étoffes (notamment les noyales à Châteaugiron), mais aussi sur les tanneries à Rennes, les moulins à papier (Antrain et Fougères), les forges de Martigné-Ferchaud ou Paimpont.

Vue intérieure de la forge de Paimpont en 1804 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Pourtant il est vrai que le paysage industriel ne s’est guère pérennisé en Bretagne, malgré des aménagements technologiques parfois importants : des mines de plomb argentifère de Huelgoat-Poullaouen (18e-19e siècles) par exemple, il reste peu de traces.  

La fin de l’Ancien Régime et les années de guerre civile et de guerre maritime livrent un coup fatal aux activités liées au commerce lointain des grandes villes portuaires (raffineries nantaises liées aux importations de sucre, fabrication de textiles, chantiers navals…). Les exportations cessent et la production s’effondre au lendemain de la Révolution. Le 19e siècle est ensuite une période de dégradation économique, en raison de l’insuffisance de capitaux financiers présents sur le territoire : les toiles de Bretagne ne résistent pas à la concurrence du coton et des productions industrielles du Nord et de l’Angleterre,  et la chute de l’industrie textile rurale frappe durement les campagnes, excepté le pays de Landerneau (création de la Société linière du Finistère, 1845). En outre, les forges ne parviennent pas à lutter après 1860 contre la sidérurgie moderne (fermeture de Pontcallec en 1837, Rohan, Riaillé, Martigné-Ferchaud entre 1865 et 1872). Ce climat de misère contribuera à la grande vague d’émigration bretonne à partir du milieu du 19e siècle.

Mines de Poullaouen, éditions Villard, Quimper – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Renouveau au 19e siècle

C’est de la pêche à la sardine que viendra le renouveau, entrainant dans son sillage innovation technologique et dynamisme industriel. La conserve est mise au point par Appert et Colin dans les premières années du 19e siècle et devient une activité nantaise majeure dès 1824. Ensuite les entreprises Amieux, Cassegrain, Saupiquet (à Nantes), Delory à Lorient, Chancerelle à Douarnenez, ou Hénaff à Pouldreuzic (conserves de porc ou de légumes) prolongeront cet essor, principalement sur tout le littoral sud de la Bretagne, de la Basse-Loire au Finistère. L’activité engendre ainsi le développement des petits ports (Audierne, Concarneau…), transformant des bourgades en petites villes,  où travaillent des « ouvriers-paysans », mais également surtout des femmes, voire des enfants : l’association de la mer et de l’usine, une caractéristique bien particulière de la Bretagne. Le musée conserve à ce titre un fonds représentatif, des boîtes de conserve elles-mêmes (sardines, thon, maquereaux) aux pierres lithographiques et affiches publicitaires, qui permet d’illustrer l’impact majeur des conserveries du territoire dans le paysage économique de la fin du 19e et du début du 20e siècle. Néanmoins dès la fin du 19e siècle, une partie du secteur décide d’initier des investissements lointains et de nouvelles localisations (Espagne par exemple) conduiront progressivement au déclin d’une part de l’activité.

Autoclave fabriqué par les fils H. Surdy à Nantes, utilisé dans l’usine de conserverie Saupiquet à Saint-Sébastien sur Loire dans la seconde moitié du 20° siècle – CC0 – Cliché A. Amet, collection musée de Bretagne, Rennes

A la fin du 19e siècle, les réussites les plus visibles sont celles, très localisées, de Nantes (sucreries, biscuiteries…). Les facilités d’accès grâce à la création de l’avant-port de Saint-Nazaire favorisent grandement son développement, ainsi que l’export et la commercialisation. Mais, transformation de premier ordre, la modernisation des transports et des voies de communication participe au 19e siècle de l’achèvement d’un réseau renouvelé en Bretagne : l’arrivée du chemin de fer (Rennes et Saint-Nazaire en 1857 ; Lorient, Saint-Brieuc et Guingamp en 1862 ; Quimper en 1864, Brest en 1865) s’ajoute à la création des canaux, comme celui de Nantes à Brest achevé en 1842. Charbon, machines, engrais, hommes, sont alors acheminés plus rapidement, tandis qu’un véritable réseau se tisse. Parallèlement de nombreux emplois sont créés (ateliers ferroviaires) dans les centres urbains.

Atelier de la gare de Rennes, Raphaël Binet, années 1930 – CC BY SA – Collection musée de Bretagne, Rennes

Si l’État a pu soutenir le développement d’autres centres industriels sur le territoire (industrie militaire et arsenaux de Lorient ou Brest, parmi les plus importants employeurs de Bretagne au tournant du 20e siècle (7 000 ouvriers) ; manufacture des tabacs de Morlaix, construite en 1740), la répartition des activités dans la région reste très inégale. Les établissements liés au domaine national entrainent néanmoins tout un réseau dans la modernité, à l’image de l’usine de machines à vapeur Frimot à Landerneau, gravitant autour de l’arsenal de Brest. Sur les côtes toujours, les ressources maritimes sont bien exploitées : une usine à iode fait son apparition en 1829 au Conquet, dédiée à la transformation de pains de soude confectionnés par les goémoniers (ancienne usine Tissier toujours visible).

Sortie des ouvriers de l’arsenal de Brest, éditions Léon et Lévy, vers 1906 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Surtout l’entreprise privée reste rare, contribuant au constat d’une sous-industrialisation bretonne qui restera marquante : il convient de souligner que vers 1880, 68% des Bretons travaillent dans l’agriculture, 15% dans l’industrie. L’époque demeure celle d’une émigration importante vers les ports et les zones d’activités (région nantaise) ou vers Paris, justement facilitée par le train.  Malgré ces difficultés, l’iconographie du paysage industriel et de ses acteurs (ouvriers, ouvrières) connaît une très large diffusion au tout début du 20 siècle et durant l’entre-deux-guerres. Photographies et cartes postales composent assurément un fonds conséquent au sein des collections du musée, depuis les vues de sites et d’usines, aux images des entrées et sorties d’ouvriers citadins, généralement spectaculaires par le nombre de travailleurs concernés. Si l’impact de l’industrie dans le tissu urbain breton peut sembler moins affirmé qu’ailleurs (peu de hautes cheminées de briques, la sidérurgie bretonne étant restée très rurale), des constructions n’en sont pas moins remarquées en milieu urbain : usine Oberthür à Rennes, fabrique de chaussures Cordier à Fougères, établissements Royer de Saint-Brieuc… révélant par ce biais un large panorama d’activités et d’entreprises.

Imprimerie Oberthur, Rennes, 1899 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Quartiers et habitats sont fréquemment créés aux abords des établissements pour loger les nouveaux arrivants, qui peuvent venir de toute la Bretagne. Une architecture caractéristique, tant patronale (sièges des entreprises) qu’ouvrière, s’installe dans le paysage breton.

Groupe d’habitations ouvrières des Cheminots à La Brohinière, éditions Lamiré, Rennes – Marque du domaine public- Collection musée de Bretagne, Rennes

Naissance d’une culture politique ouvrière

Le début du 20e siècle voit arriver la naissance d’une culture politique ouvrière, liée à des conditions de travail difficiles et à un patronat souvent sourd aux revendications.  La journée de travail dans les usines est généralement très longue (11h en 1888), sans aucun avantage excepté les rares avancées sociales des arsenaux, et les salaires sont souvent inférieurs à la moyenne nationale en France à cette époque… Des grèves massives et longues révèlent les premières actions syndicales, comme à Fougères (industrie de la chaussure mécanisée depuis le dernier tiers du 19e siècle), lors de l’hiver 1906-1907 : événements qui eurent une profonde influence au niveau national. 12 000 employés y travaillaient alors dans 40 usines. Les travailleurs s’organisent, font entendre leur voix, adhèrent à des mouvements d’inspiration communiste ou socialiste, dans les milieux ouvriers des usines ou des ports de pêche. La Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC), née en 1919, et les Jeunesses Ouvrières Chrétiennes (JOC) à partir de 1927, gagnent des adhérents sur le territoire breton. La Première Guerre mondiale, qui génère le développement d’activités alimentant le front (métallurgie, textile, chaussure, conserverie, biscuiterie…) sera également l’occasion de donner une place accrue aux femmes  dans l’expression de cette lutte pour le travail et la hausse des salaires.

Grève de Fougères, A. Chopin, 1906-1907 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Après la Seconde Guerre mondiale, le constat est fait d’une situation difficile et peu adaptée aux enjeux industriels du 20e siècle : mis à part les produits de la mer et de l’agriculture, les matières premières se sont raréfiées ; l’isolement géographique vis-à-vis du territoire national n’a pas été résorbé par les infrastructures ferroviaires ou routières ; une forte émigration des jeunes refusant les faibles revenus et les seuls emplois du secteur primaire empêche tout dynamisme économique. La population travaillant dans le secteur secondaire est peu importante (26% en 1954 en Bretagne contre une moyenne nationale de 35%) et l’activité se concentre principalement sur les travaux publics, en plein essor suite aux travaux de reconstruction. Dans les années 1950, les autres industries traditionnelles – celle des carrières et des mines, du cuir et du textile, de la métallurgie et de la conserve – qui marquent encore fortement les paysages semblent déjà menacées. Il devient donc indispensable de mettre en œuvre une politique industrielle créatrice d’emplois.

Fonderie du Pas et Brisous, Claude Carret, Servon-sur-Vilaine, 1997 – Tous droits réservés – Marque du domaine public

Un après-guerre volontaire

Limiter le déclin de la Bretagne est le projet du CELIB (Comité d’Etudes et de Liaison des Intérêts Bretons) qui naît en juillet 1950 et incarne un fort volontarisme régional. Les années 1950 sont alors marquées par les premières politiques de décentralisation industrielle du centre parisien vers les périphéries régionales. Grâce au « plan breton », des avantages financiers sont offerts aux industriels qui s’installent dans les  » zones critiques « . Ces dernières – définies très précisément par l’Etat – ne pouvant être jusqu’en 1959 que Rennes, Fougères, Lorient, Brest, Saint-Brieuc et Guingamp. Les projets industriels du CELIB concernent d’abord la réorganisation de deux secteurs traditionnels en difficulté – l’industrie de la chaussure à Fougères et les conserveries – ceux concernant les nouvelles industries ne se concrétisent pas encore. L’autre grande priorité est l’amélioration de la production énergétique qui apparaît comme une condition sine qua non au développement industriel. C’est dans ce cadre que sont par exemple commencés en 1957 les travaux de construction de la centrale marémotrice de la Rance.

Quelques projets de grande ampleur sont également initiés à cette période, comme l’installation de Citroën à Rennes à partir de 1953 et son agrandissement rapide (première usine du groupe en dehors de Paris). Cependant, dans les faits, la production industrielle évolue peu avant les années 60 et ce d’autant plus que seules Nantes et Rennes concentrent véritablement les activités. Dans les années 1950-1960, la Bretagne connaît une diminution du nombre de ses entreprises, souvent de petites usines proches de l’artisanat qui ferment : la disparition en 1966 des forges d’Hennebont, créées en 1860, qui avaient employé jusqu’à 3 000 personnes illustre bien cette réalité.

Non au désert breton ! , imprimerie Cariou, Pont-l’Abbé – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Dans les années 1960, l’action du CELIB va permettre à la Bretagne de profiter de la déconcentration industrielle actée par l’Etat. L’Ille-et-Vilaine et la côte en sont les principales bénéficiaires en accueillant des industries non bretonnes, tandis que le centre de la région, trop difficilement accessible, continue de connaître l’exode. Une très large part des emplois créés lors de cette période (26 000) le sont grâce à des primes offertes par l’Etat aux grandes entreprises telles que Citroën à Rennes, le Joint français à Saint Brieuc ou Michelin à Vannes. Mais le réseau de transports (rail et routes) se modernise et la Bretagne connaît un redéploiement important de l’industrie qui se précise par la spécialisation de trois branches composant un modèle breton spécifique : la construction automobile, l’industrie électronique et l’industrie agro-alimentaire.

L’industrie agro-alimentaire devient dans ces années un marqueur du territoire breton, à la fois profondément enraciné dans l’économie traditionnelle et lié à l’avenir de l’agriculture bretonne. Des conserveries et des biscuiteries d’avant-guerre, plutôt disséminées en de multiples petites entreprises, le secteur connaît un phénomène de concentration qui s’accélère à partir de 1964-1965 lorsque de grands groupes rachètent des entreprises qui ne peuvent pas faire face à la modernisation. C’est notamment le cas dans le secteur du lait et du beurre : Bridel absorbe ainsi à Rennes la Beurrerie de l’Ouest, la laiterie de L’Hermitage, et l’entreprise Nazart à Fougères.

Le musée de Bretagne conserve pour cette période un très riche fonds de négatifs photographiques des Créations artistiques Heurtier : cette entreprise, notamment spécialisée dans les prises de vues aériennes, a couvert la Bretagne et ses changements de paysages entre le milieu des années 1960 et le milieu des années 1970, révélant un nombre incroyable de sites industriels en cours d’aménagement, d’agrandissement ou de création ex nihilo. Les intérieurs des sites de production, répondant à des commandes directes des entreprises, occupent également une place importante aux sein du fonds. Ces clichés constituent à ce titre des témoignages particulièrement originaux et pertinents de cette profonde mutation économique.

Laiterie Bridel, Créations artistiques Heurtier, L’Hermitage, 1968 – CC BY NC ND – Collection musée de Bretagne, Rennes

Le secteur de l’alimentation du bétail adopte la même évolution, s’orientant vers la concentration, entre coopératives de producteurs et grandes entreprises françaises et groupes internationaux comme Duquesne-Purina dont l’usine de Loudéac est présente dans les fonds photographiques du musée.  Même chose dans la conserverie où de grands groupes rachètent les entreprises autrefois familiales. Saupiquet par exemple rachète en 15 ans des sociétés installées sur tout le territoire breton. Le rôle des coopératives est ici encore à souligner, elles se tournent à partir des années 1950 vers les productions animales, notamment celles du poulet et connaissant un développement important dans les années 1960-1970 avec par exemple la création de l’Union Nationale des coopératives Agricoles (UNICOPA) ou COOP-AGRI.

L’industrie des biens d’équipement va progressivement supplanter les activités traditionnelles de tanneries ou de fabrication de chaussures. Grâce à des investissements extérieurs, l’usine Citroën s’implante dès 1953 à Rennes en profitant d’une zone aménagée par les autorités locales et crée 1500 emplois. En 1958, l’entreprise achète plus de cent cinquante hectares sur la commune de Chartres-de-Bretagne afin de construire de nouveaux ateliers qui entrent en service en 1962. Ces usines compteront jusqu’à 14 000 salariés au plus fort de leur activité dans les années 1960. Les aides de l’Etat et l’avantage de salaires plus bas en Bretagne à cette époque permettront d’autres implantations (Thomson à Brest, agrandissement du Joint Français à Saint-Brieuc). Ce phénomène est intimement lié à un accroissement démographique et une urbanisation importante (Rennes double presque sa population en 50 ans, à partir de l’après-guerre) et de nombreux aménagements sont entrepris pour garantir l’installation de ces nouveaux travailleurs. D’importantes migrations de ruraux vers les villes, souvent journalières depuis le bassin rennais ou le Morbihan, viennent fournir la main-d’œuvre des usines de l’époque, tels les « ouvriers-paysans » de Citroën.

Blouse de travail portée dans l’usine Citroën à Chartes-de-Bretagne – CC0 – Cliché P. Tressos, collection musée de Bretagne, Rennes

Les anciens arsenaux de l’Etat (Brest, Lorient, Indret…) se restructurent profondément au profit d’une industrie de défense diversifiée. L’ARS, Atelier de construction de Rennes, s’est spécialisé dans la déformation à froid, plus particulièrement la production de douilles d’artillerie, et fournit l’armée et le civil. De nombreux secteurs sont également liés à la défense comme l’usine Thalès à Brest (ancienne usine Thomson), dédiée à l’électronique de défense.

Arsenal de Rennes, Créations artistiques Heurtier, 1971 – CC BY NC ND – Collection musée de Bretagne, Rennes

Mais l’une des transformations les plus notables est sans doute la voie de l’industrie de l’électronique, avec l’installation du CNET (Centre National d’Etudes des Télécommunications) à Lannion en 1960, qui préfigure la spécialisation du territoire, voire une véritable « vocation » économique. Le futur Minitel y sera élaboré. L’ouverture du centre d’études spatiales de Pleumeur-Bodou, dépendant également de l’Etat, constitue un deuxième symbole de cette ouverture aux nouvelles technologies du secteur tertiaire (CELAR à Bruz, Ericsson à Brest, centre de télécommunication (CCETT) à Rennes…) Outre la création d’un très grand nombre d’emplois, c’est l’image de la Bretagne qui s’en trouve modifiée, occasionnant la création de laboratoires de recherche, de grandes écoles, comme à Cesson, en Ille-et-Vilaine. Plusieurs centres de recherche, toujours existants, font alors leur apparition : l’IRISA (Institut de Recherche en Informatique et Systèmes Aléatoires), l’INRIA (Institut National de Recherche en Informatique et Automatique). Entre 1960 et 1975, ce sont environ 12 000 nouveaux emplois qui sont créés sur le territoire, pour partie très qualifiés.

Minitel, 1984 – CC0 – Cliché A. Amet, collection musée de Bretagne, Rennes

Une caractéristique de la période est l’arrivée sur le marché de l’emploi  d’une importante main d’œuvre féminine rendue disponible par la mécanisation des fermes. Elle fournira les fameuses « OS »  (ouvrières spécialisées) des chaînes de production, notamment dans l’habillement.

Carte de pointage mensuelle d’entrée et de sortie d’usine, 1973 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Crises sociales

Dans le même temps, après la Seconde Guerre mondiale, les luttes sociales prennent par ailleurs de l’ampleur, sous l’influence plus prononcée des syndicats comme la CFTC puis la CFDT, dont le développement peut être lié aux idées bien affirmées en Bretagne de la JOC (Jeunesse ouvrière catholique). Dès l’après-guerre, les industries traditionnelles aidées dans un premier temps par l’Etat et le CELIB, connaissent en effet des revers liés à la compétition mondiale. Grèves et manifestations, réunissant souvent ouvriers et agriculteurs, répondent aux fermetures d’usines et menaces pour l’emploi, comme à Fougères, où la crise de la chaussure s’intensifie, ou dans l’industrie de l’habillement. Le mai 1968 breton n’en est que plus violent, avant que ne se produisent de nouveaux conflits dans les années 1970 : grève du Joint Français (1972), des abattoirs Doux à Pédernec et Plouray (1973-1974), de Réhault à Fougères (1976-80), d’Oberthür à Rennes (1975-1983)… Ces conflits sociaux s’insèrent dans de plus vastes mouvements identitaires, en quête de dignité pour les travailleurs. Le musée compte dans ses fonds un ensemble de films de l’Association Contraste (collectif de vidéastes amateurs militants, actifs dans les années 1970) témoignant de manière inédite des mouvements sociaux de cette période. Les slogans « L’Ouest veut vivre » et « Vivre au pays » résonnent alors au cœur des revendications, répondant notamment au souhait du maintien des entreprises locales.

Affiche Le scandale Oberthur au grand jour, 1974 – Marque du domaine public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Dans les années 1980, les branches de l’électronique, regroupant néanmoins 56% des emplois industriels bretons, ne sont pas épargnées, à mesure que les décisions ne se prennent plus localement mais au niveau de grands groupes industriels (exemple : fermeture de la Cit Alcatel près de Guingamp). La géographie industrielle bretonne reste répartie à cette époque entre trois centres principaux : Lannion (CGEE-Alsthom, télécommunications), Brest (électronique, agro-alimentaire, produits de la mer), Rennes (recherche, filière informatique, électronique et bio-industries). Malgré un démarrage accompagné au niveau national et un développement territorial volontaire (Vannes, Saint-Brieuc, Lorient, créations de technopôles…), les villes moyennes de l’intérieur demeurent peu concernées et le secteur industriel ne représente à la fin des années 1990 que 30% des emplois bretons. Quelques implantations sont néanmoins remarquées comme l’industrie cosmétique (Yves Rocher, Rennes et le Gacilly par exemple). D’autres industries connaissent des crises au début des années 2000, comme dans le secteur de l’automobile (PSA Peugeot Citroën, nombreux licenciements, dépôts de bilans de sous-traitants…)

Dans les années 2000, un peu plus de 2 000 entreprises composent le paysage industriel breton, au sein desquelles l’industrie agro-alimentaire reste prépondérante (viande, produits laitiers, plats cuisinés), avant l’automobile ou la construction navale. L’industrie agro-alimentaire est néanmoins soumise à une forte concurrence mondiale et subit des restructurations générant d’importants mouvements sociaux (fermeture fin 2008 de l’entreprise Doux à Locminé et Pleucadeuc ; fermeture de l’usine Gad à Lampaul-Guimiliau en 2013).  Le travail y demeure souvent très difficile, comme en atteste l’ouvrage de Joseph Pontus, A la ligne, paru en 2019, sur son expérience d’intérimaire dans le milieu de la conserverie et des abattoirs bretons. Les quotas laitiers dès les années 1980 avaient donné un premier coup de frein au secteur, puis les préoccupations environnementales, nées de la hausse des taux de nitrate dans l’eau, et l’apparition des algues vertes sur les plages, ont abouti à un coup d’arrêt de l’extension des élevages.

Feuille d’emballage, société Doux – CC BY NC ND – Collection musée de Bretagne, Rennes

Perspectives

Les collections du musée de Bretagne accompagnent de manière pertinente les grandes étapes de l’histoire industrielle bretonne, bien qu’elles nécessiteraient une diversification et des enrichissements sur la période très contemporaine. En effet, la Bretagne aujourd’hui est la cinquième région industrielle française (70 000 emplois dans le secteur agro-alimentaire ; 40 000 dans les technologies de l’information et de la communication…) mais les témoignages de cette réalité gagneraient à être davantage collectés et préservés, notamment au gré des recherches réalisées pour les expositions temporaires programmées régulièrement par le musée de Bretagne et l’Ecomusée de la Bintinais (Ca gaze à Rennes en 1990, Travailler du chapeau en 2007, Quand l’habit fait le moine en 2014, L’imprimerie Oberthür en 2016…).

Manon Six.

Décembre 2020.

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