Fañch Le Henaff est un créateur aux multiples facettes, tour à tour graphiste, scénographe, typographe. Né en Bretagne en 1960, il y vit et travaille, entre son atelier de Locronan et ses activités d’enseignement à Quimper. Ses convictions et engagements animent sa recherche d’une identité bretonne loin des clichés et ouverte aux autres influences culturelles.
De la Bretagne à la Pologne, aller-retour
Formé à l’École régionale des beaux-arts de Nantes, il part étudier en Pologne en 1984, à l’Académie des beaux-arts de Wroclaw auprès des artistes et professeurs Jan Jaromir Aleksiun et Eugeniusz Get Stankiewicz. Plus de 10 ans plus tard, il fait le même voyage d’initiation qu’Alain Le Quernec, sur les traces des maitres de l’affiche polonaise.
De retour en Bretagne, il devient à partir de 1992 professeur d’art graphique à la section arts appliqués, en communication visuelle, du Paraclet à Quimper, puis professeur d’arts plastiques (1994-1999) aux collèges Diwan au Releg et à Kemper. En 1986, il ouvre un atelier à Locronan, sa ville d’origine et mène en parallèle son activité de graphiste indépendant. Il se dirige naturellement vers les domaines de la vie culturelle et sociale bretonnes. Festivals et manifestations culturelles composent une part importante de son travail. Mais ses convictions personnelles l’amènent aussi à s’engager en soutien à des causes sociales, environnementales, politiques, de l’échelon local à l’international : l’affiche hommage à Chico Mendès, défenseur légendaire de la cause amazonienne, assassiné en 1988, ses affiches de jeunesse contre le nucléaire ou celle contre les répressions policières en sont quelques exemples.
Parallèlement, il mène sa vie d’artiste et participe à de nombreuses expositions collectives ou personnelles en Europe et aux États-Unis.
Plus qu’un affichiste, un créateur
Fañch Le Henaff se revendique avant tout créateur. Sa démarche d’auteur est empreinte d’une recherche et d’un travail important autour du signe, de la typographie : « tout bon graphiste aime se confronter à la lettre » dit-il. Il est d’ailleurs l’inventeur d’un nouveau caractère d’imprimerie, le Brito (1997), hommage à un pionnier de l’imprimerie Jan Brito (1415-1484).
Dans sa quête de recherche de l’efficacité de l’image, il se nourrit de références larges, de l’esthétique de Rodtchenko, Lissitzky ou Malevitch au patrimoine breton, ses signes et glyphes. On perçoit cette autorité de la lettre dans sa série Fest-noz e Lokorn (1998-2002), où les diagonales, composées non pas de traits mais de lettres assemblées et traitées comme des surfaces, apportent à elles seules la dynamique de sa composition.

Convaincu que sa pratique graphique est portée par une fonction culturelle d’intérêt public — que revendiquait déjà le collectif Grapus dans les années 1970 — il œuvre à « faire société » par le graphisme, qui constitue selon lui un langage en soi.
En 2012, Fañch Le Henaff fait un don au Musée de Bretagne de l’intégralité de sa production, soit 258 items répartis en différentes catégories : affiches d’auteur, d’exposition cartons d’invitation, identité visuelle, travail d’artiste, produits dérivés, projets scénographiques, projets de typographie (lettres « BRITO »). Cet ensemble présente l’intérêt de comprendre le processus créatif grâce aux différentes maquettes manuelles et la documentation des projets.
Focus sur quelques affiches iconiques
Refuser le nucléaire c’est un droit de l’Homme
Cette affiche, travail de jeunesse datant de 1979 témoigne des engagements précoces de Fañch Le Henaff, ici contre le nucléaire et la centrale de Plogoff, alors qu’il termine ses études secondaires au lycée de Quimper et s’apprête à rentrer à l’école des beaux-arts de Nantes.

Diwan
Cette affiche, datant de 1982 est entièrement en breton : elle met à l’honneur les écoles Diwan et l’enseignement de la langue. Elle met en avant les protagonistes eux-mêmes, les élèves de l’école Diwan de Plomelin en 1981. La citation en exergue est explicite : » L’avenir de la langue bretonne est dans la bouche de vos enfants ». La seconde est de la paysanne et poétesse du Trégor, Anjela Duval (1905-1981) : » Comme pousse la fougère à l’abri de la mousse, que grandissent nombreux et joyeux les petits enfants Diwan « .

Pasqua connection
La France connaît dans les années 1980 des mouvements antiracistes de grande ampleur. Fañch Le Henaff s’engage pour ces causes antiracistes et dénonce les violences policières dans plusieurs projets. Cette affiche est une réaction quasi-immédiate au décès de Malik Oussekine, mort le 6 décembre 1986, après une manifestation étudiante contre le projet Devaquet de réforme universitaire : le graphiste pose sans équivoque la question de la responsabilité de l’État, et notamment celle du ministre de l’intérieur, Charles Pasqua.

Drouklazhet o deus Chico Mendès [Ils ont assassiné Chico Mendès]
Paysan-seringueiro, président du syndicat des travailleurs ruraux de Xapuri au Brésil, Chico Mendès est assassiné le 22 décembre 1988 par des tueurs à gage. Engagé dans la lutte pour la sauvegarde de la forêt amazonienne aux côtés des Indiens, il paye le prix du sang, comme tous ceux qui entravent l’action des grands groupes industriels et puissants propriétaires brésiliens. L’affiche utilise la métaphore de l’arbre qui saigne pour dénoncer ce crime, tout en rendant subtilement hommage à l’homme avec son visage perceptible dans le tronc.

Collectif Madeleine Lagadec
L’infirmière Madeleine Lagadec, originaire de Guipavas est assassinée au Salvador en 1989 à l’âge de 27 ans. Une première affiche, sur fond blanc avec le motif du rosier central et la photographie de Mado en médaillon est créée pour dénoncer ce crime et les exactions des forces armées salvadoriennes. Trois ans plus tard, Fañch le Hénaff décline pour le collectif une seconde affiche pour un temps plus festif et engagé dans la recherche de la vérité sur les conditions de sa mort . Elle est destinée au Centre des Droits humains Madeleine Lagadec, inauguré en 1992 au Salvador. En exergue figure en espagnol un extrait de la Convention de Genève : « dans un conflit belliqueux, la population civile et les services de santé doivent être respectés ».


Dilezomp an armou nukleel diouzhtu ! [Abandonnons les armes nucléaires immédiatement !]
Fanch le Hénaff crée cette affiche en 1983, en pleine guerre froide, alors de nouvelles tensions apparaissent entre Américains et Russes qui déploient au cœur de l’Europe leurs « euromissiles », créant ainsi la menace d’un troisième conflit mondial. L’affiche représente une croix médiévale de granit – la croix de la Keben – détruite et coiffée d’un casque militaire. L’impact visuel est fort pour le néophyte. Les férus d’histoire bretonne et de légendes y verront aussi une autre allusion : ce site de la croix de la Keben, entre Locronan et Plogonnec, serait celui où la terre s’entrouvrit pour engloutir la Keben, l’ennemie de Ronan, l’Irlandais venu au 6e siècle installer son ermitage dans la forêt de Névet. Le message est passé : « puisse la terre s’entrouvrir à nouveau et engloutir les armes ! «

Sonerien du
L’image de cœur-biniou, initialement créée pour le groupe Brestois Bleizi Ruz mais refusée, a rapidement été adoptée par les Bigoudens de Sonerien Du, groupe de musique bretonne créé en 1972, pour qui le binioù-kozh est un instrument emblématique. L’impact visuel de l’affiche noir et rouge marqua les esprits et le contraste typographique amena le public du groupe à les nommer simplement « les DU ». Plus de trente ans après, cette affiche, créée en 1986, est toujours diffusée pour annoncer leurs festoù-noz.

Paix
Cette affiche a connu deux versions. La première est créée dans le cadre d’un concours international d’affiches sur le thème de la paix, « Images pour la Paix » organisé en 1986 au Japon par le Musée d’art d’Hiroshima. Sélectionnée pour l’exposition, l’affiche connait une deuxième impression en sérigraphie, autoproduite et largement diffusée pour interpeller le public sur le contexte international tendu entre l’Ouest et l’Est au milieu des années 1980. La dérive des continents et leur rapprochement, à l’image de la Pangée originelle est un motif original pour appeler à la paix dans le contexte de déploiement des missiles Pershing et SS20 au coeur de l’Europe.

Kan ar Bobl [Le chant du peuple]
Créée pour le concours Kan ar Bobl 1989 à Quéménéven, l’affiche donne à voir le visage stylisé d’une Bretonne portant la coiffe Borledenn, marqueur d’identité du pays de Quimper, de Locronan, du Porzay. Avec sa bouche rouge et ses cheveux courts, elle affirme l’idée d’une Bretagne décomplexée, à l’aise avec sa culture populaire.

Amoko 2, maquettes et affiche
Ces maquettes illustrent les coulisses de la conception de l’affiche Amoko 2 (1995), réalisée pour une pièce de théâtre de la compagnie Ar Vro Bagan, parodie du naufrage en version science-fiction. Fañch Le Henaff utilise le procédé du photomontage, en réutilisant une image de journal faxée. Avant de parvenir à la version finalisée, qui n’est pas sans évoquer le scénario d’un film catastrophe – la silhouette de l’Amoco évoquant étrangement un requin – le graphiste teste d’autres signes comme la faux ou l’oiseau mazouté.



Céline Chanas.
Bibliographie
Yann Rivallain, « Fañch Le Henaff, tailleur d’images », ArMen, n°155, novembre-décembre 2006, p. 42-49
Jacques André, « Brito, caractère de Fañch Le Henaff », Graphê, n° 59, juillet 2014, p. 1 à 7
Fañch Le Henaff, Skritur (écriture) – typographie et identité, Cloître éditeurs, 1995.
Fañch Le Henaff, Graferezh (Graphisme), Éditions Cloître, 2005.
Fañch Le Henaff, Skeudennoù : Images & points de vue, Châteaulin, Locus Solus, coll. « Graphisme Bretagne », 2019, 177 p.
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