La valise de Paul, émigré breton

Fils de Marie-Mathurine, issue d’une famille de métayers du Morbihan elle-même partie à Paris afin d’assurer la subsistance de ses enfants, Hippolyte Rault est en quelque sorte le « profil type » de l’émigration bretonne.
Né en 1913, il cueille des tomates à Jersey à 12 ans, puis ramasse des betteraves en Beauce à 14 ans. Devenu électricien, il travaille sur les chantiers parisiens de l’après-guerre avant de tenter l’aventure à l’étranger.
Il effectue ensuite un tour du monde entre son service militaire et ses différentes missions pour son travail. À l’étranger, Hippolyte se fait appeler Paul. De Marseille à Melbourne, l’électricien devient éleveur, puis ouvrier dans une exploitation de canne à sucre. Électricien de nouveau, il parcourt le Québec, puis la Californie, avant de revenir définitivement en France en 1965.

La « valise de Paul » est un condensé de la vie d’émigré d’Hippolyte, décédé en 1993. S’y trouvent, pêle-mêle, des dizaines de souvenirs de Bretagne et d’ailleurs, des documents administratifs, des photographies : carte de bibliothèque de San Francisco, plan de Montréal, broderie des chutes du Niagara, photographies d’identité, cartes postales…

Valise d’Hippolyte Rault – Collection musée de Bretagne, Rennes


Cette valise était un des objets phares de l’exposition Migrations, présentée du 15 mars au 1er septembre 2013 au musée de Bretagne. Document de mémoire exceptionnel, elle symbolise à travers l’histoire d’Hippolyte alias Paul et celle de sa mère, le parcours migratoire de plusieurs milliers de Bretons durant la première moitié du 20e siècle.
Pour concevoir cette exposition, les commissaires de l’exposition, Françoise Berretrot, conservatrice au musée de Bretagne, et Anne Morillon, sociologue, spécialiste des phénomènes migratoires, ont lancé en 2011 un appel à collecte de mémoire orale et de documents en lien avec des parcours migratoires, relayé par les médias et un large réseau de partenaires. Les questions posées portaient sur la notion de transmission : que garde-t-on de sa terre natale ? Que transmet-on (ou pas) à ses enfants et petits-enfants ?
Grâce aux associations des Bretons de l’étranger, une enquête a permis de récolter quelques 80 témoignages en provenance de Taïwan, New York, du Canada et du Québec, mais aussi de Paris… Ces enquêtes ont parfois conduit à des enregistrements et à des interviews filmés. Certaines des personnes enquêtées ont également accepté de prêter des objets pour l’exposition.

L’appel à collecte par voix de presse a, sans surprise, donné peu de retour : ceux qui ont répondu sont en général des descendants d’immigrés. Il a donc fallu utiliser d’autres réseaux, plus informels, pour les rencontrer. 173 personnes ont accepté de nous confier leur histoire et/ou leurs objets et/ou d’être photographiées. Les documents et objets ainsi rassemblés pour l’exposition restaient cependant la propriété de leurs détenteurs.

Pourtant, à la fin de l’exposition, Michel Rault, filleul d’Hippolythe, est venu nous proposer en don cette valise et cet ensemble de documents et d’objets. Soucieux de l’histoire familiale, il avait réussi à sauver la valise et avait par ailleurs rassemblé des informations importantes sur son parrain et classé l’ensemble dans différentes enveloppes. Profondément émus par la mise en lumière de la valise et de son contenu, les membres de la famille Rault, ont souhaité qu’elle entre dans les collections du musée.

La valie d’Hippolythe Rault dans l’exposition Migrations – CC BY SA – Cliché A. Amet, photothèque musée de Bretagne

Avec ce don, le musée a ouvert la voie à un nouvel axe d’acquisition des collections, en lien avec les parcours migratoires. Il figure aujourd’hui dans les axes forts du projet scientifique et culturel. Pourtant, de tels objets ne sont pas simples à acquérir pour un musée : en raison de leur caractère intime, du lien affectif fort pour les proches, il est la plupart du temps difficile de s’en défaire. Et surtout, c’est bien la qualité de la documentation de l’objet qui porte toute la valeur de l’objet : sans son histoire, sans le parcours de Paul, cette valise n’est qu’une simple valise… Le conservateur a donc accompagné ce projet d’un patient travail avec les habitants, fait de contacts et d’échanges, d’entretiens oraux pour en arriver à dresser la trajectoire de migrant qui confère à cet objet un nouveau statut : celui d’objet muséal, patrimonialisé, révélant tout à la fois un destin individuel et son universalité.

Céline Chanas.

Février 2021.

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