Jules-Louis-Philippe Coignet est un paysagiste de la première moitié du 19e siècle. Il se situe en pleine période romantique à mi-chemin entre le « paysage historique » néo-classique et l’École de Barbizon. Son œuvre dispersée à travers de nombreux musées est aujourd’hui finalement peu connue.
Élevé de Jean-Victor Bertin, maître du paysage historique, Coignet commence très tôt à travailler sur le motif, dans la nature, en particulier en forêt de Fontainebleau à Barbizon, et ceci dès 1819. En 1820, il part en Italie et y effectuera plusieurs séjours au cours de la décennie, et même plus tardivement. Il expose presque chaque année au Salon à partir de 1824. Soucieux de pédagogie, il publie les « Principes et études de paysages dessinés d’après nature » en 1831 et « Cours complet de paysage » en 1833.
Coignet fut un peintre presque toujours en voyage, visitant la Suisse, l’Allemagne, et en 1844 la Grèce et le Proche-orient (Turquie, Levant, Egypte). Il parcourut également les régions françaises (Alpes, Normandie, Auvergne, Pyrénées).
En 1836, année où il est fait Chevalier de la Légion d’honneur, il effectue un voyage en Bretagne et passe par Rennes, poursuit jusqu’à Brest en s’arrêtant à Saint-Pol-de-Léon, et visite également le golfe du Morbihan. Parmi les tableaux exécutés à cette occasion on connaît en collections publiques :
-un Chêne au dolmen dans la forêt de Brocéliande, conservé au musée des Beaux-Arts de Quimper, –La table des marchands à Locmariacquer, conservé au musée de Brest,
-une romantique Vue de La Roche-Maurice, près de Landerneau, exposé au Salon de 1837 et conservé au musée de Dijon,
-une scène montrant des bestiaux pataugeant dans l’eau salée à Saint-Pol-de-Léon (Chambéry, musée des beaux-arts),
-ainsi qu’une autre vue pittoresque de La passerelle Saint-Germain à Rennes (Rennes, musée des Beaux-Arts).
L’œuvre ici proposée peut être comparée à trois autres tableaux plutôt poétiques ayant Rennes pour sujet : deux ayant pour thème les Lavandières à Rennes (l’un passé en vente publique en 2001, l’autre en 2017), et La passerelle Saint-Germain à Rennes du musée des Beaux-Arts de Rennes. Les quatre peintures sont des huiles sur papier, de formats équivalents, peintes d’après nature, dans une palette et un style similaires, et représentant des bâtiments en pierre entre ciel et eau; elles sont situées à Rennes et datées 1836. L’artiste choisit à cette époque de représenter les parties industrieuses et populaires de la ville, consacrées aux activités de teintureries et de tanneries, et qui ont aujourd’hui disparu. La période est celle du « long réveil de la ville assoupie », où Rennes souvent décrite dans les premiers guides de voyage comme une ville assez monotone et insalubre, ne semble pas mériter l’intérêt des visiteurs de passage. Après la Révolution française, Rennes passe d’un statut de capitale administrative et judiciaire de la Bretagne à un simple chef-lieu de département. Le départ des élites parlementaires entraîne un certain recul de l’entretien des bâtiments, la ville apparaît alors dans l’iconographie de ce début du 19e siècle tantôt délabrée, tantôt pittoresque.

Le tableau propose une vue de la Vilaine au niveau de l’ancien port Saint-Yves, avec sur la gauche un des deux moulins dits « de la Poissonnerie ». Les deux moulins de la Poissonnerie se situaient de part et d’autre du principal bras de la Vilaine à hauteur de la rue du Cartage et du n° 16 de l’actuel quai Duguay-Trouin. Appelés Moulins de la Porte jusqu’au commencement du 16e siècle, ils avaient été construits au 9e siècle et avaient été donnés à l’abbaye Saint-Georges par le duc Alain III en 1032. Une gravure de Hyacinthe Lorette exécutée vers 1841 (Album Breton) nous montre une vue très proche, de l’Ouest, avec à gauche sur la rive Nord le moulin à froment (vraisemblablement celui du tableau de Coignet) et la maison du meunier, et à droite, sur la rive Sud, le moulin à seigle.

Les moulins seront abattus en 1845, dans le cadre de la construction des quais, décidée en 1840 et achevée à la fin des années 1850 : depuis les projets de reconstruction des années 1720 après l’incendie, la ville avait effectivement le projet de domestiquer la Vilaine et de l’assainir. La rive ici visible deviendra le quai Duguay-Trouin.
L’exposition Rennes, les vies d’une ville achevée en août 2019 au musée de Bretagne, a fait apparaître un manque de représentations de la ville au sein des collections. Cette œuvre renseigne un pan moins connu des représentations urbaines, contrairement aux premières photographies prises à Rennes à partir de la fin du 19e siècle, dont le musée possède un fonds plus important : il s’agit des images de la ville avant les grandes transformations de la seconde moitié du 19e siècle (canalisation de la Vilaine, aménagement des quais, boulevards, monumentalisation architecturale du centre-ville…).
Manon Six.