Besoin de vacances ? Envie de vous éloigner du travail, de vous couper de vos écrasantes préoccupations et de votre quotidien hyperconnecté ? Désir d’authenticité, de nature préservée, d’un lieu oublié par les progrès technologiques et économiques ? Sachez, qu’au tournant du 19e siècle, les Chemins de Fer d’Orléans et de l’État connaissaient pour vous les destinations idéales !
Laissez-vous séduire…
Admirez ce paysage !

Il fait beau dans le cadre d’or des genêts. Les vagues caressent doucement le sable doré d’une plage bordée par une forêt de pins et quelques maisons. Sous l’ombrage des arbres, un calme profond règne d’un bout de l’horizon à l’autre, aussi loin que l’œil peut voir. Seul le cri des goélands brise le calme du port. Nulle trace d’établissements industriels gâtant la nature.
Regardez cette ambiance ancestrale !

Après avoir travaillé aux champs, on danse dans la lumière mystérieuse du feu de la Saint Jean, au sommet d’un escarpement rocheux où trois ou quatre menhirs, fantômes des temps lointains, dressent dans le ciel leurs têtes grises et moussues.
Voyez ! Tout est comme autrefois !

Dans ce vieux bourg un peu austère, où un clocher ajouré domine des maisons couvertes de chaume, les rues résonnent de la musique d’un couple de sonneurs. Une voiture à cheval s’apprête à partir pour le Pardon le plus proche. Un mendiant interpelle les pèlerins restés fidèles à la guise de leurs ancêtres. Les hommes portent des bragou-braz et des guêtres, des vestes brodées et de grands chapeaux. Les femmes sont vêtues de corsages bleu ou rouge à larges entournures de velours, des jupes droites à plis lourds, de belles collerettes blanches et des coiffes à grandes ailes. Où sommes-nous donc ? Dans une partie du monde, si lointaine et si oubliée, que le progrès n’y a pas encore pénétré ? Et non ! Nous sommes en France, comme le prouve le drapeau bleu, blanc, rouge accroché derrière les musiciens. Cette affiche nous invite à découvrir une Bretagne pittoresque et, surtout, supposée archaïque !
L’Autre, l’Ailleurs et le Passé
De la fin des années 1880 à la veille de la création de la SNCF en 1937, plus d’une centaine d’affiches publicitaires touristiques sont commandées par les trois réseaux ferroviaires qui desservent alors l’Ouest de la France, à savoir, la compagnie des Chemins de Fer d’Orléans, celle des Chemins de Fer de l’Ouest et celle de l’État, créés respectivement en 1838, 1846 et 1878.Au tournant du 19e siècle, les illustrateurs immortalisent de manière récurrente voyageurs et habitants sur fonds de décors ruraux typiques, de paysages sauvages, de panoramas maritimes, de monuments anciens, voire de ruines.

Ces images répondent aux attentes du voyageur qui veut visiter, pour son plaisir et sa culture, des lieux autres que celui où il vit d’ordinaire, des endroits où il va pouvoir assouvir sa curiosité pour l’Autre, l’Ailleurs et le Passé. Or, quoi de mieux que cette Bretagne aux paysages charmants et surannés où rien ne rappelle la civilisation moderne, un territoire soustrait à toute innovation et à l’aune du passéisme, contrée où se perpétue la vie provinciale de jadis ? Cela est une certitude pour les touristes depuis que la presse l’a clairement écrit en 1857, année de l’inauguration de la ligne de chemin de fer qui mène de Paris en Bretagne : le pays breton est une « contrée classique de la superstition et de la sainte ignorance », un lieu où les usages et les habitudes de la Capitale n’ont pas encore été introduits (L’Illustration, 9 mai 1857).
Vrai-faux de l’archaïsme breton
Cette perception d’archaïsme s’est particulièrement ancrée dans les esprits dans les années 1850 à cause du décalage économique sensible qui commence à apparaître entre une bonne partie de la France, où l’industrialisation s’accélère, et la Bretagne, où les activités économiques traditionnelles, comme la fabrication des toiles, le cabotage ou l’extraction minière, s’écroulent.
Pourtant, le développement industriel, le déploiement des voies de communication, surtout du chemin de fer, et l’essor des villes ont bien modernisé la Bretagne pendant la seconde moitié du 19e siècle. L’agriculture bretonne a même commencé à se transformer dès les années 1830-1840, encouragée par les initiateurs des comices agricoles. Mais, force est de constater que ce développement économique n’a pas absorbé la croissance démographique de la province, assurée par des taux de natalité et de fécondité élevés. Nombre de destins individuels et familiaux ont alors été guettés par la misère. Femmes et hommes en haillons, comme ce mendiant de l’affiche En route pour le Pardon, deviennent un sujet de choix pour l’iconographie de la Bretagne et rencontrent les faveurs d’un public acquis qui voit dans la pauvreté des Bretons la preuve que leur province est en marge de la modernité.
Sophie Chmura.
Juillet 2021.
Bibliographie :
« Affiches de chemins de fer, l’avant-goût du paradis… », dans Musée Dévoilé le blog du musée de Bretagne et Prod’homme (L.) dir., Bretagne Express, Les Chemins de fer en Bretagne 1851-1989, Lyon, Éditions Fage, 2016, 232 p.
« L’entrée dans la modernité (1800-1950) », dans Bretagne est univers, catalogue du Musée de Bretagne, Rennes, PUR/Éditions Apogée, 2006, p. 133 et succ.
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