« A la ligne » – exposition littérature / photographie au festival Arts in situ

Le festival Arts in situ propose une voyage dans le temps… Quand les textes contemporains de Joseph Ponthus illustrent les collections photographiques de Musée de Bretagne.

Joseph Ponthus, décédé en février 2021 à l’âge de 42 ans, n’a écrit qu’un seul roman : A la ligne – Feuillets d’usine, aux éditions de la Table Ronde.

Coup d’essai, coup de poing, coup de maître, A la ligne a obtenu notamment le Grand Prix RTL/Lire 2019, le Prix Régine Deforges 2019, le Prix Jean Amila-Meckert 2019, le Prix du Premier roman des lecteurs de la Ville de Paris 2019.

Après des études de littérature et de travail social, Joseph Ponthus a exercé plus de dix ans le métier d’ éducateur spécialisé dans la banlieue parisienne, après quoi il déménagera en Bretagne pour suivre son épouse revenue vivre sur les terres natales.

Ne trouvant pas de poste en lien avec ses compétences, il deviendra ouvrier intérimaire « à la ligne » d’ abord dans une conserverie de poissons puis en abattoir. Le corps cassé, l’esprit prisonnier qui parfois s’évade, Ponthus écrit et témoigne de son expérience.

De la première à la dernière page, sans ponctuation aucune, le lecteur à la tête sous l’eau. La lecture comme le travail devient linéaire et on termine le livre comme on terminerai une journée à l’usine.

Le festival Arts In Situ devait inviter Joseph Ponthus pour son édition 2021 et programmer le concert « A la ligne » par Michel Cloup Duo et Pascal Bouaziz. Adaptation scénique des textes du livre éponyme. Ce concert avait pleinement sa place dans la programmation du festival qui a lieu dans une ancienne usine de fours à chaux, à Lormandière près de Rennes. La maladie emporte l’auteur, le concert se fera mais pas cette année.

Dans la programmation du festival, une sélection de photographies du fonds Heurtier conservé au Musée de Bretagne avait déjà pris place. Intitulée Une idée de la modernité1, cette sélection a été créée dans le cadre du festival de cinéma de Rennes Métropole, Travelling. Elle illustre et témoigne de la mutation du monde du travail, de la métamorphose de la ville et de l’habitat des années 1960-1970. Cette métamorphose si bien symbolisée par Jacques Tati dans Mon Oncle quand Monsieur Hulot franchi le terrain vague séparant le vieux quartier où il vit de la ville nouvelle où résident les Arpel.

Une idée de la modernité nous dit qu’a cette époque le monde changea, et la révolution numérique actuelle semble accélérer encore le mouvement. Dans un contexte de crise sanitaire inédit, le télé-travail devient obligatoire et les open-spaces photographiés par Heurtier deviennent obsolètes voire dangereux.

Ouest-France, Créations artistiques Heurtier, 1973 – CC BY NC ND – Collection musée de Bretagne, Rennes

La modernité reviendra-t’elle alors sur ses pas et la cloison déroutante presque schizophrénique à laquelle se heurte monsieur Hulot dans l’« open-close-space » de Paytime s’averra-t’elle finalement protectrice ?

Certes le monde a changé et changera encore, mais Joseph Ponthus dans son livre-témoignange semble nous dire autre chose. Il nous dit que non, un certain monde n’a pas changé. Le monde du travail à la chaîne. Celui que Charlie Chaplin fustigeait déjà en 1936 dans Les Temps Modernes. Les Temps Modernes, filmé il y a 85 ans !

La modernité serait-elle une vieille idée ? Et la condition ouvrière une permanence ?

Ponthus, comme Chaplin en son temps déjà moderne, se fait philosophe du geste. Ils nous disent que derrière l’action mille fois répétée, robotisée jusqu’à l’extrême, l’humanité affleure.

« Sur ma ligne de production je pense souvent à une
parabole que Claudel je crois a écrite
Sur le chemin de Paris à Chartres un homme fait le
pélerinage et croise un travailleur affairé à casser des
pierres
Que faites-vous
Mon boulot
Casser des cailloux
De la merde
J’ai plus de dos
Un truc de chien
Devrait pas être permis
Autant crever
Des kilomètre plus loin un deuxième occupé au même
chantier
Même question
Je bosse
J’ai une famille à nourrir
C’est un peu dur
C’est comme ça et c’est déjà bien d’avoir du boulot
C’est le principal
Plus loin
Avant Chartres
Un troisième homme
Visage radieux
Que faites-vous
Je construis une cathédrale
Puissent mes crevettes et mes poissons être mes pierres »

Le festival Arts In Situ n’accueillera jamais Joseph Ponthus mais il va lui rendre hommage. Pour une création originale intitulée « A la Ligne », les textes de l’auteur vont illustrer une sélection de photographies de 1900 à nos jours, du cliché anonyme à la signature de Stéphane Lavoué, toutes issues du fonds du Musée de Bretagne. Ses mots, ses pensées, ses aspirations, le travailleur-écrivain contemporain Ponthus les donne en héritage aux femmes et aux hommes, travailleuses et travailleurs du siècle passé comme une preuve de la permanence d’un certain monde.

Arnaud Billaudeau.

A la ligne, une création originale du festival Arts In Situ, à découvrir pendant le festival Arts In Situ du 10 au 12 septembre 2021 – Fours à chaux de Lormandière – Chartres de Bretagne.

: Une idée de la modernité, recherche documentaire de Delphine Dauphy et Marc Loyon. présentée dans le cadre du festival de cinéma de Rennes Métropole, Travelling et réalisée avec le concours du Musée de Bretagne dans le cadre de Explorations Urbaines.

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