Emprunté à une précédente intervention faite auprès du Cercle celtique de Rennes, ce titre un chouia provocateur, avait surtout pour intention d’amener un public admirateur du costume breton ou du costume traditionnel à se questionner sur la portée de ce vocabulaire, à priori compris de tous et qui pourtant comporte bien des zones floues.
Interroger le vocabulaire nous a semblé un moyen d’éclairer cette question, en scrutant tour à tour la notion de costume, puis celle de vêtement, en croisant entre les deux le vêtement auquel on n’accorde que peu d’importance, le vêtement de travail.
La collection textile du musée de Bretagne, regroupe toutes les pièces réalisées à partir de textiles, donc naturellement des vêtements, mais aussi du linge de maison, des bannières, des drapeaux, des poupées etc. Dans les relations avec les donateurs autour des collections textiles, il n’est pas rare de percevoir une émotion particulière, un véritable attachement affectif lié à la conservation et à la transmission de ces vêtements, et qui renvoient aussi à la personne qui les a portés, dont ils sont l’incarnation. Le costume est un sujet sensible, voire parfois épidermique, est-ce que le vêtement l’est tout autant ? Quant au vêtement de travail est-il lui aussi chargé de tant d’émotion ?

Une question de vocabulaire
Revenons au vocabulaire, le terme de costume fait référence au vêtement festif, au vêtement de cérémonie, parfois au déguisement, rarement au vêtement quotidien et jamais au vêtement de travail. Si au costume sont associée des notions positives, de beauté, d’esthétisme, d’élégance ou encore d’identité positive, au vêtement de travail se rattachent des notions de pénibilité, de salissures, de robustesse. Au registre positif de l’un s’oppose le registre plutôt négatif de l’autre, le terme de costume de travail n’est pas usité, c’est bien celui de vêtement qui y est associé.
Changer de vocabulaire en passant du terme de costume à celui de vêtement, nous amène aussi à élargir le champ d’investigation : les vêtements que l’on ne voit pas, les sous-vêtements, les jupons, les bas, les culottes, le vêtement de travail refont surface ! Interroger ce type de vêtements conduit immanquablement à évoquer la fonction sociale autant que la fonction utilitaire. Qu’il protège, qu’il tienne chaud, qu’il ait des vertus hygiéniques renvoient à une approche commune, banale, voire triviale, toujours absente de la notion de costume, qui semble lui, défini par son seul aspect esthétique.
On peut aussi se questionner sur l’usage au singulier du terme de costume et tout autant de costume breton. C’est bien la diversité qui caractérise les modes régionales et il serait plus exact d’employer des notions de mode locale, et même micro-locale, en les associant dans la mesure du possible à des dates d’usage ou des fourchettes de dates et un territoire donné.
Les modes régionales sont plurielles et pourtant seules quelques-unes tiennent le devant de la scène, constituant une sorte d’imagerie régionale uniforme, perçue comme la réalité vestimentaire de toute une population. Même sur un territoire restreint se croisent et s’entrecroisent des façons de se vêtir variées : la photographie constitue un excellent témoignage de ces entrelacements. L’exemple du Faouët ou encore celui de Redon sont très révélateurs de cette diversité, à la croisée de plusieurs pays et de plusieurs modes. Au Faouët s’entremêlent la mode Pourlet, la mode Giz Fouen « façon Faouët », la mode de Carhaix… Le phénomène est semblable dans le pays de Redon, à la croisée de trois départements, et dans les deux cas il faut ajouter la mode urbaine bien souvent mise de côté alors que son influence est évidente.

Si le pluriel nous semble nécessaire, c’est qu’il témoigne de la grande diversité des modes régionales, de la pluralité des costumes, de toutes les associations qui peuvent être faites entre eux et avec la mode urbaine. Cette diversité atteste également d’une réalité sociale majoritairement absente des considérations autour du costume régional, le lien est rarement fait entre le vêtement et la classe sociale de ceux qui les portent : les riches costumes brodés sont ceux des classes les plus aisées, le vêtement de travail modeste a laissé peu de traces, ne parlons pas des haillons des très pauvres, des mendiants.
On ne sait quasiment rien du costume avant l’invention du mot et de son usage, associé au terme traditionnel on ne sait pas davantage à quoi il renvoie, si ce n’est sans doute à une vision construite au fil du 19e siècle. Peu de travaux récents d’historiens permettent d’éclairer le sujet, la tendance est forte de répéter les mêmes données depuis des décennies ; les représentations iconographiques, les sculptures sont rares avant les années 1830, et avant l’invention de la photographie, elles sont plus ou moins fidèles.
La notion de vêtement de travail est concomitante de celle de costume régional dans la mesure où ces deux catégories ont pris place à la même période mais dans des contextes bien différents. Les deux termes transmettent et disent le lien à une appartenance locale et sociale, mais sont porteurs d’affects bien différents.
L’observation de photographies de la fin du 19e siècle aux années 1910 nous offre des éléments d’analyse : les scènes de travail notamment figurent des personnes aux tenues bien éloignées de l’image pittoresque et idéalisée transmise par les gravures. Souvent à l’exception des coiffes, lorsqu’elles ne sont pas recouvertes d’un foulard qui les protège de la poussière, c’est un vêtement très simple, très sobre et qui ne s’identifie pas ou très peu à une mode locale. Vêtement de travail et vêtement quotidien ne font plus qu’un et caractérisent davantage une profession, un groupe social, qu’une appartenance régionale.

Du vêtement du dimanche au vêtement de travail
Les collections textiles du musée de Bretagne sont assez conformes à l’image véhiculée du costume breton, elles ont été construites sur une approche avant tout esthétique, et sur une période tardive de production puisqu’elles rassemblent essentiellement des pièces des dernières décennies du 19e siècle et du 20e siècle.
La majorité des tenues conservées font référence à des moments rituels et festifs, ce sont par définition de beaux vêtements conservés précieusement et qu’il semble légitime de proposer à un musée. Ces vêtements du dimanche, qui sont ou non des costumes régionaux partagent les mêmes caractéristiques : porteur d’affectivité, d’une mémoire positive, ils sont pareillement sélectifs, et révèlent peu de l’ordinaire du quotidien.

Des vêtements professionnels, uniformes ou apparentés (militaire, pompier, postier, avocat…), le musée en conservait. Position proche du vêtement de travail, ils s’en démarquent néanmoins par leur fonction ostentatoire et de représentation : ils transmettent des valeurs de pouvoir, associées à une condition sociale qui valorisent ceux qui les portent et les distinguent dans ce sens du simple vêtement de travail. Le vêtement de travail, peut être selon les métiers, sale, déchiré, rapiécé, reprisé, usé, décoloré… et il sera jeté ou transformé en chiffons ; « c’est l’univers du modeste, le vêtement de l’anonyme, celui de tous les jours. » (Carole Tymen, Le vêtement de travail, campagne de collectage, rapport interne, musée de Bretagne, juillet 2011).
Toujours associés à un métier particulier ou à une catégorie d’activités ciblées, les vêtements de travail conservés renvoient à une typologie assez figée : le bleu à l’ouvrier, la blouse au paysan, le béret et la vareuse au pêcheur, le sarrau à l’écolier…la tenue définit la fonction et détermine l’appartenance à un groupe social.
Devant la faible présence de vêtements de travail identifiés comme tels dans les collections, le musée avait décidé en 2010 de lancer une campagne de collectage sur ce thème.

Certes, les collections n’étaient pas totalement vierges dans ce domaine, mais lacunaires pour la période contemporaine notamment. Quelques pièces avaient été collectées dans un contexte connu, des bleus provenaient de conserveries nantaises, ou encore d’une compagnie de chemin de fer, mais la majorité des pièces en lin ou en chanvre, de fabrication locale n’étaient pas documentées. La plus importante présence du vêtement de travail au sein des collections se manifestait par une abondante iconographie : dessins, photographies, affiches, cartes postales…. figurent le vêtement de travail mais aussi les postures associées aux gestes et aux mouvements.

Deux fonds documentaires provenant de fabriques de vêtements de travail localisées en Bretagne permettent une autre approche : Ariès le Mont St Michel à Rennes, et Le mont Carmel à Saint-Brieuc nous ont laissé des traces de leurs activités et spécialement de leur démarche publicitaire entre les années 1950-1970.

Pourquoi la collecte ?
Constat dressé que le vêtement de travail était peu présent au musée de Bretagne et plus largement dans les collections muséales, l’idée de la collecte était de remédier à cette lacune en valorisant essentiellement l’époque contemporaine.
La méthode mise en place a été celle de l’ethnologue de terrain, qui collecte des éléments de la culture matérielle (ici vêtements et accessoires de travail), qu’il va contextualiser, documenter, renseigner au mieux.
Le travail s’est déroulé durant six mois, il a été confié à une jeune historienne Carole Tymen entre novembre 2010 et avril 2011. Quelques critères ont présidé à l’organisation de cette collecte : nous ne refuserions pas les pièces anciennes proposées au fil de la collecte, mais privilégierions néanmoins des éléments contemporains. Le vêtement devait de plus attester d’une pratique régionale spécifique, correspondant à un territoire précis ou à un métier particulier : c’est le cas par exemple de la tenue des ouvriers de la poudrerie de Pont-de-Buis, d’une veste de l’arsenal de Rennes, ou encore d’une vareuse en polyester et PVC des marins pêcheurs.

La collecte a demandé la mise en œuvre d’une démarche participative, s’appuyant sur la collaboration des usagers, les porteurs des vêtements de travail eux-mêmes, et des publics. La démarche a reçu un accueil favorable de la part de la presse locale, radio et TV qui ont servi de relais. Il nous a paru essentiel d’expliciter dans quelle perspective s’organisait cette collecte : le vêtement de travail, qui plus est contemporain, n’est guère associé à la notion de musée, il fallait donc convaincre de l’intérêt du processus.
22 particuliers ont été rencontrés (travailleurs, retraités, parents d’utilisateurs) et 10 entreprises ou collectivités ont répondu volontairement et favorablement à la sollicitation du musée de Bretagne. La période historique couverte par les vêtements rassemblés s’étend des années 1920 (canotier de maçon de la ville de Rennes, tenue de garde-pompier de la poudrerie de Pont-de-Buis) aux années 2000 (tenues d’ouvrier PSA Peugeot-Citroën, du site de la Janais). 35 dons ont été comptabilisés, 217 pièces conservées et 12 témoignages oraux conservés.
Plusieurs grands domaines professionnels se sont distingués au fil de la collecte : le transport (compagnie aérienne, maritime, transport urbain), l’industrie (automobile, emballage, agro-alimentaire), la pêche, les services de santé et les services des collectivités. Le vêtement identifié sans conteste comme le vêtement de travail est assurément le bleu de travail, produit localement d’une part dans plusieurs entreprises et utilisé par une très grande diversité de professions. Les entretiens, témoignages collectés auprès des personnes qui ont soit fabriqués, soit portés ces vêtements, ont permis de contextualiser leur usage et plus largement de documenter les métiers.

La collecte a été très appréciée par les particuliers, sensibles notamment à l’idée de valoriser leur profession ou celle de leurs ascendants à travers ces vêtements. Le monde de l’entreprise a été plus frileux, la démarche n’a pas été bien comprise. Quelques pièces ont trouvé une valorisation assez rapide dans le cadre de l’exposition Quand l’habit fait le moine en 2014, dans laquelle elles ont été présentées. L’exposition était accompagnée d’une publication qui valorisait justement la thématique du vêtement de travail à travers les collections photographiques du musée.
Porteur d’une double mémoire, le vêtement de travail évoque naturellement celui qui en est ou en a été revêtu, mais il témoigne aussi plus largement d’une représentation collective du travail et trouve par ce biais toute sa place au musée.
Laurence Prod’homme.