Félix Froissart est un dreyfusard méconnu de l’historiographie de l’affaire Dreyfus. Pourtant l’analyse de son engagement est intéressante, en tant que catholique et ancien procureur général dreyfusard, deux thèmes peu étudiés par les historiens. Les documents transmis par la famille de Félix Froissart en 2016 au Musée de Bretagne, sont un nouveau témoignage. Présentés sous la forme d’un journal composé de treize volumes, ils sont conservés dans la collection relative à l’affaire Dreyfus du Musée de Bretagne. Ces différents volumes font l’objet d’une étude dans le cadre d’un master de recherche en Histoire à l’université de Rennes 2, et avec le soutien de l’association des amis du musée de Bretagne/Bintinais (AMEBB).
Félix Froissart (1832-1924), originaire de Saint-Riquier en Picardie, est issu d’une famille de notables propriétaires et de professionnels de l’ordre judiciaire. Son père est notaire et maire, son beau-père avocat et propriétaire. De son union avec Marguerite de Mouy en 1862, naîtront Jacques (1862) et Jehan (1868).
Docteur en droit en 1852, avocat à Paris en 1854 puis à Amiens en 1858, il est attaché au Parquet de la Cour impériale d’Amiens en 1859. À 29 ans, il est affecté dans la magistrature comme substitut à Saint-Quentin, puis à Laon. Il devient substitut du procureur général à Amiens en 1865, puis à Rouen en 1870. Successivement procureur au Havre (1870), à Lille (1873), à Riom (1877), à Limoges (1877), il démissionne en juillet 1880 suite aux décrets du gouvernement du 29 mars 1880 contre les jésuites et les congrégations non autorisées. Il reprend sa carrière de magistrat en 1896 quand le prince de Monaco le nomme membre du Conseil de révision de la Principauté. Il est nommé chevalier de la Légion d’Honneur en 1875. C’est un magistrat dévoué, au service de la vérité et de la justice, qu’il érige au rang de dogme. Homme honnête, à l’inflexible droiture, fidèle à la loi, il possède le talent et l’indépendance d’esprit qu’il considère nécessaires à l’exercice de son métier. Il est impartial et soucieux de l’accomplissement de ses devoirs. Il est doté d’une culture en droit, littérature et sciences. C’est un notable honorable et de fortune convenable. Catholique pratiquant, légaliste et libéral, il considère à ce titre que les préceptes de sa religion doivent s’allier avec les apports de la Révolution française. Il se définit comme patriote et chauvin, défendant avec ardeur le territoire et le patrimoine de la France. En 1870-1871 il tente à plusieurs reprises de s’engager dans l’armée face à la Prusse. Il se consacre aussi à la rédaction d’articles dans le journal La Gazette de France. Enfin il se dit conservateur.

C’est ce magistrat et catholique, amoureux de justice et de vérité, d’une haute autorité morale, qui lors de l’affaire Dreyfus, s’investit fermement dans le camp dreyfusard.
En 1894, à l’image des français, Félix Froissart est convaincu de la culpabilité du capitaine Dreyfus, condamné à la dégradation et la déportation pour intelligence avec l’Allemagne. C’est à l’âge de 62 ans, en 1897, qu’il émet des doutes sur la culpabilité de Dreyfus à la suite d’événements allant dans ce sens. Il entame alors un travail d’enquête sur les procès depuis 1894. De 1898 à 1915 il tient alors un journal, intitulé L’Affaire Dreyfus. Son travail comporte quatorze tomes (le tome I manque) de 4169 pages (extraits en annexe), ajoutée à cela une table des matières détaillées. Ils se composent d’entrées d’analyses sur les événements de l’Affaire entre 1894 et 1906. A l’aide d’une centaine d’articles de presse et de comptes-rendus in-extenso, Félix Froissart étudie les procès. Une correspondance avec divers protagonistes de l’Affaire, des comptes-rendus de diverses rencontres, des regards critiques et réflexions sur les événements et personnages de l’Affaire y sont aussi insérés. Les registres sont à la fois un journal personnel et un journal de bord, établissant la trace écrite de son travail d’enquête, de son engagement dreyfusard et de ses opinions.

Guidé par sa conscience chrétienne et ses doutes, mobilisant ses capacités professionnelles de magistrat, il dépouille, critique, contrôle, vérifie et analyse tous les textes juridiques tous les textes juridiques, débats, et pièces des procès judiciaires de l’Affaire. Si dans un premier temps son étude est tournée vers la recherche de la culpabilité d’Alfred Dreyfus pour que la France n’ait pas à se reprocher un déni de justice, il se convainc très vite, en professionnel, de l’inanité des charges portées contre le capitaine. Il mène alors une enquête pour chercher les preuves de cette iniquité : faire parler les juges, trouver des témoins qui pourraient certifier qu’il y a eu des faux montrés aux juges lors des conseils de guerre. Son travail est d’une probité sans faille et d’un professionnalisme disert, héritage de sa carrière dans la magistrature. En tant que catholique suivant avec application les préceptes des Évangiles, il s’engage au nom de la charité chrétienne et de la pitié. Il soutient Alfred Dreyfus et les dreyfusards par la prière et la correspondance. Il se dit dreyfusard et catholique dreyfusard. Il met en avant ses compétences professionnelles en se disant magistrat. Il dénonce les excès de la société, l’antisémitisme et l’antidreyfusisme entretenus par l’Église. Il tourne son engagement vers la défense de la justice, de la vérité et du droit, des notions à la fois chrétiennes et judiciaires pour lui. Il s’engage de manière privée (son travail d’enquête), publiquement (ses conversations, sa correspondance avec son cercle social, les dreyfusards et Dreyfus) et collectivement (son appartenance au Comité catholique pour la défense du droit, ses conseils à Alfred Dreyfus pour sa défense en vue de la révision de son procès de 1903 à 1906).
Le journal qui consiste à un travail d’enquête sur l’affaire Dreyfus, présente cependant des lacunes. Les éléments biographiques y sont très peu présents. Pour cerner la personnalité de Froissart et comprendre son engagement dreyfusard et ses opinions sur l’Affaire, des archives familiales viennent compléter les recueils. Ses diplômes, diverses notes, des articles de presse, une correspondance familiale et avec le ministère de la justice entre 1870-1875 et 1910-1919, fournissent des renseignements sur ses origines notables, sa famille, son patriotisme, son catholicisme, ses opinions politiques et sa culture. Son dossier de carrière, comprenant une fiche de carrière, des recommandations des fiches individuelles de notation, et son dossier de Légion d’Honneur permettent de tracer son parcours professionnel et son portrait dans la magistrature. Deux de ses discours prononcés lors des audiences solennelles des Cours d’appel et un ouvrage sur la magistrature démissionnaire de 1880 témoignent de son regard sur les devoirs du magistrat.
Définir l’engagement dreyfusard de Félix Froissart, c’est définir son engagement en temps que catholique et procureur général. Des questions s’imposent : qui est Félix Froissart ? Quand devient-il dreyfusard ? Quelles sont les modalités de son engagement dreyfusard en temps que magistrat, catholique et patriote ? Quel est l’impact de l’Affaire sur sa personne et ses idées ?
Les réponses s’orientent autour de sept axes d’étude. Tracer le portrait de Félix Froissart avant l’affaire Dreyfus afin de mieux saisir les modalités de son engagement en 1898. Établir la chronologie de sa mobilisation et les mobiles judiciaires et religieux de son engagement dreyfusard. Témoigner de son travail d’enquête, de l’importance qu’il porte à la justice et à la vérité et des compétences mobilisées en tant que magistrat et catholique. Tracer l’étude critique de Félix Froissart sur la France de l’Affaire, l’opinion française ignorante et antidreyfusarde, les institutions compromises et un personnel de l’ordre judiciaire entre incompétence et devoir de justice. Définir son engagement dreyfusard en tant que catholique autour des vertus chrétiennes de charité, compassion, pitié et devoir de guide. Spécifier le rôle des interactions sociales et des formes de solidarité sur sa mobilisation dreyfusarde. Enfin analyser sa manière de concevoir l’engagement dreyfusard comme une nécessité et un devoir, ainsi que l’impact de l’Affaire sur lui même et sa famille. Ainsi l’étude biographique de Félix Froissart et de son engagement dreyfusard sera réalisée.
Manon Esnault.
Décembre 2021.
C’est très bien ! Mais il n’est pas nécessaire d’être catholique et « charitable » pour lutter pour la justice !!!