Depuis une dizaine d’années, l’usage d’Internet et du numérique s’est démocratisé. Sites et applications sont là pour nous fournir tout type d’assistance, de données et d’informations à n’importe quelle heure de la journée ou de la nuit. Tout cela est devenu normal, et a progressivement intégré notre quotidien. Nous sommes en permanence connecté à l’Internet : dans notre cuisine pour préparer un dîner, dans notre voiture pour nous orienter, dans nos démarches médicales ou administratives, mais également dans nos activités culturelles.
Le 16 septembre 2017, à l’occasion de la 34e édition des Journées européennes du Patrimoine, le Musée de Bretagne et l’Écomusée de la Bintinais ont ouvert le portail des collections, dans le cadre du projet Des collections en partage, portail visant à rendre visibles et réutilisables les images des collections conservées en réserve.
Si nous avons parfois tendance à l’oublier dans notre société de plus en plus rapide et dématérialisée, il existe derrière ces outils, ces bases de données, ces interfaces web etc., des métiers occupés par des femmes et des hommes qui contribuent à rendre accessibles les données culturelles et patrimoniales, en accord avec le respect du droit d’auteur. Le site Internet et les données qui y sont publiées n’apparaissent pas comme par magie. Elles sont le fruit d’un travail conséquent de saisie et de recherches.
L’informatisation des collections
Bien que les travaux des mathématiciens Alan Turing (1912-1954) et John von Neumann (1903-1957) autour de l’informatique moderne datent de la Seconde Guerre mondiale, et le développement du réseau de communication informatique, dit Internet, de la fin des années 1960, les musées français sont réellement entrés dans l’ère de l’informatique seulement depuis une trentaine d’années.
Le Musée de Bretagne est un précurseur dans le domaine. En 1991, il se dote d’un outil de gestion de ses collections (Micromusée) remplaçant le traditionnel et volumineux registre d’inventaire papier à 18 colonnes sur lequel de nombreux collègues inscrivaient, dans une écriture plus ou moins lisible, les biens entrés dans les collections. L’utilisation de ce nouvel outil est un réel tournant. Il ouvre le champ des possibilités pour la saisie des notices (indexation, documentation) et facilite leur recherche et leur consultation. Cependant, son usage se limite alors à la saisie et à la consultation de notices par l’intermédiaire d’un réseau intranet uniquement accessible aux agents du musée.

Aux origines du portail des collections et du partage des données du Musée de Bretagne
Les établissements culturels sont longtemps exonérés de l’obligation juridique de mise à disposition et d’ouverture de leurs données, au titre du régime dérogatoire des données culturelles[1]. Pourtant dès 1975, le ministère de la Culture inaugure la base de données Joconde, répertoriant sous un catalogue numérique un ensemble de collections issues des musées de France, notamment celles pour lesquelles les droits d’auteur sont tombés dans le domaine public. Ainsi, le ministère de la Culture fait figure d’avant-garde dans le domaine de l’ouverture et du partage des données culturelles[2].
C’est véritablement à partir des années 1980 qu’un mouvement de mise en ligne débute au sein des institutions par le besoin de diffuser les œuvres et les objets conservés dans les musées français. Ainsi, les premières banques d’images voient le jour : c’est le cas au musée d’Orsay dès 1986. Cet élan est renforcé grâce à un plan national de numérisation initié en 1996 pour les collections appartenant à l’État, puis ouvert à partir de 2000 aux collections conservées par les collectivités locales, les fondations et les associations. Ces dispositifs sont également renforcés par l’obligation de récolement décennal des biens conservés[3]. Ces deux étapes étant les préalables obligatoires à la mise en ligne des collections. En 2018, le ministère de la Culture a réaffirmé son soutien à la valorisation des collections muséales en lançant un Programme national de Numérisation et de Valorisation des contenus culturels.
À l’échelle nationale, la Bretagne et Rennes font partie des collectivités pionnières dans l’ouverture des données. En effet, cette philosophie a été initiée par Rennes Métropole en 2010 avec l’ouverture d’une plateforme Open data et a été inscrite dans le projet scientifique et culturel du Musée de Bretagne en 2015. Le chantier des collections de la réserve Arts graphiques (2016-2020) a permis de récoler et de numériser plus de 218 000 documents et un nouveau chantier portant sur la réserve Photographique est en cours (2021-2026). En parallèle, le service juridique des Champs Libres et le Musée de Bretagne ont travaillé à la réflexion autour des enjeux et des problématiques d’exploitation et de réutilisation des images des collections, en faisant le choix de la gratuité et de l’utilisation de licences Creative Commons.
Objectifs et missions
Cette volonté de partage des données se donne plusieurs objectifs :
- Fixer un cadre légal pour l’utilisation et la réutilisation des collections dans un contexte de partage
- Ancrer le Musée de Bretagne, musée de société, comme un « musée dans la société », reflet d’un territoire et de ses habitants
- Mettre en valeur des collections rarement visibles par les publics car conservées en réserve,
- Documenter les collections
- Favoriser la recherche
- Faciliter l’accès aux collections
- Créer un musée virtuel
- Élargir les publics
La mission de recherche des auteurs ou de leurs ayants droit est le préalable essentiel à la mise en ligne des collections sur le portail du Musée de Bretagne et de l’Écomusée de la Bintinais. La première phase, dite de recherches, consiste à :
- Identifier les droits d’auteur afférents aux collections,
- Rechercher les auteurs ou leurs ayants droit,
- Rassembler leurs coordonnées et se mettre en relation avec eux
- Faire acte de médiation et faire preuve de pédagogie pour les accompagner dans la démarche de cession de leurs droits patrimoniaux
- Rédiger les contrats et coordonner les échanges entre les diverses parties
- Intervenir dans l’outil de gestion pour documenter les collections et mettre à jour les informations relatives aux droits d’auteur.
Rechercher les auteurs et les ayants droits : quels outils ?
La méthodologie de recherche est basée sur le recueil de données administratives et biographiques présentes au musée et complétées par des recherches généalogiques, archivistiques et documentaires en ligne.
Les ressources internes, dont la qualité et l’existence varient fortement d’un auteur à un autre, sont précieuses, bien qu’elles soient rares. En effet, le donateur est très rarement l’auteur des objets entrés au musée. En cela, aucune donnée n’existe pour contacter le créateur de l’objet ou pour contacter ses descendants. D’autre part, la sensibilité à compiler des informations nécessaires pour retrouver les titulaires des droits d’auteur a clairement évolué depuis une vingtaine d’année, notamment en lien avec la professionnalisation du milieu muséal. L’absence d’éléments est souvent compensée par les connaissances et le réseau des collaborateurs, au moins pour les acquisitions postérieures aux années 1990. Il arrive également que les coordonnées ne soient plus à jour, voire que les personnes soient décédées.
Ces ressources bien qu’imparfaites constituent tout de même une première approche à ne pas négliger, notamment pour les collections entrées au musée lors de ces deux dernières décennies.



En l’absence de ces informations, de nombreuses ressources externes existent. Les bases de données généalogiques collaboratives (Geneanet, Filae, MyHeritage, Ancestry etc.) fournissent une quantité non négligeable d’informations. Elles sont un outil complémentaire pour initier le contact ou orienter les recherches vers des internautes qui ont un degré de proximité plus ou moins important avec l’auteur des collections conservées. Elles permettent souvent d’accéder aux premières informations pour préciser les recherches (ayants droit existants, nom et prénom(s), date de naissance et/ou de décès).
Ces données doivent tout de même être vérifiées et complétées par le biais des données publiques accessibles en ligne. Les registres d’état-civil apportent des informations connexes : dates de naissance ou de décès, mariages, divorces permettant d’estimer si des ayants droit auraient pu être omis. La consultation de ces archives permet de vérifier la validité des informations glanées. Les registres de matricules, qui récapitulent la carrière des soldats, mentionnent les différents lieux de résidence de l’auteur. Lorsque ces informations sont couplées aux registres de recensement de population, il devient possible de retrouver des informations sur les descendants en ligne directe d’un artiste. De fait, ce document donne accès à des informations relatives à la composition du ménage et aux personnes qui vivent au sein du foyer : nombre d’enfants, prénoms et dates de naissance.
En parallèle, ces documents présents dans les archives françaises, sont aussi accessibles dans de nombreuses bases de données historiques et culturelles. Le site Internet Grand Mémorial agrège les registres de matricules numérisés dans les Archives départementales de France et traite le fichier des Morts pour la France du ministère des Armées. La base Léonore permet de retrouver des données sur les titulaires de la Légion d’honneur. Il existe également des bases spécialisées, comme la base AGHORA développée par l’Institut national d’histoire de l’Art (INHA). Elle recense un corpus de notices biographiques d’architectes et d’artistes français.
Dans certains cas, les informations sont manquantes ou erronées. L’outil Match ID, initié par le ministère de l’Intérieur, se base sur la source des fichiers de décès produit par l’INSEE. Il répertorie tous les décès en France depuis 1970.
En dehors des données publiques, un certain nombre de ressources en ligne permettent de retrouver des auteurs ou des ayants droit. Les blogs et sites Internet d’un auteur ou sur un auteur constituent des portes d’entrées intéressantes que ce soit pour retrouver des personnes ou entrer en contact avec des ayants droit. Dans la plupart des cas, l’auteur du site est un descendant. Certains sites Internet spécialisés dans la parution des avis d’obsèques permettent d’établir de manière non négligeable une liste des descendants vivants et donc potentiellement des ayants droit, d’indiquer les zones géographiques où les rechercher. Les recherches Internet classiques peuvent conduire à retrouver les coordonnées, les profils numériques : annuaires téléphoniques en ligne, réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Instagram, Linkedin etc.), informations professionnelles diverses, pour entrer en relation avec les titulaires des droits d’auteur.
Ces recherches, aux accents d’enquête généalogique, sont faites de détails et d’indices qu’il faut assembler progressivement tel un puzzle.
Convaincre du bien-fondé de la démarche de mise en ligne
Bien que les deux premières étapes d’identification des auteurs ou des ayants droit et de mise en relation soient parfois difficiles, celle qui consiste à convaincre les ayants droit s’avère parfois encore plus compliquée, car cette mission touche également à l’intime.
Derrière les recherches et les collections, il y a des vies et des histoires familiales. On entre dans la sphère du privé, avec la charge émotionnelle que cela peut impliquer, qu’elle soit positive ou négative. Il faut parfois faire le lien entre des personnes qui peuvent s’être perdues de vue, voire qui ne se parlent plus ou qui ne se connaissent pas, du fait d’un degré de parenté éloigné. En ce sens on peut y voir une forme d’acte de médiation opérée par le musée entre les personnes et les traces patrimoniales qui ont survécu. Par ailleurs, il faut faire preuve de pédagogie pour rendre compréhensible les enjeux et le cadre juridique de la mise en ligne.
La patience, la pédagogie, le goût et le sens de la communication sont des qualités importantes dans ce métier. Informer, sensibiliser, expliquer, rassurer et conseiller, sans influencer la décision, sont des actions essentielles pour mener à bien cette mission, auprès d’ayants droit – il faut le dire, souvent perdus. L’intelligibilité des contrats est un facteur de difficultés, notamment au regard du jargon juridique employé et de la méconnaissance générale à propos des droits de propriété intellectuelle, des droits patrimoniaux et de leur transmission. Il est souvent nécessaire d’expliquer la distinction entre les droits d’exploitation cédés au musée, dans le cadre de son fonctionnement courant (exposition, publication, communication institutionnelle, valorisation lors de colloques etc.), et les droits d’exploitation cédés aux tiers pour la réutilisation des images publiées sur le portail des collections.

Ce travail implique donc de savoir convaincre les titulaires de droits d’auteur du bien-fondé de la démarche et de son intérêt. Ces processus laissent peu les familles indifférentes. Malgré tout, nous ne pouvons pour le moment qu’apprécier difficilement l’impact de la demande du musée sur les auteurs et les ayants droit. Aucun outil n’a été développé en interne pour recueillir, comptabiliser et analyser si la sollicitation du musée a permis à ces familles de reconsidérer cet héritage parfois inconnu ou oublié. Le Musée de Bretagne a pour objectif depuis 2020 d’organiser une journée de remerciements dédiée aux ayants droit et aux auteurs qui nous autorisent à diffuser les collections que nous conservons. La pandémie de COVID nous a cependant obligé à repousser cet événement à une période indéterminée. Bien entendu, le taux de contractualisation pour chaque enquête engagée est un indicateur intéressant qui met en avant la capacité à convaincre du bien-fondé de cette démarche avec un niveau de 83%. Pour autant, ce chiffre ne permet pas de cerner dans quelle mesure se produit une forme de réappropriation ou de reconsidération de ce patrimoine par les cédants. La réalisation d’une enquête menée auprès des personnes qui ont contribué à la mise en ligne des collections est à envisager comme un moyen d’analyser le ressenti des titulaires de droits d’auteur dans le cadre de la démarche de valorisation des collections. On observe des retours majoritairement positifs de la part des cédants, synonyme d’une certaine fierté ou d’une forme de sacralisation, sans pouvoir en évaluer la portée et les nuances. C’est notamment le cas lorsque les liens généalogiques sont resserrés. Entre un ayant droit en ligne directe et un arrière petit-neveu ou un petit cousin, le degré de proximité avec l’auteur n’est pas le même. Entre également en ligne de compte dans ce rapport les écarts générationnels entre les membres d’une même famille, le fait d’avoir connu ou non l’auteur de son vivant, le rapport qu’on entretient avec l’histoire familiale, le fait que l’auteur soit un artiste reconnu de la culture institutionnelle ou simplement par les siens, ainsi que les liens que les ayants droit entretiennent globalement avec le patrimoine et la culture conditionnent la réception de la démarche du musée. La reconnaissance de ce patrimoine par ces personnes se matérialise aussi par des propositions de dons qui font suite à la cession des droits d’auteur, sous la forme d’une démarche vertueuse ou en remerciement de l’effort de valorisation engagée par le musée.
D’un autre côté, il arrive que la démarche soit perçue négativement par les titulaires des droits. Les aspects financiers sont le réel point d’achoppement pour les ayants droit ou les auteurs vivant actuellement de leur travail. Certains gèrent et perçoivent une rémunération liée aux droits d’auteur en-dehors des organismes collectifs spécialisés dans ce domaine (ADAGP, SAIF, SACD, SCAM, SOPHIA etc.). En ce sens, ils s’inscrivent dans une forme d’opposition totale à l’ouverture des données culturelles et à leur réutilisation. D’autres ont peur des modifications qui pourraient être faites sur les reproductions numériques des objets.
Les réactions divergent d’un artiste à l’autre comme au sein du groupe que constituent l’ensemble des ayants droit. Quand le cédant est l’artiste, la cession des droits et la mise en ligne relèvent plutôt d’une approche professionnelle. On peut tout de même comparer la variété des réactions à la palette d’un artiste du mouvement « fauve », dont la vivacité des couleurs reflète la diversité des sentiments rencontrés. Des tendances se dégagent tout de même entre l’auteur d’une œuvre directement et les ayants droit d’un auteur.
Une variété d’hypothèses pour analyser la réaction des cédants
Les premiers sont la plupart du temps des habitués de ce type de sollicitations. Leur sensibilisation aux questions de droits d’auteur est largement corrélée aux revenus qu’ils tirent de l’exploitation de leurs créations. Leur métier consiste à créer, ils connaissent donc les enjeux sous-jacent aux droits de la propriété intellectuelle et à l’ouverture des données culturelles. Si ces œuvres sont devenues des collections patrimoniales aux yeux des professionnels des musées et des publics, elles restent des créations de l’esprit, fruit du travail de l’artiste. Celui-ci souhaite garder le contrôle sur la nature des réutilisations par les tiers en publiant les images sous licences restrictives : CC BY NC ND (non modifiable, non commercialisable sans autorisation) ou © Tous droits réservés. Ces questions sont donc vues sous un angle professionnel, celui de la gestion des droits et d’une potentielle rémunération afférente.
Les seconds sont en général moins au fait de ces sujets et de ce qu’ils sous-tendent. Cela est fortement lié à la politique d’acquisition du musée. Qu’acquière-t-on dans un musée de société ? Avant tout des objets du quotidien, des objets ethnologiques, des biens de consommation, des documents iconographiques et photographiques initialement destinés à n’être divulgués qu’au sein de la sphère privée avant leur entrée au musée, rarement des œuvres d’art – en tout cas dans une moins grande mesure et dans une optique différente d’un musée des Beaux-arts. C’est la vocation du Musée de Bretagne d’acquérir un patrimoine significatif des mutations de son territoire et marqueur du quotidien de la population qui y vit, dans la lignée des musées d’ethnographie régionale. Si ces collections n’ont pas forcément de valeur sur le marché de l’art, c’est qu’elles ont rarement été conçues comme des œuvres d’art. Pour autant, elles sont tout de même à considérer comme des œuvres de l’esprit, selon la définition du Code de la Propriété Intellectuelle.
Les connaissances des ayants droit au sujet du Code de la Propriété Intellectuelle et du droit d’auteur varient selon de nombreux paramètres. On peut considérer qu’il y a majoritairement trois catégories d’auteurs :
– Les auteurs-artisans dont l’activité professionnelle comprend une pratique créative : photographes, ébénistes, affichistes, graphistes, graveurs, architectes, mosaïstes, dessinateurs etc. ;


– Les auteurs-amateurs : qui pratiquent ponctuellement une activité créatrice par loisir, passion… sans en tirer de revenu


– Les artistes et créateurs professionnels quel que soit le degré de notoriété.



Les ayants droit de ces auteurs peuvent être eux-mêmes répartis en trois groupes qui ont un rapport relativement variable à ces questions (distants ; familiarisés ; habitués). La date de décès des auteurs conjuguée à leur degré de notoriété, à la typologie de l’objet et au changement de leur statut en entrant au musée, sont des éléments qui jouent fortement sur la connaissance que les ayants droit ont de la propriété intellectuelle. En effet, les ayants droit d’auteurs décédés avant la rédaction des textes législatifs qui encadrent aujourd’hui ces problématiques (loi du 11 mars 1957 sur la Propriété Littéraire et Artistique et Code de la Propriété Intellectuelle, 1992) n’ont pas la même connaissance, exceptés pour ceux dont la célébrité dépasse l’échelle régionale ou sont cotés sur le marché de l’art. Soit cette célébrité les a contraints très tôt à être sensibilisés et à gérer ces questions, soit ils ont suivi le même chemin que leurs ascendants et sont de fait familiarisés. Ce qui constitue une habitude pour les artistes jouissant d’une certaine popularité et leurs ayants droit, l’est plus rarement pour des auteurs-artisans et des auteurs-amateurs, qui plus est quand les collections concernées sont conservées dans des musées de société. Ces objets et ces documents issus du quotidien, de la vie privée, de la vie professionnelle etc. changent de contexte, de statut et de fonction en entrant au musée. Les questions de propriété intellectuelle et de droits d’auteur qui ne s’appliquaient pas dans leur usage initial et privé pour une copie d’examen d’un étudiant, la photographie d’un paysage, un document publicitaire ou un portrait de mariée réalisé par un photographe professionnel par exemple, s’appliquent dès lors que ces objets entrent dans la sphère publique et pour un usage public – ceux-ci relèvent de la qualification d’œuvre de l’esprit en tant que création originale, reflétant la personnalité de son auteur. Dans un double mouvement de préservation et de valorisation, ils passent de la sphère privée à la sphère publique en devenant une partie du domaine public de l’État ou d’une collectivité – celle du musée en tant qu’institution publique –, s’efforçant d’ouvrir et de diffuser ces ressources culturelles. Tout cela s’inscrit dans un contexte d’augmentation de la consommation des biens et des contenus culturels en lien avec l’explosion des nouvelles technologies du web 3.0 et de leurs utilisations dans le secteur muséal. L’échelle de diffusion des collections est passée ces trente dernières années des classiques expositions temporaires, complétées par l’édition de catalogues aux tirages par nature limités, à une mise en valeur au niveau planétaire grâce à la mise en ligne des collections muséales sur Internet. Cette médiatisation mondiale requiert une mise en règle avec les problématiques de droits dont, il faut le souligner, les musées éludaient parfois la question ou n’avaient souvent pas connaissance, comme de nombreux donateurs, auteurs ou ayants droit, qui entretenaient ou non un rapport affectif avec ces objets.
Conclusion
La mise en ligne des collections demande de nombreuses recherches, des temps d’échanges qui peuvent se révéler longs, des allers-retours nombreux. Elles abordent des problématiques juridiques encore insuffisamment connues du milieu muséal, comme des titulaires de droits, qui apprennent dans la majorité des cas qu’ils jouissent de droits sur des œuvres d’aïeux dont ils ne connaissaient parfois pas l’existence. Ces problématiques mettent en évidence la nécessité de revoir certaines pratiques et d’inventer de nouveaux métiers au carrefour du droit, de la recherche, de la généalogie et de la médiation en vue de contribuer à la meilleure diffusion et au partage des ressources culturelles et patrimoniales. La cession des droits d’auteur est désormais réglée au moment de chaque nouvelle acquisition réalisée par le musée de Bretagne et non plus a posteriori, pour limiter les recherches. Cet aspect de la valorisation des collections nous conduit également à nous interroger à plusieurs niveaux sur l’impact que la démarche de cession des droits d’auteur peut avoir sur leurs titulaires. Est-ce un élément qui contribue à la réappropriation par ces personnes du patrimoine culturel que le musée a pour mission de conserver ? Dans quelle mesure la relation établie avec le musée par l’intermédiaire de la cession de leurs droits d’auteur peut-elle se pérenniser ? Peut-on la pérenniser et si oui, sous quelle forme ? Est-ce un moyen de faire communauté avec ce public ? Comment entretenir le lien avec cette communauté de contributeurs au regard des moyens à notre disposition ?
Clément Tessier.
Avril 2022.
[1] Loi CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) du 17 juillet 1978
La loi CADA impose l’ouverture des données publiques, excepté pour les collections muséales, car « ne sont pas considérées comme des informations publiques […] les informations contenues dans des documents […] sur lesquels des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle » (Article 10). Ainsi, tous les documents et données sur lesquels des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle restent en dehors du champ d’application de la loi de 1978.
[2] https://medium.com/correspondances-digitales/les-mus%C3%A9es-fran%C3%A7ais-%C3%A0-lheure-de-l-open-data-e42d504e4a67
Consulté le 26/05/2021
[3] Loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France – Article 12.
Consulté le 03/02/2022
Ping : Vaut le détour #19 – Avril 2022 | L'image de Lyon
Ping : Open content : le Musée de Bretagne partage ses outils – Musée dévoilé
Ping : Un wikimédien en résidence au Musée de Bretagne – Musée dévoilé