Les Seiz Breur et les Saints de Bretagne

De la fin des années 1920 au milieu des années 1940, différents membres du groupe des Seiz Breur (fondé en 1923) sont actifs dans le domaine de l’image, et notamment celle de l’imagerie populaire.

En 1929, dans le numéro 4 de la revue « Kornog », René-Yves Creston consacre quelques pages au livre illustré et aux arts graphiques en général. Il rédige alors un véritable plaidoyer et cherche à convaincre de la nécessité de développer un « art graphique moderne en Bretagne ».

Gravures, illustrations d’ouvrages ou de revues, imagerie diverse (calendriers, timbres…) font émerger un trait nouveau, une composition plus hardie, parfois une typographie innovante. Le sujet moteur étant la Bretagne dans toute son ampleur, rien d’étonnant à voir les Seiz Breur s’approprier l’imagerie des Saints de Bretagne comme véritable terrain d’expérimentation graphique.

Notre-Dame de Koad Keo, Xavier de Langlais (1906-1975), vers 1930 – CC BY ND – Collection Musée de Bretagne, Rennes

Un genre à renouveler : l’image populaire

Quatorze saints de Bretagne

Lorsqu’en 1928 les Seiz Breur lancent la revue Kornog, ils éditent l’été de cette même année une série de quatorze images des saints de Bretagne. Ces images illustrées par Xavier de Langlais, René-Yves et Suzanne Creston, Georges Robin et Jeanne Malivel témoignent à plusieurs titres de l’élan novateur qui anime ces jeunes artistes. Le support choisi révèle leur souhait de toucher un large public, essentiellement celui des pardons. Il dénote une volonté de modifier le contenu habituel de ces images, volonté que le groupe proclame haut et fort : « Le but principal de l’édition de ces gravures est de lutter en les vendant dans les pardons, directement au peuple, contre les horreurs appelées images de piété que déversent en Bretagne les négociants de Saint-Sulpice « . Malgré ce souci d’ouverture et de diffusion, le groupe ne néglige pas pour autant les beaux tirages à part sur papier de Chine, Japon, Hollande ou Rives numérotés et signés des artistes. Ce sont d’ailleurs ces éditions de luxe qui reçoivent un excellent accueil et sont quasiment épuisées l’été même de leur parution.

Cette série d’images constitue la première production collective dans ce domaine de l’édition et plus précisément de la gravure. D’autres projets de cette nature auraient pu voir le jour et une série « des grandes figures de l’Histoire de Bretagne » avait été programmée mais n’aboutit pas dans sa globalité. Alors que ces images pouvaient, conduire les Seiz Breur vers l’estampe et pourquoi pas vers une reconnaissance plus large du mouvement, elle s’arrêta tout net.

Individuellement, certains artistes comme Xavier de Langlais ou encore Xavier Haas et Pierre Péron, réaliseront ultérieurement des images de saints, mais en tant qu’œuvre gravée collective ces quatorze images demeurent un cas exceptionnel. Se réclamant les uns et les autres, et à titre divers, de l’art populaire comme source d’inspiration ou de ressourcement, leur choix de la gravure sur bois n’est pas non plus anodin. Cette technique est celle des images populaires, celle des imagiers des 18eme et 19eme siècles, elle est censée transmettre pureté et rudesse tout en inspirant une nouvelle ligne graphique.

II semble en regardant les images des saints que ce parti pris décoratif inspira leurs auteurs et que la simplicité du bois gravé s’associa parfaitement à leurs choix esthétiques. On peut quand même s’interroger sur l’exclusivité de cette technique qui se refuse à un travail minutieux, exclut le détail et limite tellement la couleur.

À l’échelle de la région, ils bousculent une imagerie bien implantée et assez peu créative. Le choix d’un thème aussi consensuel que celui des saints bretons ne peut l’être qu’à titre novateur : ancrée dans la culture bretonne, la problématique des Seiz Breur se situe moins dans le sujet que dans le traitement pratique de ce dernier. Les cinq membres du groupe qui illustrent ces images sont marqués par une forte parenté stylistique, dont s’éloignent pourtant Jeanne Malivel et Robin.

Saint Maurice, Jeanne Malivel (1895-1926) – Marque du domaine public- Collection Musée de Bretagne, Rennes

L’image de Jeanne Malivel qui figure dans cette série est antérieure d’une dizaine d’années à la date de parution puisqu’elle l’exécute vers 1918. Elle représente un saint Maurice dessiné avec une grande économie sans aucun superflu. Quoique très décorative, cette image se détache assez nettement des treize autres par sa sobriété. Le choix d’un format allongé et la distribution des masses colorées en fortes oppositions lui confèrent une qualité de suggestion souvent absente des autres productions. Jeanne Malivel se joue des contrastes et des tons pour évoquer une présence, presque une ombre dont le nimbe se fond en un soleil lui-même esquissé par quelques pointillés.
La typographie est un élément de la composition, elle fait corps avec le motif et sa ligne gracile ajoute à la poésie du motif. Jeanne Malivel exécutera dans ce mêmes années trois autres gravures de saints (Saint Ronan, Saint Cado, et Saint Hervé) qui n’auront pas la pureté de Saint Maurice.

Robin illustre trois des gravures de Saint : Saint Gwénolé, Notre Dame Du Folgoët et Saint Pol Aurélien. Cette dernière frappe par un traitement inexistant du fond, le saint et ses attributs constitue l’unique motif. Si cette découpe très sculpturale est frappante, le traitement graphique n’offre guère de surprise. À l’inverse, l’image de Saint Gwénolé se regarde comme un récit à entrées multiples. La représentation du saint dans un carré décentré propose une vision assez peu conventionnelle du personnage, qui semble se pencher tant le cadre paraît étroit pour sa stature. Cercles concentriques et demi-cercles d’inspiration « celtique » composent un motif purement décoratif autour du saint. Enfin, dans le registre inférieur, deux vignettes évoquent d’autres événements de sa vie. Le graphisme est rudimentaire, concis et géométrique ; alors que ces vignettes encadrent le seul élément typographique, elles sont elles-mêmes traitées à la manière d’une écriture. Mi- hiéroglyphes, mi- caractères, ces petites images servent de commentaire au portrait de Saint Gwénolé et complètent l’inscription « Sant Gwenole». Le décloisonnement des messages et la diversité graphique qui les sert donnent à cette image puissance et expression.  En comparaison, l’image Notre-Dame-du-Folgoët n’offre pas autant de force. Robin y reprend la même composition centrale, traitée à la manière d’un statuaire. La sainte se présente dans une posture hiératique et seuls les chevrons qui animent le fond donnent vigueur et mouvement à cette gravure par ailleurs assez classique. Le Saint Gwénolé de Robin associé au Saint Maurice de Jeanne Malivel constituent sans doute les deux images les plus réussies de la série. Est-ce un hasard, est-ce un choix, ce sont les deux seules à avoir pour dominante le couleur marron en plus du noir. Les dix autres images, dessinées par Suzanne et René- Yves Creston ainsi que Xavier de Langlais, ont pour couleurs l’ocre-jaune et le noir.

Santez Anna ar Palud pedit evidomp, Suzanne Creston (1899-1879) – Tous droits réservés – Collection Musée de Bretagne, Rennes

En dehors de cette parenté colorée, elles ont en commun de nombreuses affinités stylistiques. Les trois jeunes artistes paraissent avoir mis en commun un registre décoratif, dans lequel ils puisent au gré de leur inspiration. Certains motifs géométriques reviennent ainsi de manière récurrente : parmi eux on repère les chevrons, le cercle sous diverses formes, cercle concentrique, simple rond, volute… Les lignes sinueuses, l’entrelacs sont aussi fréquents, tout comme le faisceau de lignes aiguës évoquant une lumière rayonnante. Il serait restrictif de réduire ces images à une accumulation de détails décoratifs qui ne suffirait certes pas à en faire des gravures de qualité. Le talent des uns et des autres a su exploiter ces motifs autour de compositions souvent très habiles mais marquées par une forte parenté.

L’image de Suzanne Creston, Sainte Anne-la-Palud, est intermédiaire entre celle du duo Jeanne Malivel – Robin et celui composé par Creston – Langlais. Elle use d’un registre décoratif qui est celui décrit plus haut, réduit à une expression très minimaliste. Bien que la posture retenue
soit très classique, montrant la sainte en majesté, la composition géométrique qui l’entoure fait oublier le côté figé de la pose. Les gros cercles du bas de l’image créent un fort contraste avec les chevrons librement dessinés, qui entourent le personnage. L’alternance entre les bougies et les lettres de la légende est une trouvaille plutôt sympathique, qui sert de pont entre la typographie et l’image.

Saint Ronan, René-Yves Creston (1898-1964) – © ADAGP, Paris, 2017 – Collection Musée de Bretagne, Rennes

Les images de Creston et de Langlais ne sont pas des modèles en matière d’innovation typographique : le second se contente d’une simple réserve dans le bas de l’image où vient se loger la légende. Le premier adopte quasiment le même choix, même si le texte est disposé de façon un peu plus variée. L’image de Saint Ronan (René-Yves Creston) fait une place plus large à l’expression typographique et à son intégration. La composition cruciforme permet à l’auteur d’instaurer un rythme texte image qui structure l’ensemble. L’encart accueillant la traditionnelle formule « Saint… priez pour nous » sert ici
assez habilement de piédestal à saint Ronan. La ligne graphique du texte est proche de celle utilisée pour la revue Kornog.

Les images de Langlais emploient un langage très démonstratif, servi par des compositions souvent pyramidales, aux lignes en fortes oppositions. L’auteur développe un dessin graphique, essentiellement fondé sur le trait et qui alterne avec des masses de noir ou de blanc. Celles de Creston vont aussi dans cette direction, mais manquent un peu de sobriété : la multitude de traits en
tous sens rend difficile la lecture de l’image, c’est notamment le cas du saint Corentin.

Sant Kaourintin, René-Yves Creston (1898-1964) – © ADAGP, Paris, 2017 – Collection Musée de Bretagne, Rennes

A l’inverse, le saint Tujen est plus équilibré, la nudité du fond contrebalance le fourmillement graphique et repose l’œil ; le lien se fait fort bien entre les deux, grâce à la guirlande qui court au-
tour de l’image.

Sant Tujen, René-Yves Creston (1898-1964) – © ADAGP, Paris, 2017 – Collection Musée de Bretagne, Rennes


Cette série de gravures illustrant les saint(e)s les plus célèbres de Bretagne est à l’image du groupe lui-même, à savoir le résultat du travail d’un groupe et non d’un travail de groupe. Parenté est le terme qui définit le plus justement cette production. Autour de cette notion, chaque membre occupe une place particulière, sans qu’il y ait volonté de mettre en commun une recherche spécifique. Ces gravures des Saints de Bretagne font figure d’exemple puisqu’il s’agit d’une des rares productions collectives dans le domaine de l’édition. Elles serviront également de référence aux parutions ultérieures que feront Langlais, Haas et Péron.

Synthèse issue d’un article de Laurence Prod’Homme publié  dans : 
Ar Seiz Breur 1923 – 1947 – La création bretonne entre tradition et modernité.  Sous la direction de Daniel Le Coédic et Jean-Yves Veillard – édition Terre de Brume/Musée de Bretagne – 2000 – Coutances

Laisser un commentaire