Un Mur bleu pour l’Ukraine au Musée de Bretagne

Le dessin est une arme : de nombreux artistes, graphistes ont mis leur art au service du peuple ukrainien depuis le début de la guerre en Ukraine, le 24 février dernier. Pour soutenir, pour dénoncer, avec un message de colère, d’angoisse, de paix ou d’espoir, ils s’engagent, pour ne pas rester inactifs, qu’ils soient en Ukraine, sur les chemins de l’exil, ou quelque part en Europe.

À l’initiative du collectif ukrainien Pictoric – qui a relayé en Bretagne, via la Pologne, ses créations – le Musée de Bretagne s’est mobilisé pour proposer un espace d’expression, un mur contributif et ainsi permettre de découvrir les illustrations ukrainiennes, polonaises et bretonnes.

Retour sur cette initiative décidée en marge de la programmation et dont le premier acte s’est joué le 24 avril, deux mois après le début de la guerre avec la performance-action « Mur bleu pour l’Ukraine ».

Anna Sarvira – Tous droits réservés.

Entretien avec les acteurs-contributeurs

Acte 1 – Circulations graphiques en Europe

L’acteur numéro 1, c’est le graphiste breton, Fañch Le Hénaff, actif depuis plusieurs décennies en Bretagne et dans le monde au service de multiples causes et engagements.

En 2011, il a donné au musée l’intégralité de sa production graphique au Musée de Bretagne, aujourd’hui inventoriée dans les collections. Plus récemment, il a contribué à l’exposition Face au mur, le graphisme engagé de 1970 à 1990, présentée au Musée de Bretagne en 2020.

Le collectif ukrainien Pictoric a relayé, via des graphistes polonais, un appel à soutien du peuple ukrainien. Pouvez-vous nous dire en quoi cette sollicitation a résonné avec vos propres engagements ?

« Ma relation avec la Pologne date du début des années 1980 au moment où je découvre le graphisme polonais, et ses affichistes de réputation internationale. Parallèlement, la naissance de Solidarnosc, premier syndicat libre des pays de l’Est, me sensibilise à la liberté d’expression. Je prends conscience d’une Europe coupée par le rideau de fer, de la réalité du mur de Berlin et d’une menace d’un conflit nucléaire sur le continent. J’ai vécu une année en Pologne de 1984 à 1985, étudiant boursier en Arts graphiques à l’Académie des Beaux-arts de Wrocław. Je profitais des périodes de vacances pour découvrir Varsovie, Cracovie, les villes, mais aussi la campagne, les montagnes et l’art populaire de ses habitants. En 1989, la chute du mur de Berlin permet à la Pologne de  retrouver l’espace européen libre. Le pays adhère à l’Union européenne en 2004. Ma relation avec la Pologne, c’est aussi celle que j’entretiens depuis 1991 avec Dom Bretanii Poznan – la Maison de la Bretagne de Poznan – j’ai été invité plusieurs fois par sa directrice Elzbieta Sokołowska pour y présenter mon travail de graphiste. Mais c’est dans cette ville de Wrocław, Capitale européenne de la culture en 2016, que je découvre parmi les nombreux événements proposés, une exposition consacrée à l’art contemporain ukrainien et une autre à l’artisanat populaire d’Ukraine. Mes amis illustrateurs polonais Ewa et Paweł Pawlak ont des contacts avec un groupe d’illustrateurs ukrainiens depuis leur venue à Kyiv en 2014. Ce sont eux qui m’ont relayé, courant mars, moins d’un mois après le début de la guerre en Ukraine, les informations au sujet des projets de diffusion des images du groupe d’illustrateurs ukrainiens Pictoric et celle des graphistes polonais de Pogotowie Graficzne (Urgence Graphique). Il me fallait agir et activer mes réseaux d’amis pour diffuser ces images en Bretagne, à Rennes, Quimper, Penmarc’h et Brest. Le Musée de Bretagne à Rennes fait preuve de réactivité par l’action de sa directrice Céline Chanas et une partie du personnel du musée pour créer un mur d’affiches, ce Mur bleu pour l’Ukraine.

Il me fallait bien sûr exprimer mon soutien, ma solidarité avec le peuple ukrainien, et ce par la création d’une image. La similitude des couleurs jaune et bleu des drapeaux ukrainien et européen m’engage rapidement à traduire la volonté ancienne de l’Ukraine de s’ancrer dans l’Europe et l’urgence de celle-ci. UA in EU – NOW ! 3APA3! (Maintenant !) traduit l’urgence de la demande ukrainienne et les manques de la réponse européenne à cette attente, à ce désir d’Europe, pour lequel 82 personnes sont mortes à Maïdan, épicentre de la Révolution ukrainienne à Kyiv en février 2014. »

Acte 2 – Le musée de société, un forum ?

Quand Fañch Le Henaff a sollicité le musée, il m’a paru évident que notre devoir était d’y répondre et ce à plusieurs titres :  au titre des valeurs de notre institution, un lieu solidaire, porté par une éthique humaniste ; mais aussi à titre personnel, de mes propres convictions et engagements.

Bien sûr, en tant que musée public relevant d’une collectivité, Rennes Métropole, nous avons présenté notre idée à nos élus, et l’accord a été très rapide. Dès lors, nous nous sommes organisés en petit collectif informel pour rassembler des idées et compétences sur notre mode d’action. Comme c’était un projet « hors programmation », on a surtout misé sur l’appel à bénévolat dans nos cercles proches, les collègues du musée, des partenaires, des artistes… la communication via les réseaux sociaux a bien fonctionné et fin mars, nous avons organisé une première réunion pour décider ce que nous allions faire, comment, et avec quelle organisation. C’est à ce moment-là que le contact s’est fait avec l’association Solidarité Bretagne-Ukraine, et c’était un moment très fort. Dès lors, nous savions que nous pouvions aller plus loin qu’une simple action culturelle : faire du musée un lieu social, un forum d’expression.

Acte 3 – Du mur bleu du musée au mur bleu pour l’Ukraine

C’est assez naturellement que nous avons pensé dédier un espace du musée, déjà bien-nommé « mur bleu », à cette action-performance. Un peu de jaune et le tour nous semblait joué !

Dans les faits, l’organisation de l’évènement nous a pris quelques soirées et week-end…

Les uns ont organisé l’évènement quand d’autres sélectionnaient les affiches, contactaient le collectif ukrainien Pictoric, par le biais d’Anna Sarvira, pour obtenir les images en haute définition ou traduisaient les textes. Enfin, il ne fallait pas oublier la partie logistique, de l’achat de la colle à papier à la protection des sols ! ou même prévoir de filmer, photographier pour garder trace. Nous avons aussi orienté l’action vers les publics, en posant le principe d’un mur ouvert, d’un affichage libre. Fañch Le Henaff a ainsi relayé la proposition à ses nombreux amis graphistes, étudiants et la moisson a été belle : des graphistes reconnus et de talent comme Jean Jullien, Fañch Le Henaff, Alain Le Quernec ont créé des affiches aux côté de Paweł Pawlak, Barbara Kaczmarek, Rycho Świerad, graphistes polonais de Wrocław. Et la jeunesse a aussi fait part de son engagement : Sarah Berri, Lou Hénon, Cléa Rousseau, étudiantes en 3e année DNMADe Graphisme à Quimper ont créé chacune une affiche.

Sarah Berri, étudiante en graphisme

Vous êtes étudiants en graphisme à Quimper ?  Que signifie pour vous ce mur bleu pour l’Ukraine et l’image que vous avez proposée ?

“Je vois ce mur comme une plateforme pour les artistes et les spectateurs permettant de sensibiliser sur la douleur et la lutte auxquelles les citoyens ukrainiens sont confrontés. Condamner, soutenir, sensibiliser, partager des messages… Voici la façon dont les artistes prennent les armes.

Je me suis sentie obligée d’aider de toutes les manières possibles, pour savoir que j’ai pu apporter mon soutien au peuple ukrainien.

Mon dessin symbolise l’emprise, la façon dont la Russie dépouille les Ukrainiens de leur liberté : dans les médias, l’omniprésence de Vladimir Poutine se fait ressentir, son visage toujours neutre et oppressant m’a personnellement marqué, c’est ce sentiment que j’ai cherché à exprimer.

Je sais combien il est important pour les personnes qui vivent cette situation dramatique de savoir que nous, en tant qu’acteurs indirects à ce conflit, Français comme Bretons, sommes à leurs côtés et contre cette guerre. »

Sarah Berri -Tous droits réservés.

Le 24 avril, une cinquantaine de personnes ont répondu présentes, avec une belle diversité de profils : des visiteurs du musée, intrigués par cette activité peu ordinaire, des bénévoles de l’association Solidarité Bretagne-Ukraine, des Ukrainiens réfugiés, des graphistes, des passants, interpelés par un collage « sauvage » qui s’était déployé devant les vitres des Champs Libres.

Des témoignages ont été traduits par une jeune ukrainienne, Vassilina, ancienne étudiante à Rennes 2 et récemment arrivée en France, donnant une dimension émotionnelle forte à cette rencontre.

Acte 4 – Un mur vivant

Depuis le 24 avril, le Mur bleu pour l’Ukraine continue à faire parler de lui et à rassembler. Il interpelle les visiteurs, marqués par la force et les couleurs vives des affiches. Il a aussi donné lieu à la programmation d’activités artistiques avec l’association Solidarité Bretagne-Ukraine, avec la participation d’enfants ukrainiens. C’est un message d’espoir, qui permet aussi d’ouvrir nos lieux culturels à des familles en exil, démunies, et qui ont besoin de trouver des repères dans ce nouvel environnement qui leur est inconnu.

Jérome Heydon, bénévole. Vous êtes engagé au sein l’association Solidarité Bretagne-Ukraine. Pouvez-vous nous dire quelles sont les missions de votre association ? En quoi ce mur bleu pour l’Ukraine au musée répond-il à certains de vos besoins ? Que souhaiterez- vous y développer ?

“ Notre association apporte de l’aide et du soutien aux personnes temporairement déplacées en Bretagne suite à la guerre en Ukraine. Nos actions sont fondées sur l’idée que nous pouvons tou.te.s agir à notre place, avec nos compétences, notre énergie !

Outre les différentes actions que nous menons en termes de traduction, d’accompagnement dans les démarches administratives, d’accompagnement psychologique des victimes de guerre, nous menons diverses actions dans le domaine artistique et culturel : ateliers, soutien au travail d’artistes ukrainien.e.s., organisation de concerts et conférences…

Nous sommes convaincus que l’art, la culture et la connaissance constituent un rempart contre la barbarie !

Nous développons notamment un projet artistique pour donner à voir et à entendre la parole de celles et ceux qui ont dû fuir leur pays envahi, et les atrocités commises par l’armée russe. Leurs témoignages sont autant d’histoires singulières qui font l’Histoire.

Наша асоціація допомагає і надає підтримку тимчасово переселеним людям у Британь які прибули сюди в наслідок війни в Україні. Наші дії засновані на тому що кожен з нас може діяти на своєму рівні, зі своїми навичками та своєю енергією !

Ми виконуємо різні дії у сферах перекладу, супроводу у адмінстративних процедурах, психологічному супроводі людей з травмами війни через різноманітні дії в мистетській і культурній діяльностях : ательє, підтримка українських митців, організація коцертів та конференцій…

Ми переконані що мистетство,культура та обізнаність являються щитом проти варваства !

Також, ми працюємо над мистетським проектом аби слова та історії усіх тих хто були змушені покинути рідну країну в результаті вторгнення та звірств вчинених російською армією були почуті та побачені. Їх свідчення є безцінними розповідями які творять історію.”

Le mot de la fin à ceux qui en sont les initiateurs :

« Que faire de notre mur bleu pour l’Ukraine ? »

Fañch Le Henaff

“L’idée de ce “Mur bleu pour l’Ukraine ”a vite traversé l’Europe, de Kyiv à Wrocław, de Warszawa à Rennes. Pas de frontière pour l’art, la culture, le graphisme, pas de limite pour ces images voyageuses pour arriver au Musée de Bretagne / Les Champs Libres.

Ces affiches nous interpellent, nous font réagir, avec elles nous construisons un pont qui enjambe le continent de l’Ukraine en Bretagne, en passant par la Pologne. Elles nous invitent à imaginer une relation nouvelle entre les peuples d’Europe, faite de solidarité et de liberté.

Ce Mur bleu ne sépare pas, il protège à sa manière les réfugiés venus d’Ukraine, c’est un lieu pour ceux et celles qui ont traversé l’Europe d’est en ouest à la recherche d’un espace de liberté, de paix, de solidarité. C’est un lieu pour se reconstruire après tant de souffrances, dans l’espoir de retourner vivre chez eux.

“Le courage des Ukrainiens est une leçon pour nous tous. Il nous rappelle les valeurs fondamentales de l’Union Européenne et la chance que nous avons de vivre dans un ensemble continental libre et régulé par le droit.”  Olivier Guez.

Céline Chanas, 20 mai 2022.

Retour en images sur l’initiative Mur bleu pour l’Ukraine :

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