Le Musée de Bretagne, musée héritier du grand musée de synthèse régional souhaité par Georges-Henri Rivière au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, compte aujourd’hui plus de 700 000 items au sein de ses collections. Comme dans de nombreux musées pluridisciplinaires en France, ses premières collections sont constituées de saisies révolutionnaires, puis sont progressivement enrichies tout au long du 19e siècle par les collectes érudites, en grande partie archéologiques, des premiers responsables du « musée de Rennes ». L’après-guerre sera l’occasion d’un tournant important vers la définition d’un musée d’ethnographie régionale. Si les collections constituent de nos jours une référence nationale en matière d’ethnologie, d’histoire, d’iconographie, privilégiant avant tout l’angle d’approche de l’histoire culturelle, il est difficile d’en appréhender rapidement toute l’étendue. Très diverses, elles s’articulent néanmoins autour d’un axe commun qui est l’histoire de la Bretagne, de la Préhistoire à nos jours.
L’exercice visant à puiser dans les collections pour illustrer une thématique transversale est une démarche fréquente, si ce n’est permanente, puisqu’elle correspond au processus de recherche pour tout projet d’exposition temporaire ou de valorisation des ressources. L’aspect foisonnant des fonds, sur le plan quantitatif comme qualitatif, permet généralement d’incarner une multitude de sujets de société, tant la polysémie des objets se prête à une lecture renouvelée de leur signification, de leur puissance d’évocation. Néanmoins jusqu’ici aucune synthèse organisée n’a été entreprise au regard des collections du musée sur la question des chemins et des circulations en Bretagne, aucune orientation scientifique ne s’est façonnée au fil du temps en la matière. Dans cette situation, comment le Musée de Bretagne, dont les collections sont aujourd’hui communes avec l’Ecomusée de la Bintinais, peut-il contribuer à nourrir la thématique ? Afin de donner à voir, de manière décloisonnée, au grand public comme aux chercheurs, l’ampleur des ressources disponibles, il convient de dresser un état des lieux vivant, une sorte de narration visuelle, cheminant au sein des collections. Car la mémoire des objets de la mobilité est loin d’être figée et l’exploitation de ces témoignages reste encore largement à réaliser
Conserver
L’un des premiers axes développés par le musée, correspondant à ses missions fondamentales, consiste naturellement en la collecte, la préservation, la conservation d’objets et de témoignages en lien avec les orientations de la politique d’acquisition de l’institution. Concernant la thématique des circulations et des mobilités en Bretagne, celle-ci s’insère dans un certain nombre de grands principes retenus pour l’enrichissement des collections :
- l’histoire et l’anthropologie sociale et culturelle (compréhension de l’homme dans son environnement, témoignages portant sur les expériences humaines, les adaptations, les solutions trouvées aux difficultés d’organisation des sociétés, mais aussi sur les modes de pensée)
- le territoire et son évolution (de la péninsule armoricaine à la Bretagne d’aujourd’hui : vision, représentation, compréhension)
Qu’il s’agisse de collections héritées, intégrées fortuitement ou spécifiquement recherchées, toutes les périodes chronologiques peuvent être reliées à la thématique des chemins et des circulations, de la Préhistoire à nos jours. De même les typologies de collections se rapportant aux voies de communication, de l’archéologie aux photographies, en passant par les objets historiques ou ethnographiques, sont infinies : il n’en sera proposé ici qu’une sélection.
Circulations, flux
Dès avant la sédentarisation des populations et le repérage cartographique d’un premier réseau maillant le territoire breton, ce sont des objets qui témoignent de l’existence de voies de communication, d’axes et de flux, de réseaux d’échanges, notamment illustrés par la mise en rapport entre provenance de certains matériaux et lieux de découvertes archéologiques. C’est le cas de roches du Néolithique, comme par exemple la dolérite armoricaine des haches polies, une des pierres les plus fréquemment utilisées en Bretagne pour ces fabrications, et dont le gisement le mieux connu est la vaste exploitation de Plussulien dans les Côtes-d’Armor.

Vers -4000, se mettent en place de véritables ateliers qui fabriquent sur des durées très longues (1 200 ans) des millions de haches de pierre qui sont diffusées sur un territoire dépassant largement la Bretagne actuelle. Tout comme l’acheminement sur plusieurs kilomètres de mégalithes depuis leur lieu d’extraction au Néolithique, ce sont avant tout les objets qui nous renseignent sur les déplacements des populations et les axes de communication utilisés aux périodes les plus anciennes.
Organisation du territoire
De premiers réseaux de communication structurant le territoire apparaissent notamment à l’Âge du Bronze : la découverte des tumuli à pointes de flèches des Côtes-d’Armor et de leurs ensembles de mobiliers funéraires exceptionnels peut être mise en relation avec un important réseau hydrographique. Les tumuli, bâtis près des principales rivières ou affluents comme le Trieux, axes permettant de traverser le Massif armoricain mais aussi de faire la liaison entre la Manche et l’Atlantique, attestent de la mainmise probable de ces défunts de haut rang sur la rivière et ce qui y circulait. Ces sépultures individuelles, accompagnée de trésors d’armes en bronze, de flèches de silex, de bijoux en ambre, correspondraient en effet à des tombes de chefs contrôlant les gisements d’étain nécessaire à la fabrication du bronze et sans doute les routes commerciales de ces objets en métal.

Autre preuve par l’objet, plus tardive, d’une structuration en place, les cerclages de roues de l’âge du Fer de l’archipel des Ebihens (Côtes d’Armor) : outre leur témoignage d’innovation technologique, ils attestent de l’existence de voies de communication praticables dans les derniers siècles avant notre ère, à une période où la densité des exploitations agricoles augmente, nécessitant des chemins reliant les fermes les unes aux autres. Des voies plus importantes desservent alors des agglomérations naissantes, regroupant quelques centaines de maisons et d’ateliers.

Avec la conquête romaine, la paix et l’intégration de l’Armorique aux circuits commerciaux de l’Empire, un maillage serré de voies routières qui relient entre elles toutes les cités contribue à matérialiser et fixer durablement le réseau viaire du territoire et ceci jusqu’à aujourd’hui. La route se fait plus monumentale, dans un contexte d’extension voire de création de villes et de développement de grands domaines à la campagne. Qu’il s’agisse de la première signalisation traduite par les bornes milliaires, comme l’en atteste par exemple celle mentionnant le sénateur Tétricus et provenant de la voie reliant Rennes (Condate) à Corseul (Fanum Martis), ou d’inventions technologiques comme les franchissements, illustrés par la conservation exceptionnelle des pieux du pont-long de Visseiche (Ille-et-Vilaine), sur la voie reliant Rennes à Angers (Juliomagus), c’est toute une anatomie de la voie antique qui se donne à voir.

Chemins religieux, chemins spirituels
Si les chemins de Bretagne s’inscrivent tous dans une histoire plusieurs fois centenaire, voire millénaire, ils représentent beaucoup plus qu’une liaison entre deux points géographiques, ils illustrent les usages des sociétés qui se sont succédées sur ce territoire. Créés initialement pour des raisons économiques et sociales (circuler, survivre, échanger), les axes de communication se perpétuent à travers les siècles, évoluent ou sont négligés au profit de nouveaux. Les raisons pour lesquelles les populations les empruntent peuvent être changeantes mais semblent parfois remonter à des temps très lointains, souvent mal identifiés.
Ainsi la ritualisation de certains chemins continue d’être opérante de nos jours, dans les itinéraires de pardons, les processions et les chemins de pèlerinage bretons. La grande Troménie de Locronan, étudiée par Donatien Laurent, consiste ainsi en un trajet de 12 kilomètres de dévotion, répétée toute une semaine de juillet, tous les six ans. Aux douze stations de la Troménie correspondraient les douze lunaisons de l’année. La configuration quadrangulaire de l’itinéraire se conformerait aux quatre grandes fêtes annuelles du calendrier celtique, ainsi qu’au tracé d’un temple antique orienté d’ouest en est… Sous la christianisation incarnée par le rituel liturgique dévolu à la figure de l’ermite Ronan, saint breton, demeurerait en filigrane un héritage païen toujours ancré. Longtemps la ritualisation religieuse a préservé, en Bretagne comme ailleurs, l’usage de chemins sacrés et immuables comme le chemin des morts, conduisant le convoi funéraire au lieu d’enterrement de la paroisse et apparaissant fréquemment dans les récits à partir l’Ancien Régime, associés à une multitude de traditions locales.

Dès le Moyen-âge, la Bretagne est une terre de pèlerinage chrétien, dont l’archéologie nous dévoile parfois quelques témoignages, comme ces enseignes retrouvées au cours de fouilles rennaises.

Avec le temps, cette particularité s’est développée, en vertu d’une importante densité de sanctuaires religieux, comprenant également la réutilisation de monuments mégalithiques, celtiques et gallo-romains, objets d’une dévotion perpétuée. Sentiers, chemins, routes doivent beaucoup à ces premiers itinéraires organisés. Aujourd’hui le Tro Breiz, pèlerinage aux sept saints et évêques fondateurs de Bretagne, qui daterait du 9e siècle et relie les sept évêchés (Dol, Vannes, Quimper, Saint-Pol-de-Léon, Tréguier, Saint-Brieuc et Saint-Malo) est toujours réalisé à pied, parfois en groupe. Ces pratiques sont attestées par tout un petit patrimoine profane ou religieux balisant les chemins : croix de chemins, calvaires, fontaines, lavoirs, puits, oratoires, objets de dévotion, que la photographie et la carte postale vont durablement installer dans l’imagerie d’une Bretagne qui s’invente entre la fin du 19e siècle le début du 20e siècle.

Au-delà des croyances populaires, le chemin reste l’élément symbolique d’une quête, d’un parcours initiatique, l’image parfois archétypale que l’être humain se fait de lui-même, de son parcours de vie. L’imagerie populaire bretonne s’en fait l’écho tant dans la représentation du carrefour, du choix d’orientation ou de la traversée des ténèbres la nuit : de l’estampe de la chevauchée effrénée de l’Ankou aux mises en scène pittoresques des cartes postales, dépeignant le retour nocturne des villageois dans leur foyer, le chemin est une épreuve.

Les usages de la route
Se déplacer a longtemps était une nécessité économique, occasionnant des migrations et créant de nombreux métiers nomades ou « marcheurs » (métiers agricoles, élevage (bergers…), métiers artisanaux et commerciaux (colporteurs, compagnons…), métiers militaires (soldats…).

Parfois à ces différentes fonctions correspondent précisément des chemins spécifiques (sentier du douanier, chemin de halage), mais la plupart du temps il convient de retrouver derrière la diversité des activités humaines le témoignage de l’utilisation des voies de communications (routes, chemins de fer, rivières et canaux) et de leurs infrastructures. Chaussures, sabots, godillots et charrettes à bras expriment le labeur quotidien du travail itinérant rural ou urbain, qu’ils traduisent la route prise pour aller vendre au marché ou la livraison dans les villes. Alors que les transports hippomobiles s’organisent à partir du 18e siècle, le réseau routier se développe, caractérisé par la route des Postes, que l’on retrouve matérialisée sur une production cartographique renouvelée, tandis qu’une signalisation routière se fixe progressivement au 19e siècle.

Auberges, hôtelleries constituent des étapes identifiées et attendues sur la route des voyageurs. L’arrivée du chemin de fer à partir de 1857 à Rennes puis le déploiement au nord et au sud du territoire de deux grandes lignes, délaissant néanmoins l’intérieur, amplifient les circulations en Bretagne. L’avènement du tourisme positionnera résolument la région comme une zone à fort potentiel attractif, principalement incarné par les côtes, et relayé par une abondante communication (affiches, cartes postales…), dont les perspectives d’acquisition demeurent aujourd’hui importantes, tant la diffusion de ces supports a connu un succès phénoménal au début du 20e siècle.

Après une période de mobilités essentiellement caractérisée jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par l’alliance des transports collectifs (bus, trains, tramways) et du vélo individuel, le paysage et les routes se transforment considérablement avec l’automobile : signalisation, infrastructures, constructions de nouveaux axes, nécessité d’entretenir les voies. Au bord des routes sont construits des hôtels, commerces, cafés… et sont aménagés des points de ravitaillement en essence, des garages, parfois ajoutés au cœur même des villages.

Les activités rurales traditionnelles se transforment pour répondre aux besoins de la mobilité. Comme partout à partir des années 1960, les routes s’adaptent à l’évolution des usages, aux progrès techniques et aux nouveaux modes de circulation privilégiant vitesse et régularité. Les fonds photographiques, notamment ceux concernant l’Automobile Club de l’Ouest illustrent ces scènes nouvelles, rencontrées au hasard des carrefours de villages (réparations de voitures, dépannages, démonstrations, sorties en groupe…).
Passé le temps de la voiture reine, le tourisme et les loisirs font redécouvrir les vertus de la promenade, de la flânerie ou de l’exploration, portées par les guides de voyage faisant la part belle à l’attractivité paysagère et culturelle de la Bretagne. De nombreux itinéraires deviennent d’importantes destinations touristiques pour la randonnée, le cyclotourisme ou tout simplement la balade.

Étudier, raconter, mettre en lumière
Si le panorama des collections conservées et régulièrement acquises par le musée démontre un potentiel avéré en lien avec la thématique des circulations, il n’en demeure pas moins que leur visibilité et bonne compréhension par les publics ne peuvent s’affranchir du travail de recherche, de synthèse et de mise en résonance effectué dans le cadre des expositions temporaires. C’est principalement dans ce cadre que l’institution s’attelle à mettre en relief nombre de thématiques transversales à visée anthropologique et sociétale, définies selon les orientations de son projet scientifique et culturel. En voici également quelques exemples, non exhaustifs.
La relation du chemin au paysage et à sa mémoire a notamment été explorée au sein de projets portés par l’Écomusée de la Bintinais comme L’arbre et la haie, mémoire et avenir du bocage (2008). On y prend notamment conscience de toute une organisation méticuleuse de la campagne qui se met en place dès le 16e siècle afin de répondre aux besoins de la société paysanne. Selon la topographie, la nature de la parcelle, la limite de propriété, la desserte paroissiale puis communale, un grand maillage de talus et de fossés s’édifie, ponctué de ruisseaux et de carrefours stratégiques souvent marqués par des calvaires. Après le recul massif du bocage ces cinquante dernières années, signe d’une économie rurale révolue, il est plus difficile d’imaginer comment dans cet espace « construit », d’étroits chemins sinueux, parfois « creux », desservaient alors efficacement les hameaux et les fermes isolés du territoire. Mais l’enjeu de la mémoire est de taille puisqu’aujourd’hui le bocage et son organisation sont considérés comme un héritage dont le devenir conditionne la qualité des paysages de demain. Exposer et faire comprendre pour sensibiliser et protéger : le musée se place alors dans une position à la fois pédagogique et militante.

Les circulations et mobilités comme phénomène économique et social sont abordées en 2013 au musée de Bretagne à travers l’exposition Migrations, qui se donne pour but de faire connaître au public un pan de l’histoire bretonne peu connue, celle des mouvements migratoires – émigration et immigration – du 19e siècle au 21e siècle. L’enjeu est de donner à voir des parcours singuliers, une mémoire collective qui se construit au travers des témoignages collectés, des objets du quotidien, révélés par un travail de recherche ethnologique et sociologique et grâce à la contribution publique volontaire. Si le cadre géographique de ces mobilités dépasse au cours du temps les frontières du territoire régional, les mouvements internes de populations dès le 19e siècle (des campagnes vers les ports des côtes ou vers les villes), nécessités par la recherche de l’emploi, constituent un chapitre incontournable de l’histoire bretonne, conditionnant les réalités géographiques contemporaines.

L’histoire des transports est révélée par d’autres réalisations, comme l’exposition Fouette, cocher! à l’Écomusée de la Bintinais en 2014, qui retrace l’histoire des transports hippomobiles à Rennes de l’Ancien Régime jusqu’au début du 20e siècle, une des grandes activités jusqu’à la naissance de l’industrie automobile. Coupé, victoria, omnibus ou camion utilitaire y évoquent les différents usages des transports hippomobiles, individuels, collectifs ou de marchandises, en particulier dans le contexte urbain local, sur de plus ou moins grandes distances.

Avec Bretagne Express au musée de Bretagne en 2016, le public découvre que le chemin de fer ne se résume pas à des techniques industrielles : comme toute avancée technologique il est le fruit de conjonctures économiques, politiques, scientifiques, à une période bien précise de l’évolution d’une société et de ses aspirations. De son arrivée en Bretagne au milieu du 19e siècle à l’accélération des lignes TGV, c’est toute l’histoire du train en Bretagne et de son impact sans précédent sur le territoire qui sont mis en exergue : la relation au temps, à la vitesse, au service public et son équité territoriale, ainsi qu’aux nouvelles mobilités.

Dans un autre domaine, le projet photographique de Marc Loyon et Delphine Dauphy, intitulé CONTOURS/ Rennes, et dont le musée a acquis en 2018 plusieurs tirages, vient illustrer les marges des aménagements urbains de ces dernières décennies : rocade, zones intermédiaires non qualifiées, parkings périphériques… autant de signes de l’évolution standardisée des villes qui sont le cadre des trajets pendulaires quotidiens de nombreux citadins.

Enfin l’imaginaire n’est jamais loin, dans la manière de se représenter la Bretagne. L’exposition Landes de Bretagne (2017) à l’écomusée met l’accent sur la notion de paysage culturel, emblématique de la région, à la fois composé d’éléments naturels mais façonné perpétuellement par les activités humaines : bien plus parcouru, exploité, traversé qu’apparemment désert comme on pourrait le penser. L’exposition est une véritable invitation à sa préservation comme à son exploration.

Enfin le projet de résidence photographique Les Enchanteurs consacré au travail de Stéphane Lavoué dans les Monts d’Arrée et concrétisé par une exposition temporaire aux Champs libres et au Musée de Bretagne en 2021 y fait singulièrement écho : de mystérieux chemins sillonnent un paysage de landes fantomatiques, où les rencontres ne sont pas sans rappeler les pérégrinations étranges de La Légende de la mort d’Anatole Le Braz.

Diffuser, valoriser
Outre la conservation, l’acquisition et la production d’expositions temporaires, le musée mène un travail de fond pour assurer une accessibilité des publics régulière et pérenne à ses ressources. Parallèlement aux activités classiques de publications, c’est la numérisation qui a été organisée à grande échelle à travers des projets de conservation préventive (fonds photographiques), puis de manière plus ample grâce à de vastes chantiers de collections externalisés (tous documents sur papier, arts graphiques, cartes postales, affiches, tirages photographiques, puis négatifs photographiques). A la suite d’opérations de récolement et d’inventaire, les fonds sont saisis dans la base de données, numérisés puis mis en ligne sur le portail des collections du musée de Bretagne et de l’écomusée de la Bintinais, où convergent à la fois les données relatives aux biens patrimoniaux mais aussi les ressources documentaires (reportages photographiques, vidéos…) compilées au gré des activités courantes d’un musée de société.
Aujourd’hui, sur le portail des collections, pour ne citer que quelques exemples, le terme « chemin » renvoie à environ 4 500 notices, celui de « route » à plus de 18 500 notices : un important travail d’indexation et d’identification des lieux est effectué au cours des chantiers de collections, mais également grâce à la participation directe des publics internautes, contributeurs ponctuels ou réguliers, qui examinent, suggèrent, nourrissent quotidiennement les éléments liés aux images publiées. Car le musée est loin de disposer de l’ensemble des informations concernant des fonds parfois rentrés massivement au sein de ces collections (photographiques notamment), sans qu’ils aient pu être traités de manière détaillée ni administrativement, ni physiquement. Il reste ainsi, pour les équipes du musée elles-mêmes, comme pour les publics un fort potentiel à découvrir dans les années à venir, où plusieurs centaines de milliers d’items numérisés supplémentaires vont venir étoffer les ressources en ligne. Les projets de recherche connus sur le territoire, comme celui dont le colloque « Chemins, circulations et mobilités » se veut par exemple être le révélateur, permettent alors d’être vigilant dans la manière de repérer et d’indexer à terme les collections les plus pertinentes au sein de fonds foisonnants et peu explorés.
La visibilité nouvelle offerte par la mise en ligne systématique permet également de motiver de nouveaux projets d’exposition dans d’autres institutions (prêts extérieurs de collections mieux identifiées par les professionnels), de lancer ou relancer des projets de recherche auprès d’universitaires, d’archéologues, de stimuler de nouvelles acquisitions par dons et plus globalement de contribuer à l’appropriation des collections par les publics. Pour ce faire, il convient de dépasser la simple mais déjà précieuse utilité d’un portail de collections en développant l’éditorialisation, en mettant les fonds en relation les uns avec les autres, en générant de nouvelles perspectives scientifiques et thématiques, voire en créant des applications créatives à partir des collections (regards d’artistes contemporains, invitations des publics à des usages libres, de toute nature…). Bref en faisant vivre ces collections, grâce à une lecture et une interprétation renouvelées. Déjà des enjeux sociétaux motivent le recours à de nouveaux objets, inédits dans l’histoire des collections, tel ce vélo Star utilisé dans l’agglomération rennaise, récemment acquis pour illustrer circulations et mobilités urbaines d’aujourd’hui.

Le blog Musée dévoilé offre une caisse de résonance à ces projets divers, qu’il s’agisse d’articles scientifiques et de contributions d’auteurs extérieurs vis-à-vis de nos fonds (on pourra noter par exemple, en lien avec la thématique : La Bretagne et la passion du vélo ; Chemin faisant dans les Monts d’Arrée avec Stéphane Lavoué ; La valise de Paul, émigré breton ou Chemin de fer et chambre noire – photographier le rail) ou de coups de projecteur sur la vie des collections ou les activités courantes du musée (nouvelles analyses scientifiques, restaurations…). Il reste bien-sûr encore beaucoup à faire, à identifier, à relier à des thématiques précises, à valoriser. Ces ressources en ligne sont donc à piocher et consommer sans modération.
Conclusion : pour une invitation au voyage
Riche de collections pluridisciplinaires de la Préhistoire à nos jours, en évolution constante, le Musée de Bretagne est un musée attentif à son utilité sociale. Si les chemins et les circulations n’ont jamais constitué de thématique spécifique ni d’axe d’acquisition précis dans son histoire, force est de constater que les collections parlent souvent d’elles-mêmes et n’attendent qu’un regard orienté pour livrer fortuitement des significations et des correspondances pertinentes. On y lit alors les réalités géographiques d’un territoire, le fonctionnement des sociétés, les aspirations de populations. Créées à l’origine pour des raisons économiques, les voies de communication voient leurs usages se diversifier au fil des siècles. Routes mythiques ou mystiques, chemins pédestres ou grands axes, qui désenclavent ou sillonnent un territoire, elles n’ont assurément pas laissé indifférentes les populations qui les ont représentées, photographiées, en ont préservé la mémoire et les usages plus ou moins directement. Si aujourd’hui elles sont empruntées naturellement par les habitants de la Bretagne lors de leurs déplacements quotidiens, comme par les visiteurs de passage plus ponctuellement, s’est ajouté en de nombreux endroits une valeur touristique et culturelle en lien avec le développement de l’attractivité du territoire au cours du 20e siècle principalement. Les collections du musée, dont certaines sont encore à investir, se veulent être le reflet de cette histoire, de ces évolutions : il convient donc, au même titre que les chemins de Bretagne, de les explorer sous toutes leurs formes, des pistes reconnues aux itinéraires délaissés.
Manon Six.
Juin 2022.