Dans les rues des villes de Bretagne, il est possible d’apercevoir sur la peau des habitants des symboles à la gloire de leurs origines. Des tatouages, qu’ils soient discrets ou exposés avec fierté, qui rappellent que les Bretons ont une relation particulière à leur région.
« Ce qu’il y a de plus profond, en l’homme, c’est la peau. »
Paul Valéry, Idée Fixe, 1931
En juin 2021, le Musée de Bretagne lance un projet photographique et avec lui, un appel à participants : que les peaux bretonnes et tatouées se manifestent sous l’objectif d’Alain Amet, photographe. Rapidement, les boîtes mails du musée se remplissent de manifestations de volontaires, de leurs photos, de leurs histoires d’amour liées à leur région. Et ce qui au départ était destiné à un travail de recherches sur le tatouage breton, devient en réalité si riche qu’il en méritait son moment de valorisation. La question est seulement, comment en est-on arrivé là ? Comment le tatouage a-t-il envahi la peau des Bretons ?

Ceux qui sont peints
À travers les âges, le corps a prouvé être un moyen de représenter le soi. Se l’approprier par le biais du tatouage, c’est faire transparaître en filigrane sous la peau sa propre identité. Un « vêtement incarné » (selon les mots de l’historienne de l’art France Borel, dans son ouvrage éponyme) qui montre qui l’on est et… d’où l’on vient.
Le moins que l’on puisse dire des Pictes, ces populations celtes du Nord de l’Écosse en -550 avant notre ère, c’est qu’elles ne prenaient pas l’expression « vêtement incarné » à la légère. Entièrement recouverts de tatouages et/ou de peintures corporelles, ces Pictes (dont le nom voudrait désigner littéralement « ceux qui sont peints » en latin), auraient utilisé ces marques indélébiles pour plusieurs raisons possibles si on en croit les auteurs antiques : impressionner l’adversaire lors des combats, s’assurer de rester en sécurité face à l’ennemi avec des symboles protecteurs – l’une des raisons pour laquelle ils combattaient complètement nus – ou encore se reconnaître entre eux, et signifier leur place et leur culture, au sein de la société, sans pouvoir être compris des étrangers.
Du (des) Dieu(x) unique(s) aux marins
L’arrivée des religions monothéistes et avec elles, leur conception dépréciative des modifications corporelles, va effacer peu à peu l’usage du tatouage en Occident. Et ce, jusqu’à ce qu’il n’existe presque plus et soit considéré comme une pratique déviante de la normalité. Il faudra alors attendre le siècle des grandes découvertes maritimes pour que le tatouage soit remis au goût du jour. Et quand en 1756 le français Louis Antoine de Bougainville part de Brest pour le Canada, il est surpris de constater sur la peau des indigènes des tatouages impressionnants, il assiste alors à cette pratique d’une peau piquée à l’encre. À force de voyages, les marins français vont prendre goût aux tatouages. L’omniprésence notamment des motifs polynésiens dans leur quotidien va les inspirer et propager cet engouement à travers l’Europe.
Au début, ces hommes se tatouent majoritairement des figures religieuses, et ils le faisaient en mer. Des portraits du Christ, ou encore des passages de la Bible, piqués dans l’espoir d’être protégés d’une potentielle noyade, fleurissent rapidement sur la peau des marins. Ils utilisent bien souvent les moyens du bord. Une encre, créée à partir de charbon de bois (ou de suie) et d’eau était piquée à l’aide d’aiguille dans la peau des uns et des autres à travers les années. Progressivement, les figures religieuses ont été supplantées par les motifs plus esthétiques des marins américains, qui rappellent le désir de revenir de voyage sain et sauf (boussoles, coeurs percés, hirondelles…).
Des bagnards aux précurseurs
Au 19e siècle, c’est un autre groupe social qui va s’approprier la pratique du tatouage : les prisonniers.
À partir de 1850, les hommes incarcérés au bagne de Brest, s’ils sont tatoués, sont désignés comme « marqués » dans les descriptions physiques présentes dans leur dossier. Des « marques » qui cette fois, sont pensées comme les souvenirs d’une vie hors du bagne. On trouve alors fréquemment des prénoms ou des portraits de femmes, des dates ou des adages tirés d’un passé militaire… Une véritable carte d’identité pour ces personnes qui, à l’image des marins ou des prostituées (elles aussi parfois tatouées dans les ports bretons), restent considérés comme des parias d’une société qui voit le tatouage comme le signe distinctif des criminels et des gens peu fréquentables.
Et puis dans la deuxième moitié du 20e siècle, une petite révolution va avoir lieu en Bretagne. C’est là que les véritables premiers salons de tatouage, qui ont inspiré ceux que l’on croise de nos jours, vont s’installer. Dans les années 1970 et 1980, la région voit débarquer l’encre et les aiguilles de Gilles à Brest, d’Alain à Lorient, de Vercingétorix à Saint-Malo… Tous des cadors du tatouage qui ont propagé cet artisanat tel qu’on le connaît aujourd’hui à l’échelle nationale. À l’époque, la mode se veut aux têtes de loups, ou encore aux silhouettes de motos, mais c’est aussi un moyen pour les jeunes Bretons de marquer dans leur peau leur appartenance régionale. Une liberté qui serait mal passée quelques années auparavant, quand la différence linguistique et culturelle et l’affirmation bretonne était encore mal vues. Aujourd’hui, à même le corps des Bretons, il est possible d’apercevoir un triskell, une hermine, un phare, un Gwen ha Du… Un désir esthétique, sûrement, mais un désir aussi de revendication. S’encrer la Bretagne sur le corps, c’est montrer au monde entier, ou à soi seulement, que son histoire individuelle est indissociable de sa région.
Melrine Atzeni.
Juillet 2022.
Laura
« J’ai souhaité me faire tatouer à l’occasion de mes 30 ans, je voulais m’offrir un cadeau très personnel et ancrer/encrer mon identité. Je suis issue d’une famille bigoudène, mais je suis née et ai grandi en pays glazik. J’ai voulu réunir ces deux appartenances dans un tatouage. Je me suis inspirée de costumes bigoudens et glazik. J’ai eu beaucoup de chance de « tomber » sur une tatoueuse ayant elle-même dansé en cercle celtique, elle a donc pu saisir l’importance du costume traditionnel dans le choix du motif. Ce tatouage raconte, pour moi, l’importance d’une origine culturelle et la fierté d’avoir un héritage que l’on continue de porter et de transmettre. »

Simon, tatoueur : Lahhel
« J’ai toujours eu en tête de réaliser un Ankou. Non pas comme le symbole de la mort mais davantage comme un passeur mystérieux vers l’inconnu. Mes origines bretonnes et mon attachement à la Bretagne ont bien évidemment joué dans le choix du motif. Les légendes qui entourent ce personnage et les lieux dans lesquels il aurait œuvré (dont l’un se trouve juste à côté de ma maison d’enfance) ont eu une influence. Porter ce tatouage est une forme d’hommage à mon identité bretonne et aux légendes qui s’y rapportent. »

Tamara, tatoueurs : Marion Carole et Jason Brake
« Je m’appelle Tamara Smalling. Je suis née et j’ai grandi à Boone, en Caroline du Nord, aux États-Unis. Je suis venue à Rennes en 2015 pour étudier le breton.
J’ai grandi dans une petite ferme où j’avais passé beaucoup de temps à jouer dehors. L’image est un peu de chez moi que je peux emporter avec moi. Le crâne représente mes ancêtres et est donc aussi aux racines de l’arbre qui est un faux acacia. Le faucon représente l’été et le corbeau l’hiver. Des branches de roses et des vignes de mûres sont également dans la conception. »

Ozvan, tatoueurs : Marco, Prestige Tattoo, Le Plessis-Trévise ; Matt Tattoo, Paris ; Gaël Bon ; Color Tattoo, Pontivy
« Mon père faisait partie du cercle celtique de Poissy. J’ai toujours baigné dans la musique bretonne. J’ai souhaité très jeune avoir un tatouage, un peu celte mais pas trop, c’est pour cela qu’avec l’accord de mes parents, j’ai eu mon premier tatouage à l’âge de 16 ans, une elfe ou harpie sur l’épaule gauche. J’ai commencé à être très active dans les Festoù Noz et j’avais vraiment de gros coups de cœurs pour certains groupes. Quoi de mieux que de me tatouer mes groupes de musique préférés ? Certains disent : si Sam Valo (mon surnom) l’a dans la peau, c’est que c’est bien ! »

Bertrand, tatoueur : Christophe de All Tattoo, Paris
« Ces tatouages ont été fait dans la durée, sur plusieurs années. Le premier a été l’ours tribal, symbole de puissance et d’indépendance. Le suivant a été la croix celtique et ce fut là le début d’un retour mental et spirituel à la Bretagne. Excalibur, l’hermine et l’ancre ont suivi. Le sanglier renvoie à la forêt, sauvage et inaccessible, peuplée de créatures fantastiques. Tout ce qui me parlait dans les contes et les légendes quand j’étais petit. Quant au corbeau, il est, dans les mythologies celtiques et aussi dans la religion chrétienne, un lien entre notre monde et celui des morts, une dimension onirique et inaccessible qu’il me plaît d’avoir sur moi. »

Mélanie, tatoueurs : José Barreyre (†, Laon), Dermo-Loco (Bucy-Le-Long), Lulu d’Encre ta peau (Epieds)
« C’est une question de mysticisme … lol. Ma grand-mère était rebouteuse et j’ai été élevée dans le respect et l’amour de la nature, et de l’équilibre des forces! Pour prendre à Gaïa, il faut donner à Gaïa.… J’ai adopté le culte celte à mes 11 ans je crois, en même temps que je suis devenue végétarienne. Ma mère me soignait avec des méthodes naturelles et je consultais des naturopathes. J’ai commencé à vivre selon les rites celtiques, fêtes et coutumes, quand j’ai décidé de vivre seule à l’âge de 16 ans. L’Yggdrasil (arbre de sagesse) a demandé 5h de travail! J’ai demandé à ce qu’il soit fait en un seule fois… sachant que le bruit du dermographe m’endort… ».

Julien
« J’ai toujours eu l’idée de faire un tatouage, mais pas n’importe quoi, car je ne voulais pas le regretter. Étant breton du Finistère et attaché à ma patrie, il était pour moi évident qu’il y aurait des signes. J’ai eu du mal à sauter le pas jusqu’à ce que je fasse la connaissance de ma compagne qui, elle, était tatouée. Ce n’est jamais évident, un premier tatouage, mais j’ai fait une confiance aveugle à la tatoueuse. Avoir le triskell, le drapeau breton, la croix celte et l’hermine dans le dos, un vrai bonheur. »

La série photographique La Bretagne dans la peau est exposée au Festival Interceltique de Lorient, du 5 au 13 août 2022.
Retrouvez-la aussi sur le portail des collections du Musée de Bretagne : http://www.collections.musee-bretagne.fr/
C’est une idée originale… je ne sais ce qui t’en a donné l’idée ?? tu m’en diras plus lorsque nous nous rencontrerons. Les raisons intimes des motifs choisis par les tatoué(e)s sont intéressantes à lire. Chacun(e) son histoire… Pour le reste et la technique photographique, c’est du beau travail bien sûr. Compliments.