Souvenirs de Bretagne

Pour un voyage ou des vacances, les valises se remplissent d’objets indispensables pour un séjour loin de chez soi. Mais il y a en a d’autres qui s’y ajoutent au retour : les souvenirs ! Que savons-nous de ces bibelots ?

Sur la plage abandonnée, coquillages et crustacées…

Voyages d’agréments ou villégiatures saisonnières sur les côtes bretonnes ont toujours été des occasions de collecte le long des rivages de coquillages et de galets gardés comme un trésor par les plus petits, comme une douce évocation de la mer pour les plus grands, comme des curiosités de la nature pour les plus intellectuels. Depuis l’avènement du tourisme, ceux dont les prospections sont malchanceuses, ont la possibilité d’en acheter dans les boutiques de souvenirs locales.

Une marchande de « souvenirs » en coquillages à Cancale, cliché pris par Paul Gruyer (1868-1930) en 1902 – Marque du Domaine Public – Collection du Musée de Bretagne, Rennes

Le journal L’intransigeant du 18 août 1901 commente que « la saison estivale va bientôt finir et les amateurs de villégiature vont rentrer chez eux. La plupart rapportent des souvenirs, des vues, des bibelots sans valeur, mais ayant bien le cachet du pays, un instant habité ». Le but de cet article est de révéler aux estivants que ces objets, en particulier les compositions de coquillages vendues dans les stations balnéaires comme des « souvenirs authentiques qui prouvent qu’on est allé là-bas », sont en fait des produits de la grande industrie parisienne ! Coquilles vides qui, lorsqu’elles sont plaquées contre l’oreille, donnent l’impression d’entendre le bruit de la mer ; bibelots ou petits tableaux recouverts de valves de mollusques, sont alors pour la plupart préparés et fabriqués à Méru, petite commune de l’Oise, qui compte alors 4 000 habitants dont plus de la moitié vivent de cette industrie.

Souvenir de Saint-Malo en coquillage, début du 20e siècle – CC-BY – Collection du Musée de Bretagne, Rennes

Il est vrai qu’au début du 19e siècle, il y avait bien sur la côte, notamment en Loire-Inférieure, des ouvriers occupés à des ouvrages en coquillages. Dans les années 1840, les premiers guides touristiques qui mettent en valeur les toutes nouvelles stations balnéaires du Croisic, de Batz et du Pouliguen expliquent qu’y sont fabriqués « une foule de jolis petits ouvrages en coquillages. Les étrangers ne manquent jamais d’aller les visiter et de rapporter quelques fleurs ou une mariée en costume du pays faite en coquillage ». Mais, dans les années 1880, cela fait déjà cinquante ans que la maison londonienne Samuel Bros et Mitchell, qui avait un établissement à Paris, impose sa suprématie dans la fabrication des coquillages bruts et travaillés dont la plupart arrivent de Manille, d’Australie, des côtes d’Islande, de la Chine et du Japon. C’est dans toutes les stations balnéaires qu’elle mettait en vente « ces merveilleux ouvrages, si soignés, si jolis, qui présentent les coquillages sous milles formes gracieuses avec leurs chatoiements roses ou nacrés, avec leurs dentelures délicates et élégantes, que le travail artistique des spécialistes fait ressortir avec tant d’éclat et de charme ».

Encrier, objet souvenir en coquillages, sur l’un d’eux est inscrit « Saint-Malo », début du 20e siècle. Le Murex qui reçoit le petit encrier en verre est un coquillage typique de la Méditerranée – CC-BY – Collection du Musée de Bretagne, Rennes

La chose-à-voir et à avoir

Dès la seconde moitié du 19e siècle, les ouvriers qui confectionnent objets et bibelots souvenirs s’inspirent parfois de lithographies et de photographies de monuments ou de vues célèbres des lieux de villégiature pour orner leur composition, images dont la contemplation a pour but de rappeler les promenades estivales.

Assiette en faïence de la Manufacture Girandière rue d’Antrain à Rennes, 1880. Elle est ornée d’un paysage côtier inspiré de la lithographie Vue de la baie de Cancale par Isidore Deroy publiée en 1866 – CC-BY – Collection du Musée de Bretagne, Rennes

Grâce aux (ou à cause des) ouvrages touristiques, le regard du voyageur est conditionné par l’impératif de « choses-à-voir ». Par définition, les guides découpent le territoire en lieux intéressants et établissent une gamme limitée d’éléments à visiter. Ils mettent à disposition, en plus d’un classement thématique, des itinéraires destinés à familiariser le voyageur avec son lieu de vacances. Les circuits rapides, pour touristes pressés, mettent immédiatement l’accent sur ce qui est jugé essentiel réduisant le dépaysement du voyageur à une consommation purement utilitaire de l’espace.

Suivant les prescriptions des guides, les éditeurs d’images limitent leur travail à des vues figées, compilent les panoramas et les monuments. C’est particulièrement flagrant dans l’édition de cartes postales qui connaît son âge d’or dans les premières années du 20e siècle et se diversifie dans les années 1950.

Dans cette iconographie du « souvenir », les personnages immédiatement reconnaissables, c’est-à-dire en costume de pays, ont une place importante.

Statuette souvenir de Saint-Servan par le céramiste Biet représentant une pêcheuse qui rappelle les femmes de Cancale peintes par François Feyen-Perrin (1826-1888) – CC-BY – Collection du Musée de Bretagne, Rennes

Durant une grande partie du 19e siècle, les Bretons sont identifiés à leur guise vestimentaire. Mais au tournant du siècle, le costume tend à disparaître de leur vie quotidienne et commence à devenir un élément de folklore.

Bol fabriqué par la Faïencerie Henriot vers 1970. L’origine du bol breton est revendiquée par cette faïencerie bretonne de Quimper. Les bols bretons y sont conçus et peints sur place entièrement à la main et de façon artisanale depuis le 18ᵉ siècle. Les deux petites anses, appelées « oreilles », apparaissent plus tard afin de faciliter la dégustation. – CC-BY-NC-ND – Collection du Musée de Bretagne, Rennes

La Bretagne en miniature

En 1896, Marie Koenig (1841-1924), conservatrice des travaux de couture au Musée Pédagogique créé par Ferdinand Buisson (1841-1932) en 1879 à Paris, propose une exposition permanente de poupées confectionnées lors de travaux manuels dans les Écoles normales de tous les départements de la France. En 1897, le musée expose plus de cinq cents poupées « parées de leurs costumes de fêtes, soigneusement empaquetées en de petites boites fermées par des faveurs multicolores [] venues en nombre de la Bretagne, de l’Alsace, du Béarn, de l’Auvergne… », « reliques précieuses […] pour l’histoire, l’artiste, le penseur lorsque tous ces délicieux costumes de nos vieux pays auraient disparu ». Dans les années 1930, les poupées en costume folklorique, avec tête en porcelaine et corps en composition, appelées « mignonettes », sont remplacées par des poupées en celluloïd, matière inventée en 1870 : les confections de petits costumes régionaux prennent dès lors un essor considérable ! De gros fabricants, comme Petitcollin qui crée sa première version de baigneur en 1925, proposent des poupées régionales qui donnent généralement lieu à des costumes de pure fantaisie. Mais ils sont surtout les fournisseurs de dizaines de petits ateliers locaux qui habillent leurs modèles. En 1965, il existe 50 fabricants en France. C’est en 1936 à Pont l’Abbé, que Marie-Anne Le Minor (1901-1984) lance son activité d’habillage de poupées en costumes folkloriques de tous les terroirs français, fidèles aux modes locales. En 1937, elle fait travailler près de 40 personnes et en 1960, plus de 200. À Saint-Brieuc, les Établissements Jean-Pierre Philippe proposent rapidement 80 poupées différentes pour la Bretagne. Produit bon marché confectionné à des millions d’exemplaires, en celluloïd puis en matière plastique, les poupées en costumes sont achetées par les vacanciers, de la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’aux années 1970.

Poupée du pays bigouden – CC-BY – Collection du Musée de Bretagne, Rennes

Elles sont depuis les années 1990 des sujets de collections recherchés. Elles ne sont pas les seules d’ailleurs : dés à coudre en porcelaine, porte-clés, écussons, médailles ou statuettes saintes, mignonettes en costumes, modestes compositions en matériaux de peu de prix, fabriquées artisanalement ou industriellement, sont autant d’objets dont le peu d’intérêt esthétique n’empêche pas l’envie de les collecter. Leur point commun : la grande majorité d’entre eux sont miniatures ou de très petites tailles.

Paire de sabots miniature -Licence CC-BY – Collection du Musée de Bretagne, Rennes

En 1920, une touriste américaine fascinée par le mobilier breton de Plozévet demande au menuisier Alain Douirin (1875-1949) de lui fabriquer des mini-copies qu’elle pourrait emmener dans ses bagages : l’engouement pour les petits meubles bretons prend dès lors son essor. En 1930, le bourg de Plozévet compte près d’une quinzaine d’ateliers. L’activité périclite dans les années 1960, essentiellement par manque de main d’œuvre. Le dernier artisan du « style Plozévet » prend sa retraite en 1970.

Banc-coffre (hauteur 11 cm, largeur 16 cm, longueur 25 cm) avec des rosaces réalisées à partir d’un assemblage de fuseaux typique du mobilier de Plozévet – Licence CC-BY- Collection du Musée de Bretagne, Rennes

Dans le but d’élargir les connaissances sur l’histoire des pratiques touristiques et de loisirs, le Musée de Bretagne a acquis en 2017 une étonnante boîte-souvenir de Rennes ayant la forme d’un chaudron miniature en bois tourné.

Boîte-souvenir de la ville de Rennes, début du 20e siècle -Licence CC-BY-SA – Collection du Musée de Bretagne, Rennes

Pour conclure

Les objets souvenirs, créés pour être extrait du contexte où ils sont vendus, nous en révèlent plus sur le touriste que sur la culture des habitants du lieu visité. Si meubles en miniature, poupées en costume, boites en coquillages, statuettes et petits objets en faïence témoignent de savoir-faire locaux, leur standardisation n’en fait plus forcément des produits faits en Bretagne ! Le vacancier, en achetant un souvenir, devient l’heureux acquéreur non pas d’un objet révélant les usages et les coutumes de l’endroit de son séjour, mais bien d’un morceau d’imaginaire collectif. Le souvenir est la preuve d’une situation de dépaysement, d’une manière de vivre et de percevoir l’espace des vacances. Est-il acheté par nostalgie ou fétichisme ? L’achat ne se fait pas véritablement pour l’objet lui-même, il est surtout un acte symbolique car l’objectif inconscient est de ramener la preuve d’un séjour « ailleurs », loin du quotidien.

Sophie Chmura.

Septembre 2022.

Pour en découvrir plus sur les objets souvenirs conservés au Musée de Bretagne :

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