Charles George Frederic Mevius (1824-1899), parfois orthographié G. F. Mévius, figure parmi les premiers photographes installés à Rennes au 19e siècle. Réputé comme photographe portraitiste, ainsi que de vues touristiques, cet Anglais originaire de Leicester s’avère avoir également joué un rôle dans la reproduction et la transmission de documents historiques.
Une vie entre les îles Britanniques et la Bretagne
Charles Mevius est né le 7 juin 1824 à Leicester. Rentier, il demeure ordinairement dans cette ville, quand Emma Harriet Longmore, née le 25 septembre 1822 à Tewkesbury dans le Gloucestershire, met au monde leur fils, Charles Rennes Mevius, rue de Nemours dans la capitale bretonne, le 26 mars 1855. Emma Longmore, normalement domiciliée sur l’île de Jersey, est alors mariée avec le révérend Richard Croker, et ce, depuis le 22 juillet 1841 : leur divorce est promulgué en 1858. Entre 1855 et 1858, Charles Mevius et Emma Longmore vivent dans le Langdon Hills (Essex) où naissent leurs deux filles Henriette, en 1856, et Marie Louise, en 1857. Emma met au monde leur deuxième fils Henry Arthur, le 25 septembre 1859 à Rennes. Dans l’acte de naissance, Charles Mevius est décrit comme propriétaire 29 faubourg de Nantes. Dans l’annuaire d’Ille-et-Vilaine de l’année 1860, il est précisé qu’il a un atelier de photographe 13 quai Chateaubriand. Le Musée de Bretagne conserve deux ambrotypes exécutés à l’époque.

Au dos de ces portraits, il est possible de lire une étiquette qui précise que Mevius fait des « Portraits photographies inaltérables, encadrés, ressemblance garantie / n°3417 English Spoken / Portraits sur toile, pouvant s’envoyer dans une lettre, à 2fr. / Bel assortiment d’Ecrins anglais, avec portraits, depuis 5 fr. / Portraits pour broches et médaillons. / Reproduction de tableaux et d’objets d’art. / Une terrasse vitre permet d’opérer par tous les temps. / L’atelier est ouvert tous les jours, de 10h du matin jusqu’à 4h du soir. / L’angle de Quai Châteaubriant et de la place St-Germain, à Rennes ».
Le 12 février 1861, Emma accouche de leur troisième garçon qu’ils nomment Frank Ernest. Charles Mevius est alors déclaré rentier. En 1867, naît leur fils Harold. Depuis un an, le couple est recensé 2 rue de l’Alma, près du Champ de Mars. C’est là que Charles a fait construire, vers 1863, son studio de photographie.

En 1886, la revue Le Panthéon de l’Industrie consacre un article à cet atelier qui est alors occupé par le fils de Charles, Frank Mevius (1861- ?) : « l’emplacement a été merveilleusement choisi. Isolée au milieu d’un jardin, la maison, dont les ateliers photographiques occupent tout le premier étage et une partie du rez-de-chaussée, se trouve en pleine lumière, loin de tout édifice qui puisse lui dérober une partie du jour, et à l’abri de toute éventualité capable de modifier cette situation. Les dispositions des ateliers ont été très habilement conçues pour compléter ces avantages naturels. Nous ne dirons rien des ateliers de manipulations […] ni de la chambre noire, ni des salons d’attente, etc., etc., dont l’installation est remarquable, mais qui interviennent peu, en somme, dans le résultat final. Nous ne saurions en dire autant des deux salons de pose dont l’un, orienté au nord, est destiné à l’exécution des groupes et des simples portraits de plein air, avec mise en scène d’arbres, de rochers, etc., etc., et l’autre, recevant le jour du nord et de l’est, est réservé aux portraits d’intérieur en pied ou en buste. Ces deux salons, exclusivement destinés à la pose, sont puissamment éclairés. Ils sont placés en retour d’angle, contre une pièce carrée où est installé l’objectif, qui peut être ainsi dirigé à volonté vers l’un ou l’autre des deux salons de pose ».

Au dos d’une photo-carte publicitaire qui montre les lieux, Charles Mevius se présente comme un photographe de Londres qui fait des « Portraits de toute dimension /jusqu’à la grandeur naturelle / en noir ou en couleur (huile, aquarelle, ect.) / portraits-cartes en tous genres / portraits-Cabinet (nouveauté) / portrait pour stéréoscope / broches & médaillons /encadrements / reproduction & agrandissement / jusqu’à la grandeur naturelle / des photographies / ou daguerréotypes anciens / portraits à l’huile ect. / Nettoyage et remise à neuf des anciens daguerréotypes / vues de Rennes et des environs / (St malo, Dinard, Combourg, ect.) / pour cartes et stéréoscopes / M. Mevius n’exposant pas de portraits en ville, on pourra visiter / chez lui des spécimens de photographies de toute espèce english spoken ».

Certains dos de cartes portraits prouvent que Mevius travaillait également comme photographe à Dinard.
Un homme à la pointe des innovations photographiques
Difficile de véritablement savoir comment Charles Mevius a embrassé la carrière de photographe. Mais il s’avère qu’il a été un ami proche d’un des pionniers de la photographie : l’inventeur Thomas Sutton (1819-1875) avec qui il a eu l’opportunité de faire des expérimentations. Sutton avait ouvert un studio dans la baie de Saint Brelade à Jersey en 1847 après avoir obtenu son diplôme de l’Université de Cambridge. Il est surtout connu pour avoir pris la première photographie couleur en 1861 et pour avoir inventé l’appareil photo reflex à objectif unique la même année. Il a également développé la première caméra panoramique avec un objectif grand angle en 1859. Sutton, qui a produit la première publication photographique de l’île de Jersey, était un écrivain prolifique sur la photographie. C’est d’ailleurs dans un de ses articles paru en 1874 dans le 20e bulletin de la Société Française de photographie que nous apprenons qu’il expérimente le procédé bromure avec Charles Mevius : ils ont réussi « avec un plein succès, la transformation de négatifs en positifs par l’acide nitrique, et […] d’après l’un d’eux, un négatif agrandi parfait sous le rapport du modèle et des demi-teintes et présentant la densité voulue pour le tirage ».
Durant les années 1870, Mevius est une référence en matière de portrait. Le Moniteur de la photographie du 15 janvier 1875 annonce que « M. Mevius, l’habile praticien anglais, établi à Rennes » revendique « l’honneur d’avoir été le premier photographe de province qui ait acquis le droit de pratiquer » le procédé au charbon que Claude Léon Lambert (vers 1839- ?) enseigne aux photographes à Paris. The British Journal of Photography de 1875 explique d’ailleurs à ce propos que « M. Mevius, de Rennes – dont le nom est connu de nos lecteurs comme l’un des principaux photographes professionnels du portrait en France – a obtenu une licence, et est tellement charmé par le procédé qu’il a écrit pour en faire l’éloge au Moniteur […] Or, si l’on connaît bien l’extrême prudence que prend M. Mevius dans sa pratique, quoiqu’il puisse mettre à l’épreuve n’importe quelle nouveauté, on est amené à croire, par son élan actuel d’enthousiasme, qu’il y a vraiment quelque chose dans le procédé d’impression au carbone de Lambert ». Ce procédé, également désigné sous le nom de lambertypie, permet l’agrandissement de photographie, exercice que Mevius exécute régulièrement, comme le prouve son agrandissement du portrait du Docteur Jules Aussant (Rennes, 14 février 1805 – 19 juin 1872) directeur des musées de la ville.

Reproduction et conservation
Le 17 avril 1869, Charles Mevius et Emma Longmore officialisent leur relation par le mariage dans la paroisse Saint Saviour à Jersey. Le 7 août de la même année, Alfred Mevius naît à Rennes. Malheureusement, le 12 août, l’enfant meurt. Le décès est déclaré par un ami de la famille, Lucien Decombe (1834-1905), chef du 1er bureau à la mairie de Rennes.

En 1874, Decombe devient membre de la Société Archéologique d’Ille-et-Vilaine. Il s’intéresse à l’histoire de Rennes au siècle des Lumières et écrit neuf communications sur le sujet en à peine dix ans. Dès son adhésion, il participe aux exhibitions mensuelles de la société savante : il présente un grand nombre d’objets, de documents et surtout d’images. Lors de la séance du 9 juin 1874, il est donné lecture d’une lettre par laquelle il « fait connaître à M. le président que M. Mévius, photographe à Rennes, l’a chargé de faire hommage en son nom, à la Société Archéologique d’Ille-et-Vilaine, d’une série de reproductions photographiques exécutées par lui sur des gravures du siècle dernier, représentant divers monuments de Rennes et des faits importants de l’histoire de cette ville.
Ces reproductions, au nombre de cinq, sont :
1° L’incendie de Rennes en 1720, vue prise de la place du Palais. Dessin de Huguet, gravé par Thomassin.
2° Élévation perspective de la place du Palais et représentation de la fête donnée le 6 juillet 1726, à l’occasion de l’érection de la statue équestre de Louis XIV. Dessin de Huguet.
3° Élévation perspective de l’Hôtel-de-Ville, d’après le projet de Gabriel. Dessin de Huguet.
4° Statue équestre de Louis XIV, de Coysevox, érigée sur la place du Palais, le 6 juillet 1726.
5° Statue de Louis XV, de Lemoine, érigée devant la façade de l’Hôtel-de-Ville, le 9 novembre 1754 ». Mevius a aussi photographié le change des billets de banque à l’Hôtel des Monnayes par Jean-François Huguet (1679-749). L’œuvre originale avait été découverte en 1866 sous un monceau de vieux papiers dans le bas d’une armoire de la Bibliothèque de Rennes. Le document fut communiqué à la Société Archéologique lors de la séance du 13 novembre 1866 par Victor Pijon (1820- ?), archiviste de la ville. La société obtint de l’administration municipale qu’il soit encadré et déposé au Musée archéologique.

Quand Mevius fait son don en 1874, aucune des gravures qu’il a photographiées ne semblent être déposées au Musée archéologique. En comparant les exemplaires originaux aujourd’hui conservés au Musée de Bretagne, aux archives de Rennes et départementales d’Ille-et-Vilaine, aucun document ne correspond. D’après les comptes rendus des séances de la société archéologique d’Ille-et-Vilaine publiés en 1878, il faut attendre février 1877, pour qu’une gravure représentant la statue équestre de Louis XIV soit donnée au musée de la ville. La plupart des œuvres et gravures originales d’Huguet ne sont redécouvertes qu’à la toute fin du 19e siècle. Si certains érudits se sont tout particulièrement évertués depuis les années 1840 à dénicher des récits inédits et de sources écrites, Lucien Decombe s’est attaché à retrouver l’iconographie contemporaine des événements qui ont marqué le 18e siècle rennais. Il est fortement probable que Mevius ait photographié les gravures dans des collections privées pour les recherches personnelles de Decombe. Nous pouvons aussi supposer que son don est un acte qui s’inscrit dans un projet de reproduction, de conservation et de transmission du patrimoine iconographique. Depuis 1875, Decombe, qui était collaborateur bénévole au Musée Archéologique, faisait partie du bureau de la Société Archéologique d’Ille-et-Vilaine en tant que bibliothécaire. En travaillant à la fois à la gestion des œuvres du musée et des collections de la Société Archéologique, Il a progressivement permis la conservation et la mise en valeur des documents présentés ou donnés à la société en les intégrant aux collections muséales.
Le recensement de 1876 aux Archives de Rennes est le dernier où apparaît le nom de Charles Mevius au 2 rue de l’Alma : la famille quitte en effet la Bretagne pour Jersey durant la fin des années 1870. L’ensemble des clichés de Charles Mevius est récupéré par le photographe Rennais Louis Collet (Pleumeleuc, 2 janvier 1846 – Rennes, 8 octobre 1935) qui se présente dès lors comme son successeur. Emma décède à Jersey le 22 février 1889. Elle est enterrée au cimetière de Mont à L’Abbé. En 1893, Charles Mevius est domicilié au 2 West Park Villas à Saint-Hélier. Il meurt à 74 ans, le 3 janvier 1899. Il est enterré le 6 janvier dans le même caveau que son épouse. Frank et Harold Mevius ont suivi les traces de leur père et sont tous les deux photographes au moment de sa mort. Frank travaille entre 1885 et 1891, 2 rue de l’Alma à Rennes, puis s’installe David Place à Jersey. Harold, après s’être marié à Saint Helier le 13 décembre 1888, dirige le « Royal Studio » 610 Columbia Street (Cunningham Block) à New Westminster.
Sophie Chmura.
Octobre 2022.
Pour en découvrir plus :
Laurence Prod’homme, Les fonds photographiques du musée de Bretagne, dans Musée Dévoilé le blog du Musée de Bretagne.
Laurence Prod’homme, Rennes photographiée – Comme un album de famille…, dans Musée Dévoilé le blog du Musée de Bretagne.
Laurence Prod’homme, Un ambrotype de 1859 du photographe rennais Charles Mévius, dans Musée Dévoilé le blog du Musée de Bretagne.
Sophie Chmura, La stéréoscopie : la magie du relief, dans Musée Dévoilé le blog du Musée de Bretagne.
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