Présenté en 1936 par la revue On Oaled comme une des vedettes de la Bretagne, Raphaël Binet (1880-1961) s’est voué pendant près de quarante ans à cerner la spécificité de l’identité bretonne qu’il défend et qu’il cherche à promouvoir à travers ses œuvres.

Breton d’adoption
Né le 18 mars 1880 à Mamers dans la Sarthe, Raphaël Binet grandit à Rouen où ses parents se sont installés comme photographes en 1888. Il intègre l’école des Beaux-Arts de la ville en 1895, un peu moins d’un an avant le décès de sa mère. En janvier 1900, il reprend le studio 3 rue Bouquet de son père partit vivre à Petit Couronne. Il fait faillite à peine trois mois après son mariage le 12 mars de la même année. Il quitte Rouen en 1901 pour s’installer rue Carnot à Orbec dans le Calvados où il ouvre un studio qu’il baptise la Photographie Moderne. Il se fait connaître comme portraitiste et photographe d’actualité pour la presse locale. Il vend des clichés aux commerçants d’Orbec pour qu’ils éditent des cartes postales quand il ne le fait pas lui-même. Son épouse, Ernestine Morin, décède en février 1906, le laissant seul avec leur fille Magdeleine (1902-1927) et leur fils, Fernand (1905-1985), âgé d’un an. Il se remarie le 24 novembre 1906 avec l’Orbecquoise Suzanne Turpin (1886-1950). Parallèlement à ses activités de photographe, il donne des cours de mandoline, compose de la musique et des poèmes, organise des concerts et des spectacles pendant lesquels il exécute du dessin express et du modelage minute.

En 1911, il est recensé comme employé de banque à Orbec. En 1912, il travaille à Paris comme opérateur restaurateur chez Edmond Vallois (1856- ?), associé depuis 1910 à Jean David (1848-1923), tous deux spécialisés en photographie d’établissements scolaires et de classe. En 1913, sa deuxième épouse demande le divorce. Il part de Paris en juillet 1913 pour s’installer en Bretagne où il exerce avec René Delaunay (1889-1896) qui vient juste de quitter le Calvados pour reprendre le studio la « Photographie Parisienne » 2 avenue du Palais à Saint-Brieuc.
Les débuts de Binet sur le territoire breton, consistent essentiellement à un travail de photographe ambulant. Il est domicilié 41bis rue du Légué à Saint-Brieuc chez celle qui devient sa nouvelle femme : Madeleine Reigneron (1893-1976). Réformé militaire, il n’est pas mobilisé en 1914. Il déménage 54 rue Saint-Guillaume. Il ouvre 11 rue Saint-Benoît le studio Aéro-Photo / R. Binet, ainsi que deux succursales, rue du Val à Lamballe et place de l’Église à Plouha. Il édite ses photographies, principalement des portraits en pied, sur cartes postales au dos desquelles il applique un tampon sec au nom de son local de travail.

Propagandiste de la Bretagne
En 1920, il s’installe 10 rue Charbonnerie à Saint-Brieuc. Cet Atelier Artistique est surtout connu sous le nom de Studio Raphaël Binet. Il se lie d’amitié avec un confrère éditeur de cartes postales, Émile Hamonic (1861-1943), ainsi qu’avec l’écrivain celtisant et administrateur de journaux Guillaume Corfec (1865-1940), qui signent tous les deux comme témoins l’acte de naissance de sa fille Denyse (1920-2002). En 1922, Raphaël Binet crée la revue illustrée La Bretagne touristique, avec un autre briochin d’adoption, le journaliste Octave-Louis Aubert (1870-1950). Grâce à leur revue, ils œuvrent dans le domaine de la promotion touristique et soutiennent les mouvements régionalistes. Ils entretiennent des liens étroits avec de nombreuses personnalités des lettres comme Charles Le Goffic (1863-1932), Anatole Le Braz (1859-1926) ou Louis Guilloux (1899-1980), et font connaître les artistes du mouvement Ar Seiz Breur porté par René-Yves Creston (1898-1964), fondateur du Musée de Saint-Brieuc où Binet ne manque pas d’aller photographier les collections.

C’est sans doute durant cette période de sa vie que Binet devient l’élève de l’artiste peintre aquarelliste et pastelliste Zoë Laigneau-Ernault (1885-1965), fille du professeur et poète en langue bretonne Émile Ernault (1852- 1938).

En parallèle de son activité de portraitiste en studio, Raphaël Binet édite des cartes postales pour La Bretagne Touristique, ainsi que pour des commerçants, des industriels, des hôteliers, des établissements bancaires, le Vélo-Club Briochin, des stations balnéaires de la côte comme Les Sables-d’Or. Il fait confectionner des carnets de cartes postales pour les principales institutions scolaires privées des Côtes du nord et quelques congrégations religieuses. Il participe aux journées du Comité des Sites et Monuments, aux Congrès de la Fédération des Syndicats d’Initiative de Bretagne, ainsi qu’à de grands événements comme l’Exposition internationale du tourisme de Grenoble en 1926 où il reçoit une médaille d’argent pour son travail photographique.

Certains de ces clichés sont utilisés pour illustrer les guides et livres touristiques écrits par Octave-Louis Aubert, mais également dans des projections durant des conférences sur l’art, le développement touristique et économique de la Bretagne. Il fournit des images à des journaux comme La dépêche de Brest ou L’Ouest-Éclair.
Chasseur d’images photographiques et cinématographiques
Le 22 décembre 1929, il inaugure son nouveau studio 34 rue Maréchal Foch à Saint-Brieuc. Il a déjà consacré une partie de son temps à photographier des estampes anciennes et les quartiers historiques briochins, surtout ceux voués à être démolis. Il élabore un album titré Saint-Brieuc Vision d’autrefois, imprimé en héliogravure par les Imprimeries Réunies de Nancy, ouvrage qu’il présente dans un film sur la destruction et la reconstruction (critiquée) de Saint-Brieuc en 1933. Il s’intéresse en effet de près à la propagande par le cinéma, surtout en milieu scolaire. C’est en 1930 qu’il obtient l’autorisation de commercialiser des appareils de prise de vue et de projections Pathé-Baby. Il organise même des conférences pour la vulgarisation de la photographie et du cinéma, quand il ne fait pas des reportages à travers les départements bretons.

En 1934, il publie Autour des pardons En dro d’ar Pardoniou première série d’héliogravures d’art extraite de sa « Collection Bretonne », œuvre photographique qui lui sert de modèle pour établir des pastels, des dessins et des tableaux. Le journaliste et Grand Druide de la Gorsedd de Bretagne, François Taldir Jaffrenou (1879-1956), qui signe l’avant-propos de cet album, en fait un vif éloge dans sa revue An Oaled : « Cet ouvrage est unique en son genre : ce n’est pas une collection de photos plus ou moins posées, préparées et composées à souhait, mais une série d’images expressives, prises sur le vif autour des pardons de Bretagne. Saisir tous les gestes des gens de chez nous, parfois gauches, parfois touchants, toujours simples et sympathiques, exigeait tout d’abord une étude complète de la nature des personnages et du pays, un sentiment artistique très développé, beaucoup de psychologie et une technique sûre. Il fallait un ouvrier de taille. M. Raphaël Binet avait les rares qualités exigées pour ce travail ».

Entre 1930 et 1935, bien que Raphaël Binet participe à l’effort de vulgarisation de la Chambre Syndicale Française de la Photographie et de ses applications par des conférences, un concours photographique et des promenades photo-cinématographiques, les membres des Côtes-du-Nord de l’Association professionnelle des Photographes de l’Ouest le dénonce à plusieurs reprises pour concurrence déloyale. Est-ce cela qui l’amène à quitter Saint-Brieuc pour Rennes ou la nécessité de trouver des médecins pouvant soigner sa fille Joële (1915-1937) qui souffre de leucémie et de tuberculose ? Il installe un atelier « ultra moderne » 22 rue du Thabor dans la capitale bretonne. Lors de l’inauguration le 18 janvier 1936 sont présents la direction du Foyer Breton / An Oaled et celle de l’Ouest-Éclair, devenu depuis 1935 l’imprimeur de la revue La Bretagne Touristique.
Une œuvre sous les auspices de la Gorsedd
En juillet 1937, alors qu’il participe à l’exposition d’art et d’industries bretonnes au Festival Interceltique de Perros-Guirec où il reçoit le titre honorifique de barde d’honneur, sa fille Joële décède. Dans les mois qui suivent, il déménage son atelier de la rue du Thabor à l’angle du quai Richemont et de l’Avenue Janvier, toujours dans Rennes. Les lieux sont bien plus qu’un simple studio de photographies car ils accueillent une galerie qui permet à Binet d’organiser des expositions personnelles ou d’artistes bretons, ainsi que des conférences et des concerts.

Il participe à tous les événements qui mettent en valeur les coutumes, les costumes, le folklore, l’art et l’artisanat bretons. En 1938, quand La Bretagne Touristique, revue des intérêts bretons, intellectuels, économiques, touristiques, devenue Bretagne, change de maquette pour se composer de deux fascicules, il contribue largement à son iconographie même s’il n’apparaît plus comme son directeur artistique depuis 1925. Il collabore avec Émile Hamonic à la mise en images de Saint-Brieuc cité gentille écrit par Octave-Louis Aubert et fournit toutes les photographies de l’opuscule du journaliste Florian Le Roy (1901-1959) sur Le Palais du Parlement.

Durant toutes les années 1940 et jusqu’à sa mort, il continue à faire du portrait, à photographier des mariages et des sorties d’église, à éditer des cartes-postales à but publicitaire, à organiser des expositions, à faire des films, et cela, malgré une santé défaillante. Il recrute régulièrement des employés pour les travaux amateurs (développements, tirages, etc.). En 1950, il travaille avec Marcelle Avignon, photographe professionnelle qui le remplace régulièrement. Il décède le 26 septembre 1961 à la clinique Saint-Yves à Rennes et est inhumé au cimetière de l’Est. Sa fille Denyse, qui a fait des études au Conservatoire de Rennes et qui le secondait depuis son adolescence, reprend le studio. Elle continue à faire du portrait et des photographies de mariage, mais s’avère vite être une photographe appréciée des artistes lyriques et du centre chorégraphique de l’Ouest qui font régulièrement appelle à son savoir-faire pour leurs books professionnels.

Elle ferme définitivement le Studio Binet le 25 décembre 1984, deux ans après avoir vendu au Musée de Bretagne une grande partie du fonds photographique de son père qu’elle a complété durant plus de vingt ans.
En 1983, le conservateur Jean-Yves Veillard (1939-2020) organise à Rennes la première exposition consacrée à Raphaël Binet. En 2008, le Musée de Saint-Brieuc fait connaître à son tour l’œuvre d’une vie consacrée à la Bretagne. Depuis 2015, le portail de mise en ligne des collections du Musée de Bretagne s’enrichit régulièrement des numérisations du fonds Binet composé de plus de 15 500 items !
Sophie Chmura.
Octobre 2022.
BIBLIOGRAPHIE :
Anne Catherine, Raphaël Binet, deux photographes en Bretagne. Les collections photographiques du Musée de Bretagne, Rennes, Éditions du Musée de Bretagne, 1983, 96 p.
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