Un album des chemins de fer de l’État : les ateliers de Rennes

En 1914, cinq ans après le rachat par le réseau de l’État de la Compagnie de l’Ouest, une commande est passée au photographe Ernest Mésière pour la réalisation d’un reportage sur les ateliers de Rennes.

Ernest Mésière, installé à Limoges où sa présence est attestée jusqu’en 1908, exerce à Paris à partir de 1911. Il développe une pratique photographique et éditoriale très novatrice, avec comme sujet les activités industrielles françaises. De mine en fonderie, de filature en usine de céramique et de chocolaterie en régiment d’infanterie, il parcourt la France entre 1908 et les années 1920, appliquant une méthode photographique systématique, qu’il répète de manière identique sur chacun des lieux qu’il visite, consistant à diviser ses prises de vues en trois catégories : les bâtiments, les ateliers et les hommes.

Album Chemins de fer de l’Etat, ateliers de Rennes, photographies d’Ernest Mésière – Marque du domaine public – Collection Musée de Bretagne, Rennes

L’ensemble est publié dans un recueil d’une trentaine de pages au format à l’italienne, dans lequel les images sont reproduites suivant le procédé de la phototypie. En 1911, il réalise un reportage pour la Compagnie de Fives-Lille qui fabrique entre autres des locomotives à vapeur. En 1914, il se rend à Saintes et à Rennes pour y photographier les ateliers des chemins de fer de l’État. Ces recueils sont précieux car ils marquent une période charnière dans l’organisation du travail des ateliers de chemin de fer. Ceux de la Compagnie de l’Ouest sont construits huit ans après l’ouverture de la gare de Rennes en 1865, au sud de la voie ferrée, entre les quartiers Quineleu et Saint-Hélier. L’accroissement du réseau, l’augmentation du nombre des lignes et la nécessité pour la compagnie d’assurer la maintenance et l’entretien de ses machines, vont vite conduire, dès 1868, à un projet d’extension des ateliers. Les constructions sont achevées à la fin des années 1880 et comportent 18 bâtiments.

Album Chemins de fer de l’Etat, ateliers de Rennes, photographies d’Ernest Mésière – Marque du domaine public – Collection Musée de Bretagne, Rennes

L’organisation des ateliers de chemin de fer est un sujet d’une grande complexité, auxquels ingénieurs et techniciens consacreront beaucoup d’énergie et de réflexion. Le nombre impressionnant de publications sur la question, diffusés notamment par la Revue générale des chemins de fer,témoigne de la place prépondérante des ateliers dans le fonctionnement des compagnies ; il souligne non seulement l’organisation pratique des lieux, mais aussi la délicate gestion du travail des ouvriers. En 1889, Pol Jean Lefèvre écrit : « Les ateliers ne sont, en réalité, autre chose que des usines de construction ou de réparation des machines et du matériel […]. Les ateliers de chemins de fer comprennent les forges, l’ajustage, les halles de montage, les ateliers de carrosserie, de tapisserie, de peinture… ». C’est en Ille-et-Vilaine que les effectifs des employés des chemins de fer sont les plus importants, très largement composés du personnel des ateliers, principal pôle ouvrier de la ville employant selon les périodes, entre 1 200 et 1 400 personnes.

Album Chemins de fer de l’Etat, ateliers de Rennes, photographies d’Ernest Mésière – Marque du domaine public – Collection Musée de Bretagne, Rennes

Dans l’ouvrage de Gaston Renaudel paru en 1910, Les compagnies de chemins de fer et leurs employés, une page entière est consacrée à l’énoncé des différents métiers exercés au sein des ateliers. La liste égrène à la façon d’un inventaire à la Prévert toute la variété des métiers et indique la spécialisation de chacun, aux lettres R et S, on trouve raboteur, racheveur, réguleur, rembourreur, riveur, scieur, sellier, serrurier etc. La division du travail et la séparation des tâches des ouvriers tend à une rationalisation la plus efficace possible, pour un rendement maximal au moindre coût. Les ateliers de chemin de fer ont constitué un terrain d’expérimentation de pour les nouvelles méthodes de travail dans le secteur industriel.

Album Chemins de fer de l’Etat, ateliers de Rennes, photographies d’Ernest Mésière – Marque du domaine public – Collection Musée de Bretagne, Rennes

Lorsque Mésière photographie les ateliers de la gare de Rennes, le travail repose encore sur celui d’un savoir-faire ouvrier, à mi-chemin entre les pratiques artisanale et industrielle ; en 1914, le réseau de l’État supprime le travail à la tâche qui s’est imposé jusqu’alors comme mode de rémunération.

Album Chemins de fer de l’Etat, ateliers de Rennes, photographies d’Ernest Mésière – Marque du domaine public – Collection Musée de Bretagne, Rennes

Après la Première Guerre mondiale, et jusqu’aux années 1930, la répartition du travail s’inspire du modèle taylorien et la rationalisation des tâches devient le maître-mot : la mécanisation s’accroît, l’organisation spatiale des ateliers se renforce, la planification et la spécialisation des activités assurent une augmentation du rendement en qualité et en quantité.

Cette première phase de réorganisation sera suivie, à partir des années 1930, d’une redistribution géographique du travail des ateliers sur l’ensemble du territoire. Après une optimisation de chaque établissement, ce sont tous les ateliers dont les fonctions vont tendre vers une hyper spécialisation : à Rennes on ne va plus réparer les locomotives mais se spécialiser dans la révision de certains véhicules, comme les autorails ou les draisines, ou encore dans la fabrication d’un modèle particulier de wagon.

Atelier de menuiserie des voitures, Raphaël Binet, gare de Rennes, vers 1930-1940 – CC BY NC ND – Collection Musée de Bretagne, Rennes

Les ateliers de Rennes ont occupé une place essentielle dans la vie économique de la ville, comme dans l’organisation spatiale et humaine de tout un quartier ; ils ont déménagé en avril 2015 sur la commune de Saint-Jacques-de-Lande pour devenir « technicentre » et se spécialiser à nouveau, cette fois dans la maintenance des systèmes de freinage.

Laurence Prod’homme.

Texte extrait de Bretagne Express, Les chemins de fer en Bretagne 1851-1989, éditions Fage, Lyon, 2016.

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