Depuis plus de 40 ans, la consommation d’eau en bouteille n’a cessé de croître. Comment expliquer ce paradoxe, alors que l’eau potable devenait de mieux en mieux distribuée, de plus en plus contrôlée…et que l’eau en bouteille coûte aujourd’hui 100 à 300 fois plus chère que l’eau du robinet ? Le succès de ce nouveau marché tient beaucoup aux effets du marketing, qui a construit son argumentaire autour de la symbolique de l’eau comme source de vie et de santé, faisant de ce produit pas comme les autres une marchandise.

En jouant sur les clichés, l’histoire et les fantasmes, le marché de l’eau embouteillée s’est imposé à l’échelle planétaire pour devenir l’un des secteurs les plus dynamiques de l’agro-alimentaire. Au tournant de la Seconde Guerre mondiale, ce sont les vertus d’eau purificatrice, d’eau diurétique qui sont mises en avant : Evian, avec sa campagne de 1948, reste l’eau des biberons et des nourrissons. Dans les années 1970, c’est la mode du fitness qui prend le relais, avec notamment le lancement de Contrex. Elle sera la marque de la femme active, indépendante, en quête d’épanouissement personnel et d’ascension sociale. L’essor tient aussi à la double conjonction de l’essor des supermarchés mais aussi d’une certaine désaffection des municipalités vis-à-vis de la gestion de l’eau.

Les innovations du marketing sont allées jusqu’à créer des packagings spécifiques selon l’usage -sport, voyage, collector pour les grandes occasions…- ou la cible (la tétine pour les enfants, format famille pour la table). Un tournant est donné dans les années 2000 avec l’apparition de campagnes beaucoup plus agressives, dénigrant clairement l’eau du robinet. En France, la plus marquante reste la campagne de Cristalline en 2007, avec le slogan « Qui prétend que l’eau du robinet a bon goût ne doit pas en boire souvent « . Association de consommateurs, mouvements écologiques mais aussi politiques s’engagent dès lors dans un nouveau rapport à l’eau comme bien commun. Ils investissent le même terrain marketing que les industriels dans une croisade pour réhabiliter l’eau du robinet et dénoncer le gâchis économique et écologique de l’eau embouteillée : des campagnes d’affichage aux « Gobi », bouteille réutilisable au design soigné, multiples sont les initiatives pour préserver une ressource vitale, bien commun devenu enjeu mercantile et financier du 21e siècle.
Céline Chanas.
Texte extrait de Boire, de la soif à l’ivresse, éditions Fage, Lyon, 2015.