Nolwenn Brod est l’une des photographes françaises les plus talentueuses de la jeune génération. Née à Brest en 1987, elle est revenue à plusieurs reprises sur le territoire de son enfance pour porter un regard sur la Bretagne, empreint de sensibilité et de poésie. En 2022, le Musée de Bretagne acquiert cinq images de sa série Ar gouren et autres visions.
Nolwenn Brod, une photographe au musée
Diplômée de l’école des Gobelins en 2009, Nolwenn Brod est une photographe qui mobilise pour ses travaux des références très larges, philosophiques, littéraires, artistiques ou scientifiques. Elle s’attache dans ses photographies aux êtres et aux paysages et à la relation entre ces deux éléments. Chacun de ses projets amène ensuite la photographe à se laisser porter par le hasard des rencontres, pour s’approcher au plus près des vivants, de leurs émotions et de leurs combats intérieurs.
En complément des images fixes, Nolwenn Brod déploie son art avec un travail filmique, qui donne en contrepoint, un rendu en mouvement de ses observations.
Ar Gouren et autres visions
Pendant quatre étés consécutifs, Nolwenn Brod a parcouru la Bretagne pour assister à des tournois de lutte bretonne. Elle rencontre les lutteurs et les lutteuses à l’issue des combats, et les photographie la peau encore rougie par l’effort, le dos et les cheveux tachés de rouge par la sciure du terrain de jeu. Elle les met en scène dans les paysages voisins des luttes, dans les champs ou aux abords de forêts. Ce jeu poétique d’échos entre chorégraphies du combat et paysages, avec une inscription géographique forte, confère une dimension de témoignage à ces lieux où se sont déroulés dans le passé les tournois de lutte. On retrouve dans le décor de chaque photographie les éléments-clés du gouren, comme le tour de piste avec le maout sur les épaules de Mathieu, le Bragou et le roched, la piste de sciure…

Dans cette série, comme dans son travail en général, elle s’intéresse au rapport entre les vivants, à l’entremêlement des corps et de l’espace, et au lien entre espace mental et représentation physique : ce ne sont pas des images qui viennent documenter une pratique sportive, mais bien une vision habitée, qui donne de la force, par l’approche plastique et artistique, à cet élément du patrimoine immatériel breton.

La photographe s’interroge ainsi sur l’ambiguïté de l’affrontement et la confiance que se portent les lutteurs, dans cette lutte où l’on se donne « corps et âme ». Les étreintes des lutteurs, gracieuses et presque statuaires dans son objectif, questionnent la violence de cette lutte, plus intériorisée, symbolique. Les portraits de l’après-combat montrent aussi l’abandon qui suit la lutte, entre fatigue et suspension du temps. Si Nolwenn Brod s’intéresse au gouren, c’est aussi parce qu’elle est bretonne et que cette pratique résonne fortement avec son histoire, celle d’un grand-père, paysan et lui-même champion de gouren.

Les « autres visions » font aussi référence au tableau de Gauguin, Vision après le sermon ou la lutte de Jacob avec l’ange, 1888, huile sur toile, conservée à la National Gallery of Scotland. Selon Nolwenn Brod, mais aussi Denise Delouche (« le Gouren vu par les artistes », Gouren, lutte et défis d’un sport breton, éd. Coop Breizh, 2005), la lutte de Jacob avec l’ange s’inspire du gouren, sur ce sol de sciure rouge bien reconnaissable.

Le gouren, un élément du patrimoine culturel immatériel breton
Le gouren est inscrit à l’inventaire national du patrimoine culturel immatériel depuis 2012. C’est un style de lutte traditionnelle bretonne, hérité du Moyen Âge et transformé au 20e siècle en sport compétitif, avec une fédération, des règles uniformes, des catégories de poids et d’âge.
L’esprit ancestral à l’origine de la pratique est toujours revendiqué par ses pratiquants : il porte des valeurs fortes de sociabilité, une attention à l’histoire, un rapport au paysage et à la nature ainsi que des rituels comme le serment ou l’accord de loyauté.
De nombreux écrivains et artistes aux 19e et 20e siècle ont laissé des descriptions des tournois de gouren magnifiant les lutteurs. On luttait pour l’honneur, le défi, le plaisir, le prestige de l’homme fort. Les prix aux vainqueurs pouvaient parfois être conséquents, allant du simple mouchoir au chapeau, du mouton au taureau ou à une somme d’argent.
Le Musée de Bretagne conserve déjà un certain nombre d’objets et photographies sur le gouren, comme une chemise de lutteur, des affiches et cartes postales, ou encore une série de photographies de tournois vers la fin des années 1960 par Étienne le Grand. Nolwenn Brod a également fait don d’une statue reçue par son grand-père, puis son père (tous deux champions de gouren à Balannec) représentant deux lutteurs.
Un enrichissement de la collection de photographie contemporaine
Depuis plusieurs années, le Musée de Bretagne mène une politique d’acquisition régulière en matière de photographie contemporaine, qui ouvre opportunément la vision du territoire breton par un musée de société. Avec cette acquisition, le musée poursuit aussi un rééquilibrage des acquisitions pour une meilleure représentativité des artistes femmes dans la collection.
Cette acquisition est réalisée à l’occasion de la présentation aux Champs Libres de l’exposition Les Hautes solitudes : le fruit de la résidence de création explorant la ville de Brest y est présenté aux côtés d’autres séries, notamment celle du gouren. L’exposition est visible durant l’année 2023 au Musée de Bretagne.
Céline Chanas.
Janvier 2023.