Lors d’une fouille d’archéologie préventive réalisée sur prescription de l’État (Drac Bretagne, Service régional de l’archéologie) à Trémuson (Côtes d’Armor), une équipe de l’Inrap a mis au jour à l’automne 2019 un ensemble de mobiliers de la période gauloise de tout premier plan : notamment quatre bustes sculptés enfouis au milieu du Ier siècle avant notre ère, dont celui d’un homme barbu et moustachu portant un torque (collier) autour du cou.

Trois d’entre eux ont été mis au jour peu après dans un puits comblé à la période gauloise qui a également révélé un remarquable seau en bois cerclé de métal ouvragé, datant des IIe-Ier siècles av. J.-C.
Cette découverte archéologique est exceptionnelle : il est extrêmement rare de pouvoir découvrir et étudier de tels vestiges sur les lieux mêmes où ils ont été enfouis ou abandonnés.
Les objets ont rapidement été pressentis pour une présentation inaugurale au public, au terme de leur étude par les archéologues de l’Inrap durant deux ans, lors de l’exposition temporaire Celtique ? de mars à décembre 2022, aux côtés des statuettes contemporaines de Paule (Finistère), et ont parallèlement été proposés au Musée de Bretagne pour acquisition par les propriétaires du terrain privé sur lequel ils ont été découverts, la SCI Trému, via l’intermédiaire du Service régional d’archéologie de Bretagne. Le souhait des propriétaires était de pouvoir orienter la vente au profit d’une collectivité publique et d’un musée de France, de préférence en Bretagne.

Le mobilier archéologique de Trémuson, une acquisition d’un intérêt culturel et patrimonial majeur pour le Musée de Bretagne
Contexte
Sur un site archéologique d’un demi-hectare situé près de Saint-Brieuc, a été découverte, le 30 septembre 2019, la première des quatre sculptures, la plus exceptionnelle, datant d’il y a plus de 2000 ans.
Les six archéologues de l’Inrap, sous la direction de Stéphane Bourne, ont en effet fouillé, sur le lieu-dit « la Morandais » à Trémuson, dans l’ancienne cité des Osismes (Osismii), l’espace résidentiel d’une ferme gauloise sans doute de rang aristocratique, occupée à partir du 3e siècle avant notre ère. Ce site gaulois était connu et mis en réserve. Un diagnostic en 2001 avait déjà permis de découvrir des fossés qui délimitaient un habitat et de dater quelques mobiliers. Datant des 2e et 1er siècle avant notre ère, de nombreux vestiges témoignent de la richesse des propriétaires. La céramique mise au jour est une production locale soignée, et des fragments d’amphores assez nombreux indiquent que les habitants consommaient du vin d’Italie puis d’Espagne. Les trous de poteaux et les tranchées de fondation des parois dessinent les plans de maisons d’une centaine de mètres carrés chacune. Enfin, la zone résidentielle est au cœur d’un vaste enclos délimité par un fossé monumental, autrefois bordé d’un talus, auquel on accédait par un porche dont la toiture était supportée par des poteaux massifs. Grâce aux connaissances apportées par les fouilles de 2019, le site s’avère plus étendu et plus monumental que prévu, plus complexe qu’une simple ferme gauloise et caractérisé par de nombreuses transformations au cours du temps. La péninsule bretonne est alors un territoire densément occupé et ces résidences sont celles de puissantes familles de l’aristocratie locale.
Le 22 octobre 2019, trois autres statuettes sont découvertes au fond d’un puits, d’un style plus sobre, ainsi que de nombreux objets en matériaux organiques (pièces de meubles en bois tourné, seau ouvragé…), préservés de manière extraordinaire par le contexte humide (anaérobie), provoquant la grande surprise des archéologues. Ce mobilier de qualité est éloigné de l’image traditionnelle des habitations gauloises.
Quatre statues en pierre et un seau en bois cerclé de métal ouvragé
La première statue, la plus spectaculaire, haute de 40 cm (11kg), a été mise au jour face contre terre dans une petite fosse rectangulaire, où elle semble avoir été déposée intentionnellement. Sculptés dans la roche (vraisemblablement de la stéatite d’origine locale ou régionale), les traits du visage, ciselés avec détails sont ceux d’un homme à la chevelure et la barbe soignées. La partie inférieure du buste, non travaillée, se termine en pointe biseautée, laissant penser qu’elle pouvait être enchâssée dans un support ou un socle, ou fichée dans un matériau meuble. Ce buste était accompagné d’un vase et de six objets métalliques. Des marques de mutilation et de chauffe ont été repérées sur le matériau, traces possible d’un rejet volontaire et d’un incendie.

La qualité de la sculpture, traitée en ronde-bosse, est remarquable : les yeux, la barbe, la chevelure, très détaillés, sont bien figurés, tel un petit portrait. S’en dégage une impression de puissance et de dignité. L’évocation du torque, souvent en or, renvoie avant tout aux attributs d’un personnage important, membre de l’élite des Osismes, peuple gaulois de l’Ouest armoricain, dont le territoire s’étendait sur l’ensemble du Finistère, une partie des Côtes d’Armor et du Morbihan. Ce personnage, dont on avait souhaité conservé la mémoire par cette effigie sculptée, pourrait être l’un des membres du clan aristocratique propriétaire de la vaste résidence fouillée à Trémuson.
L’art du second âge du Fer (ou période laténienne, du milieu du 5e siècle av. J.-C. à la conquête romaine) est un art peu figuratif, hormis la numismatique où des représentations humaines et notamment des têtes chevelues et barbues sont fréquentes au milieu du 1er siècle av. J.-C. Ce type de statuette constitue donc une exception importante. Les trois autres statues, également sur socle, ont été mises au jour lors de la fouille du puits où elles ont probablement été jetées, pour une raison non connue mais qui, comme l’enfouissement du buste barbu et les traces d’incendie, pourrait traduire des bouleversements vers le milieu du 1er siècle av. J-C. Une perte de signification symbolique de ces objets pourrait être mise en relation avec un déclin probable du clan aristocratique, dans le sillage de la conquête romaine. Leur aspect plus sobre et plus schématique que le buste barbu, mais également plus homogène, évoquent davantage les masques mortuaires et laissent penser que chacun de ces bustes représenterait des ancêtres défunts, membres d’une haute lignée.
Ces œuvres rappellent celles retrouvées à Paule (1988-1992), à 70 km de Trémuson, près de Rostrenen, au sud-est de Carhaix, dans les Côtes-d’Armor, dont le fameux personnage à la lyre, interprétées comme les effigies de membres de l’aristocratie destinées à perpétuer la mémoire et la grandeur de la famille. Ces sculptures constituent aujourd’hui pour certaines des références de l’art celtique.
Le buste barbu de Trémuson a les mêmes proportions que les sculptures de Paule ; dans les deux cas, les bases des statues sont brutes, non travaillées. Ces statuettes ne pouvant être posées, il semble plus vraisemblable qu’elles étaient destinées à être enchâssées dans un support ou fichées dans un matériau meuble, tels des bustes sur socle enterrés. Une hypothèse, en référence à certaines traditions connues dans les arts premiers, serait celle de représentations de chefs défunts, disposées dans l’autel aux ancêtres de la maison, reliées à la terre, et assurant un lien avec les morts au sein d’un rituel spécifique qui ne nous est cependant pas connu. Leur bon état de conservation indique en outre qu’elles ont dû être relativement protégées des intempéries et ne plaide pas pour une installation en extérieur. Cette pérennisation du mort par la statuaire, relativement rare, devait être l’apanage de l’élite de la société du second âge du Fer. Plutôt que des représentations de divinités, les hypothèses privilégient des effigies d’ancêtres auxquelles un culte restreint au cadre familial pouvait être rendu. En outre, ces témoignages sculptés renvoient à la manière de représenter la figure humaine à la période de l’âge du Fer, ainsi qu’à la manière dont la société gauloise se représentait plus généralement.
Autre signe de richesse de ce site exceptionnel, un petit seau tripode de 20 cm de haut a été découvert, en bois d’if cerclé d’alliage cuivreux ouvragé, avec des décors dont le vocabulaire stylistique rappelle des motifs connus à cette période dans l’Europe celtique (entrelacs, motif zoomorphe). Cet objet est surprenant par ses caractéristiques renvoyant à tout un imaginaire celtique idéalisé, prenant vie de manière inédite à la lumière de cette découverte authentique. Ce seau de rituel ou d’apparat, de par sa taille réduite, devait permettre, lors de banquets, de servir le vin, pur ou dilué avec de l’eau, transporté depuis le bassin méditerranéen dans des amphores, dont des fragments ont aussi été trouvés sur place. Les appliques métalliques décoratives, rivetées et clouées contre la paroi du seau, témoignent d’une grande maîtrise technique. Le plus spectaculaire est sans doute son incroyable état de conservation, quasi identique à l’aspect qu’il devait avoir il y a 2 000 ans et stabilisé grâce à la lyophilisation et une imprégnation en polyéthylène glycol opérées après son étude (réalisées par le laboratoire Arc’Antique, à Nantes).

Un intérêt exceptionnel
Une trentaine de bustes sculptés de ce type sont actuellement connus pour la Gaule (comme par exemple à Nîmes et Alésia), dont 13 ont été découverts en Bretagne, traduisant une spécificité importante du territoire armoricain à la période de l’âge du Fer, mais deux fois seulement (la première fois à Paule, en 1988 ; la deuxième à Trémuson) une telle découverte a été faite dans un environnement archéologique préservé, ce qui permet aux scientifiques de pousser beaucoup plus loin leurs investigations.
L’intérêt de ces pièces exceptionnelles se trouve donc particulièrement renforcé par l’existence d’un contexte, qui permet de donner aux publics tous les éléments de compréhension nécessaires.
De tels objets semblent caractéristiques d’une période que l’on pourrait situer entre la fin du 2e s. et le milieu du 1er s. avant notre ère. La plupart de ces bustes ont dû être sculptés durant le siècle et demi qui a précédé la conquête de la Gaule par César. Il s’agit très vraisemblablement, d’un ensemble relativement homogène par son style et sa chronologie, sans doute réalisé par le même sculpteur.
Une proportion des bustes identifiés en Gaule présente des symboles supposés du courage et de la dignité gauloises (représentation de défunts), ou des attributs de leur rôle au sein de l’aristocratie gauloise, comme une couronne, un poignard, la lyre du barde à Paule ou un torque comme à Trémuson. Ces pièces sont à ce titre des témoignages précieux sur la société du second âge du Fer ainsi que de véritables références de la sculpture gauloise au plan national, voire international, peu d’exemples similaires existant par ailleurs dans les autres pays européens.
Concernant le seau, quelques exemplaires proches ont été découverts du sud de l’Angleterre à la Garonne et jusqu’au Luxembourg, principalement en contexte funéraire (au sein du mobilier de tombes) mais aucun de ce type en Bretagne jusqu’ici.
Les découvertes de Trémuson constituent donc assurément des pièces très rares, dans un remarquable état de conservation, qui devraient trouver prochainement toute leur place dans le parcours permanent du musée de Bretagne.
Manon Six.
Mars 2023.
Cette acquisition a été rendue possible grâce au Fonds régional pour les acquisitions des musées de France (FRAM – Région Bretagne), au Fonds du patrimoine (État-Ministère de la Culture), au mécénat du groupe Yves Rocher et à la mobilisation du budget d’acquisition du Musée de Bretagne, fonds attribués par Rennes Métropole.
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