La Veuve Vagneur, photographe et éditrice

Jusqu’à très récemment, la pratique de la photographie au 19e siècle par les femmes était considérée comme exceptionnelle et peu reconnue. Nous savons désormais que selon leurs milieux socio-économiques, des femmes photographes ont développé une pratique professionnelle, qu’elles ont contribué à l’utilisation de nouvelles applications commerciales et artistiques de la photographie, et, par là-même ont transformé l’expérience photographique du grand public. Il s’agit souvent de femmes dont l’état civil de veuve ou divorcée étend amplement leur liberté d’action, comme pour Angélique Aublin, connue sous le nom de Veuve Vagneur.

Une spécialiste de la reproduction photographique

En avril 1855, à peine six ans après son mariage, Angélique Aublin (1822-1887) perd son époux, alors qu’il était interné à la Maison de Santé de Charenton. Aucune information précise n’apparait sur elle. Il faut attendre l’Annuaire-almanach du commerce de 1870 pour apprendre qu’elle est photographe portraitiste, 19 rue Drouot à Paris. Le studio de la Photographie Drouot a alors un personnel exécutant important. Il est tout à fait possible que ce soit là qu’Angélique ait appris le métier de photographe.

En 1872, elle exerce sous le nom de « Veuve Vagneur », 22 rue Tournefort à Paris. Elle propose essentiellement à la vente des spécialités pour pèlerinage. Elle reproduit par le procédé photographique des images pieuses : portraits de saints, apparitions du Sacré-Cœur ou de la Vierge Marie, représentations de monuments ou de hauts-lieux de dévotion chrétienne. Depuis les années 1850, la reproduction photographique est une spécialité et un genre très prisé qui assure aux photographes une activité pécuniaire à plein temps et surtout, une notoriété artistique incontestée. Il fallait cependant répondre aux exigences de l’art et du commerce et produire des images de qualité à prix abordables : les photographes proposaient généralement les photos-cartes à l’unité, à choisir dans des catalogues, pour la somme de 1,50 francs. Des collectionneurs de photos-cartes s’abonnaient pour 2 francs hebdomadaire afin de recevoir une photo-carte accompagnée d’une plaquette explicative ou, dans le cas des images pieuses, d’une prière.

Souvenir de Sainte Anne d’Auray / Propriété de la Basilique « Souvenir du 27 aout [sic] 1899 », Veuve Vagneur photographe – Marque du Domaine Public – Collection musée de Bretagne, Rennes
Angélique Aublin a photographié une gravure originale de la Chapelle de Sainte Anne d’Auray exécutée en 1870 par Henri Louis Joseph Nyon (1823-1888) d’après le dessin de l’architecte Édouard Deperthes (1833-1898).

En 1875, Angélique Aublin est rendue coupable du délit de contrefaçon à la suite d’une plainte de la maison d’art religieux Bonasse-Lebel. La police saisit chez elle les clichés ayant servi à la reproduction des images créées par l’imagier et elle est condamnée à 100 francs d’amende et à 100 francs de dommages-intérêts. Rappelons que si la reproduction photographique d’œuvres peintes, gravées ou lithographiées a ouvert la voie de l’édition aux photographes, le procédé était bien encadré, car la loi du 17 février 1852 protégeait de la reproduction photographique toutes œuvres.

Une éditrice de souvenirs

En 1877, la Veuve Vagneur exerce 171 rue Saint-Jacques à Paris. En 1879, sa publicité précise qu’elle propose de la photographie microscopique, procédé utilisé pour produire « un grand nombre d’images ayant un millimètre carré environ […] représentant divers sujets, paysages, tableaux, gravures, etc. » Ces vues sont séparées une à une et collées à l’extrémité plane d’un petit cylindre de cristal dont la surface opposée est travaillée en forme convexe, de manière à former une très forte loupe dite Stanhope, du nom de son inventeur Lord Charles Stanhope (1753-1816). L’ensemble est généralement monté sur des médaillons, des porte-plumes, des chapelets, des petites lorgnettes, ou autres breloques de toutes formes qui sont vendus dans les bazars, les bains de mer, les villes d’eaux et de pèlerinage.

En parallèle, elle édite des « vues de Bretagne en tous formats ». L’image de la Bretagne n’est plus alors seulement véhiculée par l’écrit et les estampes auprès d’un public érudit et bourgeois : la photographie contribue désormais à faire connaître la province à un public plus large, à Paris, comme objet de collection, mais également localement, comme produit touristique. Angélique Aublin imite ici certains de ses confrères parisiens, comme Casimir Ferdinand Carlier (1829-1893) qui vendait déjà depuis quelques années des vues de Bretagne et des clichés des costumes locaux. Ferdinand Carlier avait constitué cette collection de photographies quand il exerçait à Vannes, 16 place Napoléon, dans les années 1850-1860. Il avait quitté le Morbihan pour Paris en 1869.

Bien que photographe, la Veuve Vagneur constitue sa collection de vues de Bretagne grâce aux travaux d’autres confrères. Elle n’est donc pas l’auteure de l’ensemble de sa collection, mais bien l’éditrice de photographies, qu’elle vend ou fait vendre – le plus souvent par des libraires -, sous la forme de cartes en format cabinet, en grand format sur feuille cartonnée, voire sous la forme de cartes-stéréo.

Lorient – La Bôve « 27 juillet 1879 », photo-carte éditée par la Veuve Vagneur – Marque du Domaine Public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Certaines photo-cartes de sa collection ne portent pas son nom ou seulement les initiales « VV ». En l’absence de signature, il est difficile de dire qui sont les photographes, cependant il est possible d’en identifier certains, en particulier ceux qui ont photographié des costumes : en effet, ils vendaient, à leur nom, les mêmes clichés. Ainsi, l’artiste-peintre de tableaux et d’objets mobiliers François Ernest Corroller (1822-1893) est l’auteur de portraits en costumes du pays de Lorient et du sud Finistère, parfois réhaussés de couleurs. Jusqu’en août 1887, il vit 2 rue du Commerce à Lorient et il enseigne le dessin au lycée de la ville.

Josselin, photo-carte d’une femme en costume éditée par la Veuve Vagneur, exemplaire colorisé – Marque du Domaine Public – Collection musée de Bretagne, Rennes

Indéniablement, la Veuve Vagneur a su profiter de la diversité des applications possibles du médium photographique pour participer au commerce des objets et images souvenirs de plus en plus demandés à l’heure où le tourisme et les pèlerinages sont favorisés par l’expansion des réseaux ferrés et routiers.

Sophie Chmura.

Avril 2023.

1 réflexion sur “La Veuve Vagneur, photographe et éditrice”

  1. Ping : À PROPOS – HISTOIRE, PATRIMOINE ET IMAGES

Laisser un commentaire