Rose Le Terrien, connue sous le nom de Veuve Fougère, est une éditrice et photographe morlaisienne qui a exercé au tournant du 19e siècle, durant une période où l’image est plus que jamais devenue un moyen pour faire connaître le patrimoine breton et sensibiliser à sa protection.
Le patrimoine breton en images pour héritage
En 1898, Rose Le Terrier (1836-1920) prend la tête du studio la Photographie du Grand Café de la Terrasse, place Thiers à Morlaix.

Cela faisait presque vingt ans qu’elle travaillait avec son mari, Jean-Baptiste Fougère (1863-1898). Ils avaient ouvert, vers le début des années 1880, leur premier atelier rue Bourret, dans la même ville, sous le nom de La Photographie Bretonne. Photographes portraitistes, ils géraient une succursale à Landivisiau. Jean-Baptiste Fougère était reconnu pour ses vues de Bretagne composées de clichés de « sites grandioses et pittoresques, de monuments curieux et typiques ». Il avait d’ailleurs reçu une médaille de bronze en 1887 pour ses photographies prises au Huelgoat, à Saint-Herbot, Plougastel et Saint-Thégonnec. En 1894, il avait gagné une médaille d’or à l’exposition industrielle et commerciale de la région de l’Ouest à Moncontour pour « ses beaux clichés des monuments bretons »[1]. À sa mort, il laisse à son épouse un fond d’images à exploiter dont la qualité est résumée en trois lignes à l’arrière de leurs photo-cartes : « Monuments Historiques / Vues-Sites / & costumes de Bretagne ».
Photographe et éditrice
Rose Fougère profite de l’attrait du public pour les costumes et les types locaux. Elle met en vente des photo-cartes de format 10 x 13 cm qui présentent 30 costumes bretons. Ces photographies composites obtenues comme les photos-mosaïques d’André Disdéri (1819-1889), étaient clairement destinées aux touristes. Disdéri, qui avait breveté le procédé du portrait au format carte de visite le 27 novembre 1854, avait déposé celui de la carte photo-mosaïque le 23 avril 1863. Les photos-mosaïques étaient obtenues en assemblant des sujets photographiés séparément. Rose Fougère a utilisé des photographies au format carte de visite des années 1860-1870 de divers autres photographes bretons dont Joseph Villard (1838-1898) qui exerçait rue des Gentilshommes à Quimper et Eugène Foulquier (1801-1899) qui avait un atelier 20 rue du Parc à Quimper.

Au début des années 1900, elle travaille comme photographe-éditeur sous le nom de Veuve Fougère et vend des albums de vues de la ville de Morlaix, des plaquettes photographiques de petit format imprimées chez Delagrange et Magnus à Besançon, ainsi que des cartes postales sous la mention Collection Fougère ou Vve Fougère. Phot. Morlaix. Elle fournit en parallèle des clichés à l’éditeur et photographe Auguste Germain (1868-1907) de Saint-Malo, connu pour sa série de cartes postales Côte d’Émeraude, et au Briochin Armand Waron (1868-1956), créateur de la série La Bretagne Pittoresque.
Outre la diffusion de vues, de sites et de monuments historiques, clichés pour la plupart issus du fonds photographique de son mari, elle se spécialise dans la photographie de portrait en atelier, plus particulièrement dans les types bretons de Morlaix et de ses environs. Les séries de cartes postales La Bretagne Pittoresque et des Types Bretons de Waron lui doit d’ailleurs plusieurs illustrations comme la Vieille Porteuse d’eau de Morlaix. Les vieilles porteuses d’eau, surtout quand elles fument la pipe, ont vite été perçues comme des figures pittoresques de la Bretagne et nombre de photographes et d’éditeurs de cartes postales des deux premières décennies du 20e siècle vont s’intéresser à elles.

Le Vieux Morlaix
La Veuve Fougère invente ses propres séries de cartes postales dont une sur Le Vieux Morlaix qui se compose en partie de reproductions de lithographies du 19ème siècle, dont la plus connue est celle du Pavé, « naguère le quartier où semblait revivre le XVe siècle […] disparu sous le marteau du démolisseur »[2]. Dans les années 1830, l’Inspecteur des Monuments Historiques Prosper Mérimée (1803-1870) stipulait que « plusieurs tableaux et des lithographies ont déjà fait connaître quelques rues de Morlaix ». En 1842, Eusèbe Girault de Saint-Fargeau (1791-1855) précise dans son Guide pittoresque qu’« on voit encore, dans plusieurs quartiers, des façades ornées de sculptures, et des intérieurs très remarquables, dont plusieurs ont été reproduits en lithographies par MM. Rouargue et Saint-Germain ». Ce sont ces fameuses gravures d’Adolphe Rouargue (1810-1884) et Prosper Saint-Germain (1804-1875) que Rose Fougère publie.

À travers son utilisation d’œuvres anciennes représentant les vieilles rues ou les rues disparues, Rose Fougère témoigne d’une très grande sensibilité patrimoniale vis-à-vis du bâti ancien, sans doute influencée par son mari qui avait été un des membres correspondants de la Société des Monuments Parisiens après 1894, association qui plaidait en faveur de la protection de la ville ancienne et pour la sauvegarde de demeure comme la maison dite de la Duchesse Anne à Morlaix.

Rose et Jean-Baptiste Fougère ont connu les transformations de Morlaix et de ses environs, mais aussi les premiers classements et actes de sauvegarde des bâtiments les plus emblématiques de ce territoire. Rose a continué et enrichi le fond photographique de son mari pour faire connaître un patrimoine breton en voie de disparition. Elle a mis en avant dans ses créations le pittoresque, notion constituant un des fondements historique et culturel de la sauvegarde du bâti.
Sophie Chmura.
Mai 2023.
[1] La Résistance, 22 septembre 1894.
[2] Daumesnil (J), Histoire de Morlaix, Morlaix, A. Lédan, 1879, p. 506.
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