Équilibre – partie 3

Dans le cadre de la résidence d’expérimentation de Yann Peucat au Musée de Bretagne de février 2022 à juin 2023, l’exposition permanente accueille le projet : Le « Voyage Fantastique ».

À partir de photographies choisies dans les collections du Musée de Bretagne, le photographe rennais Yann Peucat crée de nouvelles images, mêlant réalité et fiction, et compose un portrait fantasmé, drôle et décalé, de la Bretagne.

Cette exposition temporaire a donné lieu à un travail de co-construction autour de la rédaction des cartels lors d’ateliers. Découvrez tout au long de l’été l’imaginaire et la créativité des participants ayant contribué à faire vivre les créations de Yann Peucat de manière parfois inattendue, mais toujours sensible.

Ces ateliers d’écriture ont été menés en partenariat avec la maison du livre de Bécherel et Virginie David.

Et si, ça ne tenait qu’à un fil …

Cette photographie est un autoportrait de la célèbre ac­trice Sarah Bernhardt.

Ce cliché réalisé dans l’intimité de la grotte de l’Apothicairerie à Belle-Ile-en-Mer, nous laisse entrevoir la sensibilité, voire la fragilité, de l’artiste dont le jeu ne tient parfois qu’à un fil. Spectacle à la mesure des forces de la nature, le photographe nous offre une mise en scène ouverte sur le monde.

Série Les équilibres – Yann Peucat, Tirage noir et blanc, CC BY-SA-NC
 Source – Collection Musée de Bretagne – La grotte de l’Apothicairerie sur la côte sauvage, Belle-Ile-en-Mer (Morbihan), Anonyme, vers 1890-1900, Marque Domaine Public

Par Alexandra :

Je laisse flotter mon corps bancal entre deux tableaux. C’est nouveau. D’habitude, je ne suis pas calme. Quelle sensation étrange, pour moi qui suis feu et révolution. Je m’imprime en noir et blanc. Je me vois comme un fantôme au-dessus de l’océan. Où est ma terre ? Ma terre-emblème. Je suis légère. Légère comme un rire. Comme une seconde qui s’enfuit. Je voudrais accrocher des balançoires à mes paupières. Je ne supporte plus l’immobilité. Je viens de peindre mes trente-sept ans, de diluer mon espoir encore fleuri. Certains me reprochent peut-être de livrer l’intime. Mais c’est le sujet que je connais le mieux. Je témoigne de ce qui me traverse, de mes métamorphoses intérieures. Je suis belle, je suis abîmée. Je suis un soleil rouge. Ma vie n’est pas paisible, elle est sans cesse bousculée. Elle rugit. Elle est agitée, elle est mouvement. J’ai des choses à dire. Je peins ma réalité. Je me balance. Je m’en balance. L’œuvre d’art n’a pas un sens en soi, unique. Elle est polymorphe. Elle parle plusieurs langues. Elle s’habille de couleurs. Je m’apaise. Le vent. Ma robe. Il m’appelle. Je me retourne. Mon amour…

Par Virginie :

Je regarde mon dernier tableau.

Ce reflet de moi au réveil, dans le miroir. Je ne me reconnais pas. On dirait une nature morte.

Tout est lourds et immobile

La chevelure épaisse et tombante

Le regard fixe sans flamme, presque rien

La bouche fermée figée

Je suis déçue. L’œuvre d’art n’est jamais fidèle à son créateur.

Je me souviens pourtant ce matin-là, tout était léger, je me sentais libre comme mes cheveux, souple comme des branches de saule.

Ressenti tellement rare et précieux pour moi, coincé dans ce corps corseté que j’ai voulu l’immortaliser.

J’émergeais d’un rêve merveilleux. J’étais une jeune femme svelte souple comme un roseau, me balançant au-dessus des vagues qui m’envoyaient des embrunsades (des baisers d’écumes) dans le creux d’une falaise à Crozon caressé par une brise printanière douce et tiède

Je voulais me rappeler cette sensation, que cette toile la ravive intérieurement.

(Dé) tromper tout le monde : quoi qu’enfermée dans cette chambre alitée, je m’évade dès que possible, une vraie fille de l’air ! 

Où est la vérité, dans ce que vous voyez de moi ? dans ce que je vois avec mon regard intérieur, mon troisième œil, celui de l’âme ?

Je m’interroge

L’intimité serait-elle plus vrai que l’apparence ?

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