Vitrines photographiques en Bretagne – Une série de 24 diptyques et une installation du photographe Mathieu Pernot

Mathieu Pernot est un photographe qui aime l’archive photographique. Comme il se plait à le dire, elle nous ramène à un monde aujourd’hui disparu, celui des studios photos, du médium argentique, époque que lui-même a connu au moment de ses études et du début de sa carrière de photographe.

Lorsque nous nous rencontrons, il vient de faire l’acquisition d’un lot de tirages argentiques, montrant des vitrines de studios et magasins de photographies en Bretagne et dans l’Ouest de la France. Il a un projet d’enquête, qui pique notre intérêt.

De cette relation au long cours naissent plusieurs projets reliés entre eux : une résidence et le commissariat de l’exposition La vie en photographie, un livre aux éditions Gwinzegal et la création d’une série photographique Vitrines photographiques, dont une grande partie entre aujourd’hui dans les collections du Musée de Bretagne.

Exposition La Vie en photographie – CC BY SA, cliché A. Amet – Photothèque Musée de Bretagne, Rennes

L’enquête


En 2014, Mathieu Pernot acquiert un lot de tirages argentiques couleur 9X9cm sur e-bay, montrant des vitrines de studios et magasins de photographies en Bretagne et dans l’Ouest de la France. Cet ensemble, anonyme, probablement réalisé par un représentant de l’entreprise Kodak en 1965, constitue un témoignage précieux sur la présence de ces commerces sur l’ensemble du territoire, des grandes agglomérations aux petits villages.
C’est aussi le point de départ d’une enquête pour retrouver la trace de ces lieux, héritiers des premiers studios créés dans la seconde moitié du 19e siècle. À l’heure de notre société numérique, ils sont le symbole d’un âge d’or du métier de photographe, le reflet d’une époque où le médium photographique avait un usage social et commercial et dans lequel chaque image était inscrite dans la matérialité d’un support.
L’enquête débute à Lamballe en 2015 ; l’opportunité de prélèvement de ce qui constituait une vitrine de studio, avec ses nombreuses enseignes, se présente, alors que le studio Lauzanne, situé 8 rue Charles Cartel est en passe d’être vendu. Ce studio a une histoire caractéristique de celle de nombreux studios établis en Bretagne au 20e siècle : un commerce familial, une transmission de génération en génération, un âge d’or et un déclin. En cessation d’activité depuis 2008, le studio appartenait à Jacques Lauzanne, photographe-portraitiste à Saint-Brieuc. Son grand-père paternel Augustin Lauzanne était photographe à Auray. Son père Michel Lauzanne et son épouse étaient également photographes professionnels à Bégard puis à Lamballe.

Héritiers des premiers studios qui virent le jour dans la deuxième moitié du 19e siècle, ces magasins incarnaient un âge d’or du métier de photographe qui proposait son savoir-faire pour couvrir un champ large des représentations nécessaires à la société du moment. Si l’activité de photographe constituait un métier en soi, ces vitrines nous montrent qu’il était possible d’associer cette profession à celles de cordonnier, horloger, bijoutier, opticien, coiffeur ou vendeur d’objets souvenirs. On se plait alors à imaginer le passage d’une cliente du salon de coiffure à l’atelier de prise de vues ou bien du modèle portant à ses pieds les magnifiques chaussures achetées dans le même commerce.

Mathieu Pernot.

Avant/après


Que sont-ils devenus ? Telle est la question à laquelle Mathieu Pernot voulait répondre, par un travail d’enquête en archives, via les annuaires des PTT, puis sur le terrain, en confrontant les images de 1965 à celles d’aujourd’hui, utilisant pour ses propres prises de vue le même cadre que celui du photographe anonyme de 1965. Il part ainsi sur les routes de Bretagne, avec de premiers repérages en 2015-2016 : à Saint-Quay-Portrieux, la façade jaune a été repeinte en blanc et le commerce s’est transformé en habitation ; à Tréguier, le studio Janvier, comme celui de Lamballe, a fermé mais possède encore son enseigne tandis qu’un second s’est transformé en épicerie. En 2021-2022, la résidence de création permet de déployer le travail sur toute la Bretagne : de Dol-de-Bretagne à Pont-l’Abbé, de Brest à Nantes en passant par Lesneven. Petites villes et grandes métropoles font partie de cet itinéraire photographique dont la finalité est de garder trace de cette mémoire par la photographie, une fois de plus. La boucle est bouclée.

Lorient 1965-2021, Mathieu Pernot – © Tous droits réservés – Collection Musée de Bretagne


Aujourd’hui, la plupart de ces studios ont disparu et sont devenus des salons de coiffure, des boutiques d’optique, des agences immobilières ou des banques. Sur la trentaine de sites identifiés, seuls deux d’entre eux ont conservé une activité photographique, les studios Le Boux à Redon et Le Port à Quiberon. Parmi ces vitrines figurent celle dans laquelle a travaillé Anne Catherine à Redon et dont le fonds est conservé au Musée de Bretagne ou celle de Félix Le Garrec à Plonéour-Lanvern. Quant au studio Lauzanne à Lamballe, les héritiers ont donné le fonds photographique aux archives départementales des Côtes-d’Armor.

Une série à double statut, entre valeur artistique et nouvelle archive


Au vu de cette production inédite, le musée décide en concertation avec l’artiste de l’acquisition de 24 diptyques de la série, comprenant une image « vintage » (tirages chromogènes à partir de négatifs, v.1965) et une photographie prise par Mathieu Pernot de cette même vitrine, aujourd’hui. Ces diptyques sont complétés par une installation, un triptyque et un ensemble d’enseignes Kodak prélevées par Mathieu Pernot au moment de la fermeture du magasin de Lamballe.
Cet ensemble de diptyques et l’installation d’enseignes sont des pièces uniques et non reproductibles.

Lamballe, 1965-2021, Mathieu Pernot – © Tous droits réservés – Collection Musée de Bretagne


Cette acquisition permet de consolider la politique d’acquisition régulière en matière de photographie contemporaine, inscrite comme un axe majeur dans le projet scientifique et culturel du musée. La thématique de cette série, et plus généralement le travail de Mathieu Pernot fait pleinement écho aux collections photographiques du Musée de Bretagne : l’histoire de la photographie en Bretagne, le processus de patrimonialisation (de la photographie commerciale à la photographie, comme patrimoine et bien commun), l’histoire des Bretonnes et des Bretons, une histoire intime, familiale, qui devient une histoire de la Bretagne.

« Aujourd’hui relégués à une forme de pratique archaïque du portait, ces ateliers photographiques furent pendant plus d’un siècle le miroir d’une société qui avait besoin de photographes pour se représenter ».

Mathieu Pernot.

La série est complétée par une installation, constituée avec les enseignes du magasin Kodak de Lamballe, prélevées dans leur contexte d’origine, le Studio Lauzanne à Lamballe. Cette installation s’apparente à une forme de ready-made, le souhait de l’artiste étant de conserver cet environnement et les traces de son enquête (là où tout a commencé) et non de leur conférer un statut d’objet historique.
Les contacts pris avec le musée de la photographie Nicéphore Niepce de Chalon-sur-Saône ou l’association CECIL qui travaille autour du patrimoine de l’entreprise Kodak nous confirment que ces ensembles sont relativement rares, notamment du fait qu’ils sont ici complets et possiblement documentables. Le Musée de Bretagne n’en possède pas, ni aucun musée en Bretagne à notre connaissance. Un travail de restauration a alors été entrepris avec une restauratrice spécialisée.
Mathieu Pernot est très largement présent dans les collections nationales, au Musée national de l’histoire de l’immigration, au Musée national d’Art moderne, au Centre national des arts plastiques et dans divers fonds régionaux d’art contemporain. On trouve des séries photographiques plus anciennes dans ces collections, tels Le grand ensemble, Les migrants, Les Gorgan et divers projets issus de commandes publiques.

Céline Chanas.

Septembre 2023.

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