Dans les années 1970, un maçon chargé de remettre en état une maison vide, rue des Roches à Acigné (Ille-et-Vilaine), trouve par hasard, caché sur une poutre sous le toit, une boite de plaques photographiques. Cette modeste maison, aujourd’hui disparue, avait été rachetée par la commune, qui voulait y faire quelques travaux. Ne sachant qu’en faire, le maçon ramena la boite chez lui et l’oublia.
En 2019, se rappelant l’existence de cette boite dont il n’avait pas identifié le contenu, il la donne à Acigné Autrefois, association qui se consacre à l’histoire et au patrimoine local. En 2023, l’association en fait don au Musée de Bretagne, où elle rejoint les riches collections photographiques.

De précieux clichés originaux
En examinant les 15 plaques, on y trouve majoritairement des portraits individuels ou de groupe, surtout des ecclésiastiques. Deux photographies de paysage se distinguent du lot. Elles correspondent à deux tirages papiers déjà connus à Acigné et représentant le bourg vers 1900. Ces tirages d’origine inconnue, de médiocre qualité, étaient cependant de précieux et uniques témoignages photographiques du centre-bourg à cette époque, avec l’ancien pont et l’ancienne église. On a donc retrouvé avec satisfaction les originaux, d’excellente qualité cette fois.

La boite de plaques, de l’entreprise Lumière de Lyon, fait mention d’un prix obtenu en 1889 à l’Exposition universelle. Sur la photo où l’ancien pont apparaît, l’amorce du nouveau pont semble déjà présent, à gauche. On se situe donc avec certitude entre 1889 et 1904. Difficile de préciser au-delà.
Enquête de terrain à Acigné
Mais, d’où sortent ces plaques ? Le mystère restait entier. C’est là que débute l’enquête, en commençant par interroger des Acignolais de souche. Savez-vous qui occupait cette maison autrefois ?
On se rappelle qu’une demoiselle Mélisson, couturière et célibataire, y habitait. Elle avait deux frères prêtres, revenus à leur retraite dans leur ville natale, dans les années 1940. Ils étaient discrets, assistant dans un coin du chœur aux offices religieux dans l’église paroissiale toute proche de leur domicile. La piste semble bonne compte tenu des nombreux ecclésiastiques présents sur les plaques.
On nous signale une tombe Mélisson au cimetière. Ce ne sont pas deux mais trois abbés Mélisson qui y sont enterrés : Albert, Édouard et Julien, sans aucune autre précision. D’ailleurs, en y regardant de près, on voit trois prêtres en soutane qui posent sur le pont de la photographie plus haut. Les choses se précisent.
Une Acignolaise, au courant de cette trouvaille, nous montre les plans de sa maison, située juste en face celle où ont été trouvées les plaques. Ces plans datent de 1928 et indiquent qu’elle a été construite pour des abbés Mélisson. La précédente propriétaire de cette maison lui avait expliqué que ces prêtres l’avaient construite pour leur retraite.
On lance sur la piste Mélisson une passionnée de généalogie. Coup de chance, il n’y a qu’une famille Mélisson à Acigné à la fin du 19e siècle et qui habite justement rue des Roches. Le couple Mélisson a eu 9 enfants entre 1860 et 1878, dont 7 ont survécu. Le père, Jean-Marie, est qualifié de tisserand, épicier et commerçant, tandis que la mère, Julienne, est cultivatrice, épicière et commerçante.
Retour à l’examen de la boite de plaques photographiques. Une d’elle est particulière. De toute évidence, c’est la photographie d’un tirage papier plus ancien, représentant une famille avec sept enfants. La composition de la fratrie sur la photographie est parfaitement conforme aux données généalogiques. Compte tenu de l’âge présumé des enfants sur le cliché, on peut même dater celui-ci de 1872 ou 1873, ce qui en fait la plus ancienne photographie acignolaise connue.
Tout concorde et le mystère de l’origine de cette boite est élucidé : elle a pour origine la famille Mélisson. La fille, seule et unique dans cette fratrie, prénommée Françoise-Augustine, avait occupé la maison de la découverte et y avait laissé la boite.

L’envie d’en savoir plus
Quand aux trois prêtres, la généalogiste nous apprend qu’Albert est décédé en 1937, tandis que les deux autres, Julien et Édouard, sont décédés tous deux en 1949. Ce sont ces derniers qui avaient pris leur retraite à Acigné et dont on se souvenait. La famille Mélisson n’a pas eu de descendance à Acigné et n’ayant pas trouvé de contacts avec la famille plus éloignée, ce n’est pas une voie pour en savoir plus.
Peut-être aurons nous plus de succès en explorant des archives religieuses ? Deux sources sont à notre portée. Les bulletins paroissiaux mentionnent épisodiquement des nouvelles relatives aux religieux issus de la paroisse et ils sont feuilletés. Rendez-vous est pris également aux archives diocésaines de Rennes, où l’archiviste nous oriente vers les ordos diocésains, des registres annuels où figurent les affectations de chaque prêtre et les mouvements. Grâce à ces recherches, on découvre qu’il n’y avait pas trois mais quatre religieux dans la fratrie. En sus d’Albert, Julien et Édouard, l’aîné, Jean-Marie a été frère des Écoles chrétiennes, en poste en Vendée. Quant aux trois prêtres, ils ont exercé leur sacerdoce dans différentes paroisses d’Ille-et-Vilaine.
L’examen des plaques, par recoupement, permet d’identifier à peu près ces trois prêtres sur les photographies.

Deux édifices inconnus figurent sur les plaques : l’intérieur d’une église et l’extérieur d’un bâtiment également d’allure religieuse. Pour ce dernier, la chance nous sourit. Me rendant à l’EHPAD de Marcillé-Robert pour une raison totalement indépendante, je passe devant un bâtiment qui a l’allure de celui représenté sur la photographie. Revenant photographie en main, c’est lui sans ambiguïté.

Sur les plaques photographiques, il y a aussi des sœurs, en groupe ou seules. Peut-être y-a-t-il un rapport avec cet hospice ? Renseignement pris auprès de la direction de l’EHPAD, il s’agissait alors des Sœurs de Rillé. Contactant cette congrégation, à qui j’envoie les photographies des sœurs, à la vue de leurs habits on m’indique qu’il ne s’agit pas de sœurs de Rillé mais plutôt de tenues de Sœurs de Gacé (congrégation créée dans l’Orne et qui avait essaimée en Bretagne). Cette congrégation a fusionné avec celle du Sacré-Cœur-de-Jésus de Saint-Jacut-les-Pins. Contactée et après envoi des photographies, l’archiviste de cette dernière congrégation le confirme et des sœurs reconnaissent même trois de leurs anciennes collègues disparues.
L’enquête est close ?
En démarrant cette enquête, finalement étalée sur de nombreux mois mais sans se presser, nous n’aurions pas cru pouvoir dérouler l’écheveau aussi loin. Rapidement, cela devient un jeu de tirer les fils les uns après les autres. Comme pour un mot croisé, chaque découverte ouvre d’autres portes. Et puis, travailler sur des photographies est facilitateur. Les montrer ou les envoyer à des indicateurs potentiels intéresse tout de suite. C’est aussi un donnant-donnant naturel : vous bénéficiez des photographies et on bénéficie de vos informations.
Reste quand même quelques inconnus. Par exemple, malgré avoir scruté beaucoup de photographies d’intérieur d’églises d’Ille-et-Vilaine, le cliché ci-dessous n’a pu être identifié.

Habituellement, les boites de plaques photographiques, des négatifs, restaient chez les photographes professionnels qui avaient réalisé ces clichés. Si la famille Mélisson disposait de cette boite, c’est peut-être que l’un des membres de la famille était équipé d’un appareil. Ce n’est pas banal, surtout autour de 1900.
Si des membres de la famille Mélisson issus d’Acigné découvre cet article, peut-être pourront-ils apporter un éclairage complémentaire sur ce point et bien d’autres.


La même vue, vers 1900 sur les plaques Mélisson et sur une carte postale, peut-être une vingtaine d’années plus tard. Les changements ont été importants. Il est plaisant d’imaginer que les trois prêtres de la carte postale sont peut-être les trois frères Mélisson qui reviennent faire un tour au pays. Mais il s’agit bien plus probablement du curé et de ses deux vicaires.
Jean-Jacques Blain, président de l’association Acigné Autrefois.
Septembre 2023.
Merci à tous les contributeurs à cette enquête : Michelle Lapeyre, Patricia Legrand, Marie-Thérèse Simonneaux, Dominique Talidec, Jean-Alain Delahaye, René Duclos, Daniel Pasco, le responsable des Archives diocésaines de Rennes et les archivistes des Sœurs de Rillé et des Sœurs du Sacré-Cœur-de-Jésus, …
Bonsoir,
Merci de nous transmettre toutes ces informations sur l’histoire d’Acigné.
Je pense que l’intérieur de cette église est celle de Bréal-sous-Vitré :
https://cartorum.fr/carte-postale/54312/breal-sous-vitre-ille-et-vilaine-interieur-de-leglise/creation
Quant à la famille Mélisson, cela me concerne un peu. J’ai des aïeux Mélisson, du côté de ma mère qui ont vécu à Acigné au XVIIe siècle et avant. Il y a forcément un lien très lointain (étude généalogique à faire…). Ma branche familiale a émigré par la suite vers Servon – Châteaugiron – Domloup – Nouvoitou.
Cordialement.
Joël Pouteau
Bonsoir,
Effectivement, c’est bien la même église. Bravo pour votre perspicacité. La carte postale est un peu plus récente, ce qui est logique, et le choeur de l’église s’est chargé sur cette dernière de quelques pièces supplémentaires, comme une statue de Jeanne d’Arc ou un lustre plus volumineux. Mais, pour le reste, c’est bien la même église. Pourquoi cette église est-elle photographiée ? Très vraisemblablement parce que Édouard, un des frères Mélisson y a été vicaire entre 1893 et 1895, information indiquée dans les Ordo aux archives diocésaines à Rennes, que j’avais consulté lors de l’enquête. Il n’y est donc resté que 2 ans, avant d’être nommé comme vicaire à la Guerche-de-Bretagne en 1895. Cette observation permet de dater plus précisément les plaques, entre 1893 et 1895, soit un peu plus tôt que je ne le pensais.
Merci beaucoup de votre contribution,
Jean-Jacques Blain