L’art urbain entre au Musée de Bretagne – Photographies d’Alain Amet

Alain Amet, photographe au musée de Bretagne, développe une pratique documentaire et artistique personnelle depuis une vingtaine d’années. Inspiré par les démarches diverses de photographes tels Dorothea Lange, William Eugene Smith, Richard Dumas, Sebastiao Salgado, Raymond Depardon et bien d’autres, il s’intéresse rapidement au reportage et à la photographie humaniste, sociale, permettant de témoigner des activités des personnes qu’il rencontre. Présent sur les chantiers de construction depuis l’enfance, son père étant maçon, basé à Rennes, il développe un regard particulier sur les paysages, les sites et bâtiments urbains et leur matérialité propre (aspects minéraux, métal, zones en friche…). Il explore l’art urbain à la suite d’une première rencontre en 2016 avec l’artiste La rouille, avant de démarrer un vaste reportage sur plusieurs années dédié aux œuvres d’art urbain, à Rennes et dans plusieurs villes de Bretagne et d’ailleurs (Paris, Gand, Bruxelles…).


Peinture murale de Sozyone et Jaba, Alain Amet, Saint-Malo, 2017
© Copyright-Tous droits réservés – Collection Musée de Bretagne, Rennes

Ses photographies sont réalisées autant selon un mode itinérant d’exploration, de balade dans des lieux plus ou moins accessibles et confidentiels (bâtiments à l’abandon, espaces publics…), que grâce à une connivence gagnée progressivement avec les artistes, dont bénéficient peu de photographes en Bretagne aujourd’hui. La prise de vue implique notamment un travail de longue haleine, à des horaires décalés, le soir, parfois la nuit. Il a suivi plus particulièrement les artistes La rouille, FZR Sethi, et WAR ! avec qui il collabore régulièrement depuis la première exposition personnelle de ce dernier « Vivons heureux, Vivons tâchés » en novembre 2016.

Peinture murale de La rouille et FZR Sethi, Alain Amet, Bourg des Comptes, 2016
© Copyright-Tous droits réservés – Collection Musée de Bretagne, Rennes

La relation entre photographie et street-art n’est pas nouvelle, elle est devenue progressivement une étape intégrée dans le processus de création de certains peintres (travaillant en amont à partir de l’image d’un projet, gardant en-tête le potentiel photographique de l’œuvre à venir…) et elle induit bien-sûr un arrêt sur image inédit et une trace conservée pour ses œuvres traditionnellement destinées à être éphémères, recouvertes, dégradées… L’acquisition réalisée par le Musée de Bretagne résulte de la considération de ce travail entre 2016 et 2020 (le reportage se poursuit encore aujourd’hui), réalisé essentiellement en numérique, avec une recherche de représentativité entre artistes locaux, styles et modes d’expression, sites urbains concernés (Rennes étant la ville la plus représentée dans son travail), images en noir et blanc et en couleur. Toutes les photographies sont documentées (date de prise de vue, lieu, artiste, contexte éventuel).


Peinture murale de l’artiste Seth, Alain Amet, Saint-Malo, 2017 – © Copyright-Tous droits réservés – Collection Musée de Bretagne, Rennes

Si bien-sûr la pratique du street-art n’est pas neuve (le mouvement est né dans les années 1960 aux États-Unis), le Musée de Bretagne n’a pas collecté jusqu’ici de matière photographique pour en témoigner à l’échelle régionale. Le constat en a été fait notamment lors de l’exposition « Rennes, les vies d’une ville » en 2018 où les pratiques culturelles urbaines avaient été mises à l’honneur dans le cadre de la programmation. A Rennes en particulier, où l’émergence du street–art correspond aux années 1980, le rôle d’événements culturels pionniers, comme les Trans Musicales, a sans doute été un déclencheur, en invitant dès les années 1990 des graffeurs à s’exprimer pendant le festival. La fondation du réseau urbain d’expression en 2002, sous l’impulsion de la ville de Rennes qui souhaitait alors limiter les tags, a constitué également une étape. A cette période, un groupe rennais,le Rennes City Kid, avait souhaité montrer qu’on pouvait faire de l’art urbain sans forcément être dans l’illégalité, et avait initié une démarche de médiation originale. En parallèle s’est formée l’association Graffiteam qui a impulsé la première peinture sur le mur du Colombier en 2000, avant qu’un mur, Wall of Fame, soit investi depuis 2013 par les artistes invités dans le cadre du festival Teenage Kicks.


Peinture murale de l’artiste Héol, Alain Amet, Rennes, 2017 – © Copyright-Tous droits réservés – Collection Musée de Bretagne, Rennes

L’Office du tourisme Destination Rennes a développé un programme de visites guidées dans la ville sur le thème de l’art urbain, qui a presque contribué à « sanctuariser » certaines œuvres connues comme autant de repères visuels. La démarche des street-artistes est donc valorisée par la collectivité par le biais du réseau associatif, avec notamment des murs autorisés, à l’image du mur Oberkampf à Paris et d’autres exemples dans des villes françaises (ex : le M.U.R. de Rennes qui propose une performance d’art urbain régulière dans l’année) et des événements portés par les artistes eux-mêmes (Teenage Kicks). Rennes est à ce titre devenue une destination foisonnante pour les amateurs de street-art ou les visiteurs curieux de cette forme d’expression. 


Peinture murale d’Aéro, Alain Amet, Rennes, 2017 – © Copyright-Tous droits réservés – Collection Musée de Bretagne, Rennes

Entre nuisance (certaines surfaces utilisées par les artistes le sont parfois de manière « sauvage ») et véritable mouvement d’appropriation artistique de la ville, le regard sur le street-art a considérablement évolué ces dernières décennies. Certains artistes reçoivent aujourd’hui de nombreuses commandes officielles de collectivités publiques ou d’associations qui tendent à pérenniser leurs œuvres dans l’espace urbain et participent régulièrement à des expositions (l’artiste rennais WAR! était ainsi un des artistes invités de l’exposition Incursions sauvages au Musée de la Chasse et de la Nature à Paris en 2022). Même si le street-art investit des galeries, les artistes conservent néanmoins généralement une pratique hors commandes officielles, propre à leurs parcours individuels. Certains ont fait les beaux-arts quand d’autres sont complètement autodidactes et développent leur travail dans la rue, avant de passer éventuellement à des pratiques picturales sur des toiles. Parmi les artistes rennais, on peut citer entre autres MioShe, Dino Voodoo, Bims, War !, Aero, Brez, Patrice Poch, FZR Sethi…


Peinture murale de l’artiste Aéro, Alain Amet, Rennes, 2018 – © Copyright-Tous droits réservés – Collection Musée de Bretagne, Rennes

De par sa pratique personnelle, Alain Amet est aujourd’hui l’un des photographes ayant l’une des meilleures connaissances du monde de l’art urbain local, qui a conduit le musée à s’intéresser à sa production photographique et à acquérir 50 de ses tirages photographiques.

Manon Six.

Août 2023.

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