Légumes longtemps réservés aux tables de l’aristocratie, artichauts et choux-fleurs deviennent au 19e siècle une des principales richesses du terroir breton, et des produits accessibles à tous. Aujourd’hui, s’ils demeurent des emblèmes de l’agriculture bretonne et de la gastronomie française, ces légumes pourraient bien disparaitre de nos assiettes.

Messieurs, mesdames, achetez et mangez des artichauts !

De prime abord, voilà un cliché banal, pris sur un trottoir à Paris en juin 1960, devant une boulangerie, où quelques badauds patientent calmement devant une remorque chargée d’artichauts qu’ils vont recevoir des mains de deux jeunes hommes. Sur la remorque une banderole explique en grandes lettres que « l’artichaut frais arrive de Bretagne ». Moins connue et moins impressionnante que les photographies prises le 21 juin 1962 à Saint-Pol-de-Léon, cette vue d’une vente sauvage d’artichauts n’en est pas moins un témoignage important des crises rencontrées par les producteurs finistériens au cours du 20e siècle.
La concurrence ou la rançon de la gloire
Vers 1810, Charles Romain Feburier (1764- ?), d’origine brestoise et membre de la Société d’Agriculture de Versailles, croise des variétés d’artichauts vert et violet de Roscoff – caractérisés par leurs très grosses têtes – avec l’artichaut blanc de Laon. Il obtient le camus de Bretagne qui dès les années 1920, est l’artichaut le plus consommé en France. Sa culture est, avec celle du chou-fleur, une des principales richesses du Léon, territoire dont la terre sablonneuse est idéale pour la culture des légumes. Une grande partie de la récolte est alors destinée à la région parisienne. Depuis 1935, la qualité des artichauts de Saint-Pol-de-Léon et de Roscoff, tout comme celle des choux-fleurs, est garantie par la marque « Bretagne ». Malgré cela, en 1949, face à la concurrence d’autres provinces françaises, les producteurs bretons d’artichauts réclament, sans succès, que « le terme artichaut breton constitue une appellation d’origine interdite en dehors de la zone de production naturelle ». Entre 1957 et 1967, la crise du marché légumier entraîne une série de manifestations et d’affrontements entre les pouvoirs publics, les négociants en légumes et les producteurs du Haut-Léon et du Trégor.

En juin 1960, la surproduction et le système de distribution entraînent la chute des prix : les agriculteurs du « comité de l’artichaut breton » décident de ne plus détruire les excédents et de vendre au détail dans différentes villes de France.
Du champ à l’assiette
Dans les années 1950-1960, les revendications des agriculteurs révèlent une insatisfaction grave, non pas à cause d’un archaïsme persistant, mais bien par les problèmes posés par une modernisation trop rapide. De nos jours, les producteurs de légumes travaillent encore souvent à perte et ne retirent pas toujours de salaire de leur labeur à cause de la baisse des prix de vente. Outre la concurrence mondiale, les artichauts et les choux-fleurs sont boudés par les Français et surtout par la jeune génération qui ne sait plus comment les cuisiner. La préparation des repas se réduit et ces légumes, qui ont longtemps été des entremets froids ou chauds forts usités – c’est-à-dire des plats d’accompagnement servis entre les mets principaux – sont aujourd’hui perçus comme trop long à préparer et malodorants. Sans compter que l’enchaînement « entrée-plat-dessert », encore monnaie courante et synonyme de repas complet en France tend à disparaître. Pour aller plus vite, l’attention se concentre sur le plat principal, au détriment des entrées et donc de recettes simples comme les artichauts ou choux-fleurs vinaigrettes.

L’avenir de ces légumes, comme tant d’autres, est sans doute à rechercher dans la mise en valeur des circuits courts, le renouveau des pratiques alimentaires et l’inventivité des cuisiniers amateurs ou professionnels.
Sophie Chmura.
Octobre 2023.