Petites histoires de la gastronomie de Bretagne – Dans le cochon, tout est bon !

La gloire posthume du cochon, comme l’écrivait le gastronome Curnonsky (1872-1856), est tout bonnement et tout simplement du pâté, du boudin, des saucisses, des rillettes, du saucisson, de l’andouille et de l’andouillette ! En Bretagne, de nombreuses préparations, salaisons et spécialités culinaires sont toujours associées au porc.

Tiens, voilà du boudin !

Préparation du boudin noir, Guy Le Querrec, Malansac, 21 juillet 1972 – © Copyright Guy Le Querrec /Magnum Photos – Collection du musée de Bretagne, Rennes

Guy Le Querrec (1941- ) a parcouru le monde pour l’agence Magnum. En Bretagne, où il retrouve ses attaches familiales, il exécute des photographies en noir et blanc qui nous replongent aujourd’hui dans les années 1970 et 1980. Cette photographie prise sur le vif le 21 juillet 1972 montre la préparation du boudin noir par des fermiers et leurs voisins. Les saucisses sont déjà en train de sécher aux poutres de la pièce où un homme et une femme nouent le boudin devant un enfant hilare. Si au cours de la préparation des cochonnailles, les plus jeunes ont le droit de broyer la viande et de malaxer les morceaux, la fabrication des saucisses, saucissons et boudins, qui nécessite des gestes minutieux, est réservée aux adultes pour éviter de percer les boyaux.

L’art du lard

Domestiqué il y a près de 10 000 ans, le cochon a constitué la base de l’alimentation carnée en Bretagne pendant plusieurs siècles. Dès le milieu du 18e siècle, la production porcine prend de l’ampleur pour répondre aux besoins locaux des campagnes mais aussi des villes. Au 19e siècle, il est reconnu qu’« entre toutes les bêtes nourries à la ferme pour fabriquer de la viande, aucune n’est plus accommodante, plus rustique, plus prompte à s’engraisser, plus féconde, et par conséquent plus avantageuse que ce pachyderme ». De son engraissement à sa « tuerie », le porc a réuni des familles et des villages entiers autour de lui créant des interactions sociales durables comme la fête des boudins. Progressivement, l’élevage destiné à nourrir les ouvriers agricoles et la famille, amorce son déclin. Les commerces de bouche prennent le relais de la production familiale et vont faire de la charcuterie un art du lard : les recettes traditionnelles sont modernisées et actualisées aux exigences d’une clientèle qui cherche le goût des terroirs. À la fin des années 1970, de nombreuses exploitations bretonnes transforment leur modèle de production en s’orientant vers l’agriculture intensive.

Affiche publicitaire pour le Grand saloir Saint-Nicolas photographiée par les Créations Artistiques Heurtier, 11 septembre 1985 – CC-BY-NC-ND – Collection du musée de Bretagne, Rennes –Le Grand saloir Saint-Nicolas ouvre officiellement à Bédée en 1986. C’est une entreprise agroalimentaire spécialisée dans la fabrication et la distribution de produits haut de gamme frais, charcutiers et traiteurs : le site en produit 3 500 tonnes par an !

Si à la fin du 20e siècle, l’abattage à la ferme ne se pratique presque plus pour des raisons d’hygiène, des traditions anciennes semblent renaître : la remise en cause du modèle productiviste amène des fermiers à renouer avec les productions fermières faisant de la formule « du producteur au consommateur » un nouveau modèle économique.

Hommage aux cochonnailles et charcutailles armoricaines

En 1923, Curnonsky et l’homme de lettres Marcel Rouff (1877-1936) listent dans La France gastronomique trois des spécialités charcutières et bouchères bretonnes à base de porc : le lard nantais, parfois appelé lard du dimanche, qui est une préparation de carrés de porc braisé avec abats, couennes et vin blanc ; les andouilles de Guéméné fumées au bois de hêtre, séchées et cuites pendant plusieurs heures, qui se caractérisent par des cercles concentriques bien visibles une fois tranchées ; le jambon de Morlaix, qui est un jambon cuit fumé. S’y ajoute, les pâtés bretons, les boudins de Rennes, la gogue d’Ancenis, les andouillettes de Quimperlé, le choten du pays bigouden (tête de porc), le casse de Rennes (genre de lard nantais avec la tête de porc) et le porché de Dol. Curnonsky aimait raconter comment il a « tutoyé […] à Moëlan-sur-Mer, un pâté de foie de cochon simplement sublime et chez notre illustre Mélanie Rouat à Riec-sur-Belon, un inégalable lard ». Les touristes du 21e siècle profitent toujours du savoir-faire des charcutiers bretons et du Kig ha farz (ce qui peut se traduire par « viande et farce »), pot au feu léonard composé de légumes, de morceaux de porc et d’une pâte à base de blé noir, qui a été érigé au rang de plat régional.

Kig ha farz, carte postale des Éditions d’Art Jos Le Doaré, années 1970 – © Copyright-Tous droits réservés – Collection du musée de Bretagne, Rennes – Cette carte postale propose une recette de Simone Morand (1914-2001), tirée de son livre la Cuisine populaire de Bretagne : « 500 g de farine de blé noir, 1 Kg de lard, 1 chou, 1 rutabaga, oignons, échalotes, un peu de graisse de porc. Cuisson 4 heures. Délayer la farine à l’eau froide pour obtenir une pâte assez fluide. Saler légèrement. Verser dans le sac, ficeler. Plonger le sac dans la marmite où cuisent déjà le lard et les légumes. Le bouillon doit bien bouillir. Cuire doucement, comme un pot-au-feu ordinaire. Tremper cette soupe dans de petites écuelles en terre. Servir ensuite le lard avec le farz retiré de son sac. Arroser le farz avec la graisse de porc légèrement roussie. Le farz doit être coupé en tranches, ou servi en pouloud après avoir roulé le sac entre les mains (comme sur la carte). En autocuiseur, on met le tout à cuire pendant ¾ d’heure à partir du chuchotement de la soupape ».

Sophie Chmura.

Novembre 2023.

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