Petites histoires de la gastronomie de Bretagne – L’amour des pommes ou la saveur du terroir retrouvée

Fruit facile à cultiver, à conserver, à transformer et à déguster, aussi bien cru que cuit ou pressé, la pomme séduit tous les palais. Jusqu’aux années 1950, les produits liés à la pomme sont au cœur de la vie agricole bretonne, mais après la Seconde Guerre mondiale, la production s’essouffle. De nos jours, écomusées et associations s’évertuent à retrouver et préserver les variétés bretonnes dont certaines très intéressantes d’un point de vue gustatif.

Quand la pomme rassemble

Cette affiche annonce la fête du pommé organisée en novembre 1990 par l’écomusée du pays de Rennes (devenu Écomusée de la Bintinais) et l’association La Bouèze, école de musique traditionnelle du pays gallo qui organise des veillées et des festoù-noz. Sur la photographie, un couple d’anciens prépare dans une cheminée le pommé : cette cuisson s’appelle en gallo la ramaougerie. Le pommé est une confiture obtenue à partir de pommes arrosées de cidre pressé et cuit la veille.  Pendant que la femme verse avec une casserole le sirop épais de cidre dans la cuve de cuivre appelée pèle, l’homme est en train de ramagouer, c’est-à-dire de remuer la marmelade avec le ribot, manche en bois de saule avec une raclette en bois de pommier. La préparation se fait toujours au son des chants et danses traditionnelles de Haute Bretagne.

Du verger au restaurant

C’est au 14e siècle que la culture des pommes apparaît et commence à se développer en Bretagne et ce même si des pommes du 7ème siècle ont été découvertes à l’abbaye de Landevenec. La pomme et ses dérivés ont longtemps été un complément alimentaire et une source de revenu pour les petites exploitations agricoles. Avec la multiplication des vergers, cidreries, distilleries et confitureries se sont multipliées sur le territoire. Après la Seconde Guerre mondiale, la production de pommes diminue car le vin, les alcools forts et les sodas concurrencent le cidre. Mais certaines habitudes culinaires ont survécu comme le pommé. Fabriqué en Pays Gallo du 19e siècle aux années 1950, le pommé était le plus souvent réalisé pour remplacer sur le pain le beurre qui était réservé à la vente, d’où son nom de « beurre du pauvre ». Le pays du Coglais (Ille-et-Vilaine) a été l’un des premiers à reprendre la production dans les années 1970. Depuis, des fêtes sont également organisées tous les ans, en novembre, dans l’Antrainais ou sur le territoire de Liffré-Cormier Communauté.

Keirie de pommé, carte postale éditée par Yvon Kervinio (1944-), novembre 1993 – CC BY SA – Collection du musée de Bretagne, Rennes – La légende de cette carte postale explique qu’« Après 24 heures sur le feu, le pommé (sorte de confiture confectionnée exclusivement à partir du cidre nouveau et de pommes) est enfin cuit. Il pourra se conserver plusieurs années, même lorsque le pot est entamé. Cette particularité, précieuse à une époque où les conservateurs n’existaient pas, fut une des bases de son succès notamment dans les Pays de Bazouges et du Coglais où cette tradition est restée bien vivante. »

Quelques restaurants qui proposent une cuisine autour des produits locaux et de saison, comme le LeCoq Gadby à Rennes ou Le Galon ar Breiz à Fougères, s’intéressent depuis au pommé, mets qui se marie aux viandes blanches ou au foie gras. Ce renouveau du pommé contribue à mettre en valeur les différentes variétés de pommes et le cidre de Bretagne.

La biodiversité au service du goût

Pas moins de 3000 variétés de pommiers ont été recensées sur une zone comprise entre Saint-Brieuc, Saint-Malo et Rennes par Les Mordus de la Pomme. Créée en 1987 et basée à Quévert dans les Côtes d’Armor, cette association œuvre depuis sa création à la connaissance et à l’inventaire des variétés fruitières. Elle effectue un suivi sur un grand nombre de vergers de conservation. De son côté, l’écomusée de la Bintinais conserve à lui seul 250 pommiers, soit 120 variétés répertoriées dans une base de données accessibles à tous !

La grande diversité des pommiers en Bretagne limitait les risques d’avoir une année sans pomme et permettait aux agriculteurs de trouver les arbres les mieux adaptés à leurs sols, au climat, aux risques parasitaires ou aux différentes manières qu’ils avaient d’apprêter les pommes pour la dégustation. Le fruit est aujourd’hui perçu comme un patrimoine culturel et naturel de la Bretagne. De nombreuses initiatives sont menées pour sauvegarder les variétés anciennes et valoriser les spécialités culinaires locales comme les chocards d’Iffiniac, ou le pommé breton, sorte de chausson aux pommes de la région rennaise.

Sophie Chmura.

Novembre 2023.

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