Le Musée de Bretagne vient d’acquérir trois précieux albums, rassemblant 301 photographies prises en Bretagne entre 1894 et 1903. L’année 1895 est la plus représentée. Tous les tirages sont légendés, de manière manuscrite ou avec un matériel d’imprimerie artisanal.
Le photographe n’a pas signé pas ses clichés, mais la teneur des albums orientait davantage vers un professionnel que vers un amateur, ainsi que vers un Rennais. Quelques recherches dans nos collections ont permis de repérer un élément de comparaison de premier ordre : l’une des photographies des albums figure la visite du président Félix Faure en aout 1896, or un autre tirage de cette même vue, se trouvant dans nos collections, est attribué avec certitude à l’opticien rennais Ange Colombo.

Son magasin, situé aux 3-5 rue nationale, vendait du matériel d’optique mais aussi du matériel photographique. Aux côtés des frères Géniaux et de Georges Nitsch, Colombo est l’un des membres fondateurs de la société rennaise de photographie et photographe lui-même. On découvre d’ailleurs un homme assez opposé au gouvernement en place puisqu’en légende de cette photographie qui figure la calèche du président Félix Faure, il écrit de façon assez peu
respectueuse « le char de l’État ».
Le musée conserve une trentaine de photographies de sa main, des factures à entête de son magasin, du matériel d’optique et un coffret dit « L’autocopiste », servant à imprimer des tarifs ou de courtes mentions, très probablement utilisé pour les légendes de ses propres albums.

Les photographies de Rennes sont nombreuses et toutes témoignent d’une bonne connaissance des lieux où se déroulent la vie des habitants et les lieux de loisirs : le mail pour la promenade et les divertissements comme le manège pour les enfants, le vélodrome, les courses de chevaux, la fête des fleurs…. Les lieux dédiés au commerce comme les halles et les marchés sont aussi souvent photographiés.

Six photographies prises durant le procès Dreyfus comportent des légendes qui affichent la position antidreyfusarde de Colombo : l’une des images figure Lucie Dreyfus et son père monsieur Hadamard se rendant à la prison militaire, Colombo écrit « Madame Dreyfus se la coulait douce pendant le procès de son mari, d’après le dire des gendarmes qui gardaient sa maison jour et nuit », et de poursuivre avec des insinuations de caniveau sur la vie privée de Lucie.

Deux photographies représentent les avocats de Dreyfus, maitres Labori et Demange, qualifiés l’un « de grand maigre, surnommé l’enfant de la balle depuis son accident », jeu de mots douteux évoquant l’attentat dont Labori fut victime, l’autre de « gros réjouit »… Cette photographie, ainsi qu’une autre figurant maitre Labori et le colonel Piquart, ont servi à l’édition de cartes postales par l’éditeur rennais Warnet-Lefèvre, dont le Musée de Bretagne conserve plusieurs exemplaires.

Les autres photographies prises ailleurs en Bretagne témoignent d’un œil averti, qui s’intéresse au quotidien des Bretons, se préoccupe d’apposer des légendes sous ses images, localisant et datant ainsi les prises de vue. Les thèmes figurés s’inscrivent dans la lignée des sujets traités lors des voyages organisés par la société photographique de Rennes : une attention est portée au vêtement régional mais sans excès de pittoresque, ce sont davantage des moments de vie qui ont retenu l’attention du photographe.

Ces trois albums rassemblent une grande quantité de photographies et écrivent un récit rennais et breton sur une très courte période historique, à travers des images de grande qualité.
Laurence Prod’homme.
Août 2023.
Le Musée de Bretagne remercie Hélie Démelin, étudiant en Master Histoire de l’Art, pour le travail d’inventaire de ces trois albums photographiques réalisé durant l’été 2023.